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Politique sociale

Les avantages en nature dans la cible de l'Urssaf

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.05.2001 | Marc Landré

Séjours à prix cassés pour les salariés du Club Med, billets à 10 % chez Air France ou kilowatts light à EDF-GDF : la traque aux avantages en nature, soumis à charges sociales, va bon train. Mais entre les Urssaf, qui font les contrôles, l'Acoss, leur tutelle, et les tribunaux, chacun interprète la règle à sa guise.

N'est pas J6M qui veut. Le patron de Vivendi Universal est parvenu à ses fins : proposer un PC multimédia avec accès à Internet illimité et une imprimante laser à chacun de ses 110 000 salariés, moyennant 3 euros par mois pendant trois ans, sans payer de charges sociales. Au nez et à la barbe de l'administration fiscale, qui considère ce type de prestation comme un avantage en nature, de facto assujetti aux cotisations salariales et patronales. Mais Jean-Marie Messier a montré qu'il avait de la suite dans les idées. Et des relations. Puisque la loi ne peut pas être contournée, alors J6M en a conclu qu'il fallait tout simplement l'amender ! « Le gouvernement cherchait des moyens pour réduire la fracture numérique, explique Jean-François Colin, ancien DRH du groupe et responsable de l'opération NetGener@tion. Nous avons plaidé que notre projet allait dans ce sens mais qu'il était impensable qu'il soit taxé. » Un message reçu cinq sur cinq par Laurent Fabius. Sa loi de finances pour 2001 a exonéré de toute cotisation les opérations de « don d'ordinateurs des entreprises à leurs salariés ». Une brèche dans laquelle s'est aussitôt engouffré le groupe de presse Prisma.

On les appelle aussi les goodies, ces compléments de rémunération utiles pour attirer ou retenir les bons éléments. Voiture ou logement de fonction, téléphone et ordinateur portables, chèques-cadeaux ou tarifs préférentiels sont autant de prestations qui peuvent faire la différence. Mais qui sont soumises à taxation. Et attention au redressement, car l'Urssaf veille. « Tout ce qui ne répond pas à un usage strictement professionnel est comptabilisé comme avantage en nature dont le montant est à réintégrer dans l'assiette des cotisations. Il existe une législation sociale à respecter », rappelle un contrôleur de l'Urssaf. EDF en sait quelque chose. L'entreprise publique a récemment été redressée sur des frais kilométriques trop généreusement remboursés. « C'était un gros complément de rémunération dans certaines unités, reconnaît un syndicaliste. Les agents rendaient des feuilles de route qui n'avaient rien à voir avec la réalité et étaient remboursés selon un barème maison très avantageux, différent de celui de l'Urssaf. »

Autre cible des limiers de l'Urssaf, le Club Med vient d'échapper à un redressement de 27 millions de francs. Depuis des années, les GO avaient la possibilité de passer gratuitement, en fonction des places disponibles, leurs vacances en famille dans les villages de l'entreprise. Officiellement « pour garder le contact avec le produit et le voir évoluer ». Mais un contrôle de l'Urssaf effectué en 2000 a remis en cause cette disposition de l'accord d'entreprise. Les bénéficiaires cotisent dorénavant à hauteur de 35 % du prix catalogue pour une semaine dans un village de l'entreprise, soit une charge de 500 francs par personne et par séjour. Une mise en conformité avec la loi qui coûtera 7 millions de francs par an au Club en cotisations patronales.

Michelin fait essayer ses pneus

La définition d'un avantage en nature semble en théorie relativement simple. La doctrine de l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss), l'organisme de tutelle des Urssaf, indique qu'il y a avantage en nature quand la différence entre le prix public et la somme versée par le salarié est supérieure à 30 %. Mais encore faut-il être en mesure de déterminer le bon prix public… « Certaines entreprises prennent comme référence le prix de revient d'un produit et non son prix de vente », explique-t-on à l'Acoss. Une autre parade consiste à disposer d'une palette de prix tellement large qu'il est difficile d'indiquer quel est le tarif de référence. À l'Acoss, on cite en exemple le cas d'Air France, dont les salariés ont la possibilité de voyager, en fonction des places disponibles et sans garantie de départ, pour 10 % du prix du billet. La compagnie aérienne indique qu'elle prend comme référence « la recette moyenne sur une ligne » et que, selon ce critère, l'avantage se situe au-dessous du seuil de 30 % fixé par l'Acoss. Pour ce qui est du second tarif préférentiel (750 francs l'aller et retour sur les lignes de métropole), elle se défausse en justifiant que certains clients, comme les jeunes ou les abonnés à Fréquence Plus, bénéficient de prix parfois plus avantageux.

