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Vie des entreprises

Candidats, souriez vous êtes évalués !

Vie des entreprises | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.05.2001 | Emmanuelle Pirat

Exit la graphologie, les tests de personnalité et entretiens en face à face ? En tout cas, l'évaluation des comportements en situation, c'est-à-dire l'« assessment », séduit les recruteurs. Considérée comme fiable et objective, la méthode fait des émules dans tous les secteurs. Avantage : elle traite les candidatures en un temps record.

Ils sont six à se retrouver ce matin d'hiver dans un grand hôtel parisien. Plutôt tendus, Stéphane, Jamel, Bruno, Antoine, Brice et Olivier ont été convoqués par Maporama, un fournisseur d'outils cartographiques et de calculs d'itinéraires sur Internet. L'entreprise, qui connaît une croissance extrêmement rapide de ses effectifs (60 salariés en janvier, 200 prévus en septembre 2001), souhaite recruter un ingénieur commercial. Les six candidats, âgés de 24 à 31 ans, ne vont pas sacrifier au rituel entretien d'embauche. Au programme, une longue journée d'assessment, autrement dit d'« évaluation », avec jeux de rôle en groupe le matin, exercices individuels de négociation l'après-midi et entretiens pour finir… Une technique de plus en plus utilisée par les entreprises. Le soir même, les recruteurs auront fait un premier choix et retenu deux des candidats.

Premier exercice : « Vous êtes un groupe de six collaborateurs, en réunion. Vous avez quatre cas délicats à traiter concernant la bonne marche de l'usine pour laquelle vous travaillez. Pour chacun, vous devez décider, collectivement, de la meilleure solution à prendre. Vous avez cinquante minutes. » Parmi les différentes situations : baisse de la productivité, conflit avec les syndicats… Brice se lève pour récupérer un paper-board et conduire la réunion. Antoine suggère une méthode pour que chacun puisse donner son point de vue. Olivier, lui, ne dit pas grand-chose, visiblement intimidé. Dans un coin de la salle, deux recruteurs de Maporama et deux consultants du cabinet Norman Broadbent, qui a conçu cette journée d'évaluation, prennent des notes. « Progressivement, les candidats se détendent, abandonnent les attitudes convenues pour laisser place à un plus grand naturel. On voit alors leur comportement. Il est impossible de jouer un rôle pendant une journée entière », affirme Anne-Laure Dugert, de Norman Broadbent. Les masques finissent par tomber : le timide se révèle peu à peu astucieux, faisant preuve d'une grande finesse d'analyse, et le rouleur de mécaniques devient au fil des heures un peu « envahissant », voire un tantinet agressif…

En vigueur dans l'US Army

Cette méthode n'est pas la dernière mode pour recruter dans la Silicon Valley. Elle a été mise au point par l'armée allemande au début du siècle pour repérer des profils de commandement et reprise ensuite par l'US Army, avant d'être utilisée dans le secteur civil ! « La mise en situation permet de repérer certains comportements ou compétences qu'il est difficile de déceler autrement, lors d'un entretien par exemple. On se rend rapidement compte de la façon dont la personne réagit et de ce qu'elle peut donner à son poste », estime Jean-Paul Jolly, DRH de Kodak Industrie, qui utilise cette technique pour recruter des opérateurs pour l'usine de Chalon. Et notamment afin de mesurer leur capacité à travailler en équipe. L'assessment center est utilisé pour des postes à dimension managériale ou relationnelle, à tous les niveaux : des opérateurs – tous les ouvriers travaillant à la fabrication de la Smart ont été recrutés par assessment – aux cadres dirigeants en passant par les commerciaux. « Elle permet surtout de voir ce que le candidat est capable de faire et non ce qu'il déclare savoir faire », ajoute Hubert Jaming, consultant chez Orgakienbaum, cabinet de conseil franco-allemand, dont une partie de l'activité est consacrée à la conception d'assessment centers.

