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Changement de code et de fiscalité

Dossier | publié le : 01.05.2001 | F. C.

Contraintes comptables, séparation des activités, nouveau contrat : leur mise aux normes européennes impose aux mutuelles de nouvelles obligations. Conjuguée avec de nouvelles règles fiscales, cette réforme les pousse à se regrouper sans tarder.

La grande réforme de la mutualité est enfin en marche. La publication de l'ordonnance modifiant le Code de la mutualité met fin à dix années d'atermoiements des pouvoirs publics français. Car voilà dix ans, en effet, qu'à défaut de pouvoir imposer le concept de « mutuelle européenne » à une Europe ne jurant que par la Sécurité sociale et les sociétés d'assurance, René Teulade, à l'époque président de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF), s'est résigné à imposer aux mutuelles des règles de fonctionnement faites pour et par les assureurs. Rien d'étonnant à ce que la France ait traîné les pieds sur un sujet aussi sensible : un Français sur deux est adhérent d'une mutuelle. Signe d'importance, le dernier Congrès de la mutualité, en juin 2000, a d'ailleurs reçu tour à tour, lors de banquets républicains, le président de la République et le chef du gouvernement. La France n'a finalement cédé aux oukases bruxellois qu'après de longues et tumultueuses négociations, le tout sous la haute vigilance de la Cour de Luxembourg, qui a adressé deux injonctions au gouvernement français afin d'obtenir une transposition des directions européennes, au… 1er janvier 1994. C'est dire si la résistance a été vive. Car cette mise aux normes européennes impose inévitablement de nouvelles obligations aux mutuelles françaises.

Les petites mutuelles vont souffrir

En premier lieu, les mutuelles devront respecter des règles prudentielles et comptables plus contraignantes, mais pas davantage que pour les compagnies d'assurances. Concrètement, une mutuelle devra provisionner ses engagements pour être en mesure de faire face à tout moment à ses obligations. Un agrément préalable sera délivré par les pouvoirs publics à cet effet. De plus, une marge de solvabilité, renforçant la marge actuelle de sécurité, et un fonds de garantie minimal permettant de s'assurer que les fonds propres constitués par un groupement couvrent les engagements de l'activité assurantielle sont institués. Ces contraintes ne posent guère de problèmes aux grandes mutuelles qui satisfont déjà très largement aux conditions posées. Il n'en est pas de même pour les petites mutuelles d'entreprise, tenues de se regrouper pour survivre. « J'y vois le moyen d'une crédibilité financière », estime Daniel Gourdet, directeur des mutuelles de Seine-et-Marne.

Pour répondre au « principe de spécialité » qui veut que les activités d'assurance soient rigoureusement séparées d'autres activités, les mutuelles vont devoir se réorganiser. Elles gèrent des structures sanitaires et sociales, des cliniques, des centres optiques ou des pharmacies, et mettent en œuvre une action sociale qui n'a rien à voir avec leur activité dans l'assurance maladie complémentaire. Ces activités seront confiées à des mutuelles sœurs, obtenues par clonage, ce qui va entraîner l'apparition de « groupes » de mutuelles et la mise au point de règles précises en matière de transfert de portefeuille (majorité et quorum renforcés à l'assemblée générale, approbation par l'administration, respect des marges de solvabilité), de réassurance et de substitution. Selon François Genelle, directeur de l'Union nationale mutualiste interprofessionnelle (4,5 millions de personnes protégées dans 52 mutuelles du groupe Médéric), ce mécanisme devrait permettre d'éviter les fusions-absorptions.

Autre changement de taille, le nouveau code va modifier la mise en œuvre du contrat. Jusqu'à présent, c'est par l'adhésion aux statuts qu'on adhérait à une mutuelle. Désormais, pour protéger une mutuelle contre les récriminations toujours possibles des adhérents, les droits et obligations seront précisés dans les statuts votés par l'assemblée générale. Toutefois, ce contrat mutualiste pourra s'accompagner d'un ou de plusieurs accords particuliers, qui devront obligatoirement faire l'objet d'un contrat écrit. Le contrat mutualiste doit primer sur le contrat particulier mais, en pratique, des problèmes d'articulation ne manqueront pas de se poser. Toute la question est de savoir si le contrat mutualiste et le contrat particulier sont régis par le même droit ou si le contrat particulier relève du droit des assurances ou de celui des consommateurs. Les juristes vont se régaler !