« Le fait d'accorder aux meilleurs clients ou aux administrateurs les mêmes dispositifs qu'aux salariés est une technique utilisée pour plaider que les avantages en nature ne sont pas constitués », avance le directeur d'une Urssaf. « Comment parler de complément de rémunération quand d'autres que les salariés en bénéficient ? » renchérit un responsable d'entreprise. Michelin, qui fait « essayer » à ses salariés ses nouveaux pneus, ne sera pas taxé dès lors qu'il fait de même avec Citroën. Idem pour EDF et Gaz de France qui ont étendu à leurs administrateurs la gratuité de l'abonnement et la facturation du kilowattheure à un tarif (4 centimes depuis 1946 !) défiant toute concurrence. Et pourtant, rapporte l'Acoss, « la Cour de cassation a rendu un arrêt indiquant que procurer à des personnes extérieures les mêmes avantages ne dément pas la constitution d'un complément de rémunération pour les salariés ».

Un manque total de bon sens

Sauf que chacun interprète les textes à sa guise. L'Acoss n'a aucun pouvoir réglementaire sur les Urssaf, chargées du contrôle, ni sur les tribunaux, qui jugent les contentieux. « Les magistrats ont une lecture de la notion d'avantage en nature très restrictive, indique l'Acoss. Ce qui rend difficile l'application du principe d'égalité de traitement des cotisants. » Un cas d'école ? Celui des vêtements de travail. Pour les tribunaux, seuls les uniformes de protection (chaussures de sécurité, vestes pare-feu…) ne constituent pas des avantages en nature. Tous les autres sont considérés comme des compléments de rémunération et soumis à cotisations. Pour nombre de responsables d'entreprise, cette position est stupide. « C'est le signe d'un manque total de bon sens », commente Denis Parenteau, chef des services généraux à Air France, qui fournit des uniformes à son personnel, navigant ou non navigant. L'Acoss est du même avis : dès lors qu'elles ont l'obligation de les porter, la fourniture à titre gratuit de vêtements à des vendeuses de prêt-à-porter comme celles travaillant pour la marque Kenzo ne constitue pas un avantage en nature.

Même guerre de tranchées pour les prestations des comités d'entreprise. Selon les tribunaux, seules les allocations ayant un caractère de secours liées à des « situations particulièrement dignes d'intérêt », en cas de décès ou de divorce, par exemple, sont exonérées. L'Acoss a une position plus souple. Elle ne taxe pas les bons-cadeaux si leur montant est inférieur à 5 % du plafond de la Sécurité sociale (soit 747,50 francs pour 2001). Les aides des CE pour les colonies de vacances, les réductions sur les spectacles, les primes de crèche ou de garde d'enfant ne sont également pas soumises aux taxes. « Un CE a les moyens de mettre en œuvre sa politique sociale tout en s'assurant que celle-ci est exonérée de cotisations, assure un avocat. Il existe toujours un moyen de les contourner. » Comme ne pas verser une prime de naissance à un salarié mais lui rembourser une facture ou lui faire un cadeau du même montant.

Mais les obstacles ne viennent pas que des juges. Les contrôleurs de l'Urssaf adoptent parfois des positions différentes de celles de leur maison mère. « Nous essayons de les convaincre de suivre nos règles et de ne pas engager de contentieux », explique-t-on à l'Acoss. L'Urssaf de Paris a ainsi multiplié les procédures contre Air France. « Elle était persuadée que les repas pris par le personnel de bord sur un coin de siège constituaient des avantages en nature », explique Denis Parenteau, soulagé de dépendre, depuis la fusion avec Air Inter, de l'Urssaf de Marseille. Pis, deux inspecteurs n'ont pas toujours la même interprétation des textes. Patron d'une entreprise de bâtiment auvergnate, Pierre a été soupçonné par un nouveau contrôleur d'utiliser la fourgonnette de son entreprise pour faire ses courses. Alors qu'il lui suffisait auparavant de montrer la carte grise de son propre véhicule, pour lever les doutes. Mais, suite à un arrêt de la Cour de cassation, l'Urssaf ne peut plus prétendre à un redressement sur des éléments qui n'ont pas donné lieu antérieurement à des observations écrites. C'est toujours ça de gagné…

Auteur

  • Marc Landré