Le test du tri de courrier

« L'assessment, c'est une autre philosophie du recrutement », renchérit Anne-Laure Dugert. « Habituellement, en France, on recrute sur des diplômes et sur ce que j'appelle des “cartes de visite” qui ont forgé l'expérience. Sur cette base, on pense que la personne va réussir, en laissant de côté des aspects essentiels comme les aptitudes comportementales. L'assessment permet de sortir d'une logique à la fois subjective et projective, où le recruteur se dit que si le candidat a fait ses preuves ailleurs il réussira aussi dans l'entreprise, en se fiant à sa propre expérience et à son propre mode de fonctionnement »…

Toutes les mises en situation ne sont pas proposées au hasard. Elles sont le fruit d'une construction rigoureuse, nécessitant une analyse du poste et de l'environnement de travail. Un simple exercice comme le tri de courrier peut paraître banal et réservé au recrutement d'assistantes. Mais le test est souvent effectué auprès des commerciaux, voire des cadres dirigeants. Une quinzaine, voire une vingtaine de lettres, très stratégiques ou d'autres plus opérationnelles, leur sont proposées, ce qui permet de juger de l'intérêt qu'ils portent aux clients, aux autres collaborateurs. « C'est ce qui rend possible l'identification d'un certain nombre de compétences clés du poste. Par exemple, la capacité d'écoute, l'esprit d'initiative, la résistance au stress… À partir de là, nous construisons des situations dans lesquelles ces compétences vont pouvoir apparaître. Ainsi qu'une grille d'indicateurs pour mesurer comment elles apparaissent », explique Anne-Laure Dugert.

Pour éviter les erreurs d'appréciation, chaque compétence est évaluée au cours de plusieurs exercices, et dans au moins deux situations. Pour un poste de commercial, on va tester la capacité de persuasion d'un candidat dans une simulation de vente en groupe puis lors d'un face-à-face… « C'est la multiplicité des outils qui garantit la fiabilité. Encore faut-il qu'ils soient bien adaptés aux compétences que l'on veut apprécier et qu'ils soient complémentaires. Sans cela, multiplier les tests n'a pas grand intérêt », précise Annie Delesque, consultante chez Cubiks, une filiale de PA Consulting Group spécialisée dans l'évaluation.

La méthode de l'assessment fait de plus en plus d'émules. Et dans tous les secteurs : la grande distribution, les centres d'appels, la banque-assurance, l'hôtellerie, les laboratoires pharmaceutiques… Elle n'est pas non plus l'apanage des grandes entreprises. Les start-up y viennent aussi. Elles représentent désormais 50 % de l'activité d'assessment du cabinet Norman Broadbent.

Les recruteurs n'y trouvent que des avantages. Ils jugent la méthode fiable, objective, mais aussi rapide. En effet, l'assessment permet d'évaluer un nombre important de candidats en un temps record. « Et, dans un contexte de marché du travail tendu, il est nécessaire de raccourcir les délais de recrutement », souligne Alain Vasseur, chef de projet recrutement à la DRH du groupe TotalFinaElf, qui utilise l'assessment pour le recrutement de commerciaux à des postes de chefs de secteur et, depuis le début de l'année, pour des opérateurs et des techniciens de production. « Nous l'utilisons pour répondre à cette problématique de “volume”, mais aussi pour des postes où nous recrutons de manière récurrente. Sans cela, l'assessment est difficilement rentable. »

Confronté à un important besoin de recrutement, le groupe Imperial Tobacco France a embauché, par un assessment, plus de 50 personnes ayant des profils différents en l'espace de quatre mois. « Cette méthode permet de voir plusieurs candidats en même temps, et donc d'aller plus vite. Le soir même des tests, on dispose d'une synthèse la plus objective possible. C'est appréciable quand on a d'importants volumes à recruter », explique Frédéric Hougard, directeur de l'activité Europe de Maporama.com. L'entreprise a chargé Norman Broadbent d'organiser 10 assessment centers par mois afin d'embaucher 70 commerciaux dans sept pays européens. « L'assessment permet d'avoir un processus homogène de recrutement, quel que soit le pays : les exercices et jeux de rôle sont traduits dans les différentes langues, et ainsi nous évaluons les candidats sur les mêmes critères. »

20 000 francs la journée

Mais le recrutement n'est pas le seul exemple d'utilisation de l'assessment. La technique est aussi fréquemment utilisée dans la gestion des carrières, afin de mesurer le potentiel des collaborateurs et leurs possibilités d'évolution dans l'entreprise. « Chez nous, l'assessment est systématique pour toutes les catégories de personnel qui prennent des responsabilités de management, notamment les techniciens, agents de maîtrise ou opérateurs qui accèdent à des fonctions d'encadrement », précise Jean-Paul Jolly, de Kodak Industrie. « Nous avons instauré cette pratique en 1992, lors d'une vaste opération de réorganisation de la maîtrise. Il s'agissait de passer de trois niveaux hiérarchiques à un seul. Il fallait donc vérifier que les nouveaux “managers” présentaient bien les compétences requises. Car, auparavant, ceux qui accédaient aux fonctions de chefs d'équipe étaient promus sur des critères techniques : on prenait les meilleurs dans leur domaine. » Depuis, sur le site de Chalon, l'assessment center a été généralisé pour gérer l'évolution de carrière des salariés.