Professionnaliser, féminiser et rajeunir

Si les trois premières orientations sur les règles comptables, la séparation des activités et la mise en œuvre du contrat découlent logiquement des directives assurances, le statut de l'élu prévu par le nouveau Code de la mutualité témoigne d'une autre ambition. Il s'agit de profiter de l'intégration européenne pour moderniser le mouvement mutualiste. « Il faut en finir avec une situation où seuls les retraités et les fonctionnaires en détachement peuvent correctement remplir leur fonction », répète à qui veut l'entendre Jean-Pierre Davant, le président de la FNMF. En clair, cela consiste à professionnaliser, féminiser et rajeunir les responsables élus, en les dotant d'un statut et d'une indemnisation. Le nouveau code prévoit que les commissaires aux comptes recenseront pour chaque mutuelle les indemnités du président et les 10 salaires les plus élevés, ainsi que les avantages en nature. Une limite d'âge – 70 ans – est également introduite pour les administrateurs. Incontestablement, ces dispositions marquent un progrès. Mais certains experts regrettent que les informations comptables et financières ne soient transmises qu'à l'assemblée générale, ce qui n'est pas forcément un gage de démocratie.

La transposition des directives assurances dans le Code de la mutualité ne constitue malgré tout qu'un aspect de la réforme en cours. L'autre volet porte sur la fiscalité. En effet, les mutuelles, comme d'ailleurs les institutions de prévoyance, bénéficient d'un régime fiscal différent des sociétés d'assurance. Les sociétés de personnes exerçant des activités non lucratives bénéficient d'une charge fiscale singulièrement allégée par rapport aux sociétés de capitaux que sont les compagnies d'assurances.

Un traitement fiscal contesté par les assureurs

Mutuelles et institutions de prévoyance paient l'impôt sur les sociétés au taux de 24 %, voire de 10 % selon les produits concernés (contre 33,33 % pour les sociétés d'assurance), et sont exonérées de la taxe professionnelle, de la taxe d'apprentissage, de la contribution sociale de solidarité des sociétés, de la taxe sur les véhicules et des droits d'enregistrement sur leurs activités immobilières. Mais le débat porte également sur la TVA. Alors que les compagnies d'assurances sont assujetties à un taux de 7 % sur les contrats de santé, les mutuelles et les institutions de prévoyance en sont exonérées. Argument qui plaide, selon ces dernières, en faveur de tels privilèges fiscaux : ces organismes sont des sociétés de personnes, qui éprouvent des difficultés à investir et à se développer. Autre élément d'explication, les mutuelles, qui exercent une mission d'intérêt général, notamment à travers leur politique d'action sociale, méritent une compensation. Enfin, selon Jean-Louis Bancel, directeur général de la FNMF, la « présomption d'aide sectorielle » – autrement dit, la présomption de distorsion de concurrence – n'est pas fondée puisque le régime fiscal des mutuelles remonte au XIXe siècle et n'a jamais été modifié depuis.

Bien entendu, aucun de ces arguments ne trouve grâce auprès des assureurs, qui ont déposé une plainte auprès de la Commission de Bruxelles contre ce traitement fiscal de faveur dès 1994. « Au moment précis, explique Bruno Gaballieri, délégué général de l'Association européenne des institutions paritaires (AEIP), où il devenait acquis que les mutuelles et les institutions de prévoyance allaient accepter les directives assurances et concurrencer les sociétés d'assurance. » Dans chaque camp, on savait alors qu'à terme l'harmonisation fiscale était inévitable.

700 millions de francs en recouvrement

C'est si vrai d'abord que, depuis 1996, les contrôles fiscaux se sont multipliés dans les groupements mutualistes, qui ont eu un peu trop tendance à ranger sous l'étiquette non lucratives des activités parfaitement commerciales. Objectif du fisc, par conséquent, requalifier ces opérations. L'affaire n'est pas mince : l'administration fiscale, qui a envoyé les premières notifications de redressement en 1997, commence actuellement des opérations de recouvrement portant sur près de 700 millions de francs, essentiellement réclamés à une dizaine de mutuelles de l'Ouest et de la région Rhône-Alpes : AMI à Saint-Étienne, France Mutuelle et Ociane à Bordeaux, Imadies au Havre, Unio à Mâcon. Lassée de voir les négociations sur le régime fiscal des mutuelles s'éterniser, la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) a saisi à nouveau Bruxelles, en début d'année, initiative qui a été suivie d'une injonction de la Commission au gouvernement français pour qu'il prenne les mesures attendues au plus tard le 15 mars.

