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Repères

Ne tirons pas trop vite sur l'entreprise

Repères | publié le : 01.05.2001 | Denis Boissard

Grève à la SNCF, suppressions d'emplois chez Danone et Marks & Spencer, la France s'est offert le mois dernier une de ces brusques poussées de fièvre sociale dont elle est coutumière. Et, comme souvent, la réaction émotionnelle l'a emporté sur le bon sens et la raison. Une émotivité que les milieux politique et médiatique ont contribué à amplifier, au lieu de faire œuvre de pédagogie.

Peut-on, sans se faire taxer de libéral échevelé, énoncer quelques évidences peu contestables ?

Primo, la vague récente des plans sociaux ne doit pas servir de prisme déformant : les entreprises créent aujourd'hui beaucoup plus d'emplois qu'elles n'en détruisent. Le solde est très largement positif : près de 1,4 million d'emplois supplémentaires entre 1997 et 2000, dont un peu plus de 500 000 l'an dernier. Secundo, interdire – comme le réclame une partie de la gauche – à une entreprise bénéficiaire de se restructurer pour s'ajuster aux évolutions du marché, améliorer sa productivité, rester compétitive face à ses concurrents est un non-sens économique. Dans une économie de marché mondialisée, l'adaptation des entreprises est une condition de survie. Attendre que l'entreprise soit déficitaire pour lui permettre de se restructurer ne peut qu'aggraver l'impact négatif de la réorganisation sur l'emploi. Tertio, l'encadrement législatif et jurisprudentiel des licenciements économiques est, en France, l'un des plus protecteurs au monde pour les salariés. Depuis déjà plusieurs années, la Cour de cassation exige, faute de nullité, que le plan social comporte des mesures concrètes de reclassement interne et externe. Et que les efforts déployés soient proportionnés aux moyens de l'entreprise. Les mesures que s'apprête à prendre le gouvernement Jospin seront donc symboliques. Aller trop loin dans le renchérissement des licenciements économiques risque fort, le gouvernement le sait bien, d'être contre-productif en conduisant les entreprises à moins recruter ou, pis, à délocaliser.

Plutôt que de se focaliser sur le curatif – les alternatives au licenciement se  –

les pouvoirs publics devraient se préoccuper du préventif, en incitant les entreprises à préserver l'employabilité de leurs salariés. Ce qui rend la situation souvent dramatique pour les victimes d'un plan social, c'est moins la perte de leur emploi que la crainte de ne pas retrouver un poste équivalent, faute de compétences reconnues sur le marché du travail. À quand la réforme tant attendue de notre dispositif de formation professionnelle ?

En réalité, ce qui choque surtout et à juste titre l'opinion publique

c'est que les suppressions d'emplois annoncées sont en partie imputables aux exigences sans cesse croissantes de rentabilité, et donc de profit, de ces nouveaux actionnaires que sont les investisseurs financiers (fonds de pension, fonds spéculatifs…). Des exigences auxquelles nulle entreprise ne peut échapper dès lors qu'elle a besoin de capitaux pour financer sa croissance. Que peuvent faire les pouvoirs publics face à cette soumission des entreprises françaises à la loi d'airain du capitalisme patrimonial anglo-saxon ? En réalité, pas grand-chose. « L'État ne peut pas tout », avait dans un brusque accès de franchise reconnu Lionel Jospin après l'annonce de suppressions d'emplois chez Michelin. Cet aveu d'impuissance avait à l'époque scandalisé, et le gouvernement s'efforce aujourd'hui de faire accroire le contraire. Mais la vérité c'est que changer les règles du jeu, l'arbitrage entre les intérêts de l'actionnaire et ceux des salariés, suppose une régulation qui ne peut être élaborée qu'à un niveau supranational, et au minimum européen.

Prolixes dans leur condamnation des plans sociaux de Danone et Marks & Spencer

le gouvernement et la majorité plurielle ont été en revanche beaucoup plus discrets sur le conflit de la SNCF et la paralysie du réseau ferroviaire qui en est résulté. Il est vrai que pour l'État, garant de la continuité du service public, le bilan n'est pas fameux. Après avoir enterré il y a un an la réforme de l'administration fiscale, l'État-patron vient coup sur coup de reculer sur le plan Cap clients de la SNCF, qui visait à rendre ce mastodonte fortement endetté plus performant, et sur l'ouverture du capital de Gaz de France, qui aurait permis à l'entreprise de nouer des alliances et de se développer sur le marché européen. Une fois de plus, la conjonction d'un gouvernement fragilisé, d'échéances électorales proches et d'un syndicalisme (celui du public) aussi puissant que conservateur bloque toute tentative, si modeste soit-elle, d'adapter le secteur public aux réalités économiques.

Le contraste est saisissant entre des entreprises privées qui s'adaptent, se réorganisent, se restructurent, parfois dans la douleur, et un secteur public qui ne bouge qu'au ralenti. Tomber à bras raccourcis sur l'entreprise et ses dérapages est un exercice commode. Il ne doit pas masquer l'impéritie de l'État à réformer la sphère publique.

Auteur

  • Denis Boissard