Autre exemple , dans la grande distribution, plusieurs groupes recourent à l'assessment pour sélectionner les futurs directeurs de magasin. « Nous avons aussi organisé des tests d'évaluation pour les équipes d'un assureur, afin de repérer ceux qui allaient pouvoir prendre des responsabilités de managers, en phase avec les nouvelles valeurs de l'entreprise. Il fallait mesurer des critères tels que l'ouverture d'esprit, la capacité de persuasion, l'“orientation résultats” et le partage du leadership », explique Annie Delesque, de Cubiks.

Construire une journée d'assessment est un processus lourd et coûteux. On peut estimer le coût d'une journée standard à environ 20 000 francs, plus les honoraires pour la conception. « Mais cela coûte beaucoup moins cher que de se tromper dans une évaluation ou un recrutement ! » rétorque Jean-Paul Jolly. En termes d'organisation, l'assessment est plus complexe à gérer qu'une simple convocation des candidats à un entretien. « En revanche, la méthode permet d'associer les opérationnels. Ils sont impliqués dans l'ensemble de la démarche, depuis la définition des critères à évaluer, les exercices de simulation… Ils sont formés au rôle d'observateurs et participent à la journée », apprécie Alain Vasseur, de TotalFinaElf.

Même s'ils sont convaincus de la fiabilité de cet outil, certains recruteurs utilisent l'assessment avec beaucoup de précautions. « Cette méthode ne garantit pas le zéro erreur. Simplement, elle permet d'en réduire les risques. C'est un bon outil quand on sait ce qu'on recherche. Pour les assessments réalisés dans une perspective d'évolution de carrière, par exemple un cadre technique qui souhaite évoluer vers des fonctions managériales, nous faisons toujours précéder les évaluations en assessment par un bilan pour vérifier qu'il n'y ait pas de “contre-indications” », note Jean-Paul Jolly. Pour un candidat à l'embauche, un échec à un assessment peut aussi avoir des conséquences non négligeables. « En raison du regard des autres », précise un DRH.

18 h 30, retour dans notre hôtel parisien : la journée d'assessment tire à sa fin. Le dernier candidat vient de conclure son exercice de simulation de vente : il lui fallait convaincre un prospect, alias le recruteur qui s'était prêté au jeu, d'investir dans un purificateur d'eau. Ses capacités de persuasion et son habileté dans la négociation ont fait mouche. Marché conclu. Fatigués, les candidats s'apprêtent à quitter les lieux. Ils connaîtront les résultats dans les quarante-huit heures. « En tout cas, le fait de passer toute la journée avec les représentants de la société qui nous recrute, de déjeuner avec eux, nous donne une idée du style de l'entreprise et de la personnalité des gens qui y travaillent. C'est intéressant », apprécie Brice. Visiblement, le courant est passé avec ses futurs managers. Car, il ne le sait pas encore, mais il fait partie des deux candidats retenus.

Un moyen de lutter contre le turnover

Le recrutement par assessment peut-il contribuer à limiter le turnover ? Oui, à en croire l'expérience d'un opérateur téléphonique, qui s'inquiétait de voir ses équipes se renouveler à un rythme effréné dans ses call centers.

« L'entreprise recrutait ses opérateurs et ses téléconseillers en procédant par tests individuels et mises en situations techniques. Ce qui favorisait les personnes ayant de l'expérience, mais pas celles dont le comportement était compatible avec le travail en équipe », explique Hubert Jaming, consultant chez Orgakienbaum, qui a accompagné la mise en place de l'assessment center. « Dans neuf cas sur dix, ces téléopérateurs quittaient l'entreprise pour des problèmes de comportement: mauvaise gestion du stress, rapports conflictuels avec la hiérarchie ou les clients, esprit individualiste, etc., et non pas parce qu'ils avaient des difficultés à maîtriser les techniques. Désormais, l'assessment permet de détecter les compétences comportementales des opérateurs, leurs qualités relationnelles, leur savoir-être.

Et, de fait, on constate une diminution du turnover. Certes, il reste élevé, mais les départs sont davantage le fait des salariés. ».

Autre avantage pour l'opérateur téléphonique: pouvoir recruter un nombre important de téléconseillers en un temps réduit.

En une seule cession d'assessment, les deux recruteurs (salariés de l'entreprise et formés à la méthode de l'assessment par Orgakienbaum) évaluent jusqu'à 12 candidats. Efficace.

Auteur

  • Emmanuelle Pirat