Contraintes de rentrer dans le droit commun, les mutuelles souhaitent que le taux courant d'impôt sur les sociétés ne s'applique qu'aux réalisations sanitaires et sociales. Pour la taxe professionnelle, elles veulent attendre 2003 et l'entrée en vigueur de la réforme du Code de la mutualité. Reste un point sensible : la taxation des contrats de santé. Les mutuelles demandent le maintien de l'exonération, voire une fiscalité à taux réduit pour tous les opérateurs, y compris les sociétés d'assurance, sur les « garanties solidaires », c'est-à-dire celles qui respectent les règles de non-sélection et de non-discrimination. Sur tous les autres produits, la mutualité admet que la taxation puisse aller jusqu'à 15 %…

À l'inverse, Jean-Pierre Davant demande que les contrats individuels en complémentaire santé ne soient plus pénalisés par rapport aux contrats collectifs. Pour ces derniers, en effet, la part versée par l'employeur est exonérée de charges sociales et celle des salariés ne rentre pas dans le calcul de l'impôt sur le revenu. Aussi la Mutualité française suggère-t-elle l'instauration d'un système de crédit d'impôt qui permettrait aux personnes physiques de bénéficier d'une réduction de l'impôt sur le revenu pour les cotisations à des prestations complémentaires santé auxquelles elles adhèrent.

Reste que la réforme du Code de la mutualité et la réforme fiscale afférente sont bien davantage qu'un simple toilettage. C'est si vrai que, sans attendre la quarantaine de décrets en préparation et une mise en œuvre qui n'aura pas lieu avant 2002, les mutuelles se sont engagées dans un vaste mouvement de regroupement. L'objectif est clair : les experts situent le niveau de survie à 1 million d'adhérents et 2 milliards de francs de chiffre d'affaires, au minimum. Or, sur les quelque 5 600 mouvements mutualistes, seules les grandes mutuelles du secteur public (éducation nationale, hospitaliers…) satisfont à ce type de critères (voir tableau page précédente). Les dirigeants mutualistes n'ont donc pas attendu pour prendre le virage de la concentration.

Du GIE à la fusion totale

Ces rapprochements prennent différentes formes juridiques. Première d'entre elles, le groupement d'intérêt économique (GIE), qui permet la mise en commun de moyens, le plus souvent informatiques. Deuxième étape possible, l'« union technique », qui vise à partager les frais de conception, de distribution et de logistique entre des adhérents conservant leurs enseignes. Enfin, il peut y avoir fusion, opération la plus difficile à réaliser car elle entraîne la perte d'identité de chaque membre, le processus étant par ailleurs irréversible. Actuellement, la tendance est à un niveau intermédiaire entre constitution d'un GIE et union technique. Mais l'exemple de la mutuelle Myriade (140 000 personnes protégées et 380 millions de francs de chiffre d'affaires), qui vient de quitter l'union technique Sphéria (564 000 personnes et 518 millions de francs de chiffre d'affaires) après cinq ans de participation, témoigne de la fragilité de ces rapprochements auxquels il faudra désormais procéder à marche forcée.

Autre constatation, les rapprochements ne concernent pas que des mutuelles. Il n'est pas rare que des groupements mutualistes nouent des partenariats avec des institutions de prévoyance, elles-mêmes liées à des sociétés d'assurance mutuelle, voire à des compagnies privées. Meilleur exemple, celui de Médéric, qui comprend une caisse Agirc, deux caisses Arrco, ainsi qu'une institution de prévoyance. Tout en diversifiant ses activités dans l'épargne salariale, avec la Compagnie interprofessionnelle de placements financiers et l'assurance, avec Médéric Assurances et Médéric Assurances IA, ce groupe a noué un partenariat avec les Mutuelles du Mans Assurances (MMA), avant leur rapprochement avec la Maaf, créant notamment il y a un an une société d'assurance commune, Quatrem. À ce titre, Médéric dispose d'un siège au conseil d'administration des MMA. Les MMA vont récupérer les activités Iard (incendie, accident, risques divers) de la SMA BTP (les risques sociaux étant assurés par Pro BTP), tandis que Médéric a noué un partenariat sur le tiers payant avec la SM BTP Mutuelles Mieux-Être.

C'est ainsi qu'une véritable toile se tisse, mettant en relation des opérateurs soucieux de rationaliser leurs activités, bien au-delà du seul domaine de la complémentaire santé. Mais si les grandes mutuelles vont tirer leur épingle du jeu dans les regroupements en cours, il n'est pas du tout certain qu'il en soit de même pour les milliers de petites mutuelles. D'où l'enjeu considérable des négociations qu'elles vont devoir ouvrir rapidement pour assurer leur survie. Le nouveau Code de la mutualité n'est donc qu'un épisode du grand chambardement.

Les 10 premières mutuelles de santé en France*

* La Mutuelle nationale militaire et la Mutuelle générale de la police n'ayant pas communiqué leurs chiffres, elles ne figurent pas dans ce tableau. Source : « l'Argus ».

Auteur

  • F. C.

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