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Débat

Comment faire travailler les salariés plus longtemps ?

Débat | publié le : 01.05.2001 |

À force d'abuser des préretraites, notre pays possède l'un des taux d'activité les plus bas chez les plus de 55 ans. Départs massifs des baby-boomers dans les années à venir, difficultés de recrutement, déficit des retraites…, tout concourt pourtant à ce que les entreprises soient contraintes de faire travailler leurs salariés bien plus tard qu'aujourd'hui. Comment peuvent-elles y arriver ? La réponse de trois experts.

« Il ne faut pas dissocier la durée de la vie active des conditions de travail. »

SERGE VOLKOFF Directeur du Centre de recherches et d'études sur l'âge et les populations au travail.

Comparée à ses voisins européens, la France présente des proportions élevées de salariés exposés à diverses pénibilités du travail ; un faible taux d'emploi des quinquagénaires ; d'importants écarts d'espérance de vie entre catégories sociales. On n'en conclura pas que la pénibilité du travail explique à elle seule la mortalité différentielle, ni que les préretraites ont servi d'alternative à l'amélioration des conditions de travail. Mais on ne peut dissocier le problème de la durée de vie active de celui des conditions de travail, avec leurs effets sur la santé et sur l'efficacité des travailleurs âgés dans les entreprises.

Plusieurs études relient les conditions de travail à la longévité ainsi qu'à une « usure » de l'organisme, qui se traduit par des douleurs articulaires, des déficiences sensorielles, des troubles du sommeil, le recours aux tranquillisants, etc. À l'inverse, un travail enrichissant et dont l'apport est reconnu constitue un important facteur de santé, y compris en fin de parcours professionnel. Les conséquences, pour la santé et le bien-être des salariés et des retraités, d'un allongement de ce parcours dépendent donc de la qualité de la vie de travail.

Quant à la question de l'efficacité des salariés vieillissants, et de la place qui leur sera faite dans les entreprises, elle se pose en tout état de cause, puisque les baby-boomers deviennent quinquagénaires. Comment gérera-t-on une progression du travail de nuit, ou du travail à la chaîne, en sachant que naguère ces contraintes étaient plutôt le lot des jeunes salariés et qu'ils sont de moins en moins nombreux ? Pourra-t-on maintenir le principe d'une différenciation entre âges dans la polyvalence, l'affectation aux nouvelles technologies, la formation continue ? Ou bien faudra-t-il repenser certaines caractéristiques du travail et des apprentissages pour les rendre davantage accessibles aux salariés de tous âges ?

En analysant les effets du vieillissement humain dans ses rapports avec le travail, on peut élargir les marges d'action pour anticiper sur ces questions. Les déclins fonctionnels liés à l'avance en âge ne doivent pas être négligés, sous des aspects aussi divers que la souplesse articulaire, la structure du sommeil ou la mémoire immédiate. Mais ces déclins sont en général modérés avant que l'on n'atteigne un grand âge et très variables d'une personne à une autre. Le travail influence fortement cette évolution, et peut aussi la révéler : certaines déficiences ne se manifestent que si le travail est très contraignant. En outre, les hommes et les femmes déploient, au fil de leur vie de travail, des stratégies individuel les et collectives pour tenir compte de leur propre vieillissement. Avec l'expérience, on choisit ses gestes, ses actions, l'ordre de ses tâches, on évite des difficultés, on anticipe sur d'autres en s'y préparant, on s'assure des bonnes coopérations, on aménage ses modes d'apprentissage, si les moyens de travail le permettent.

Du succès de ces stratégies et de la conception des moyens de travail (espaces, outils, logiciels, horaires, organisation des collectifs, modalités de formation…) dépendent à la fois les performances des entreprises avec une main-d'œuvre de plus en plus âgée, le bien-être de ces salariés, leur santé après la retraite et leur souhait plus ou moins vif de quitter le travail sans trop tarder.

« Il faut reconstruire une identité des salariés de plus de 50 ans au travail. »

DOMINIQUE THIERRY Délégué général de Développement et Emploi.

Aujourd'hui, les taux d'activité et d'emploi sont calamiteux pour les plus de 50 ans. Il semble impensable d'aborder la question de l'âge de la retraite si on ne traite pas avant et réellement la gestion des ressources humaines de ces salariés, en termes de formation, de conditions de travail, d'organisation du temps de travail et de rémunération. L'inversion des pratiques ne se fera que sous la contrainte de la nécessité et sur au moins cinq champs d'action prioritaires :

– La mobilité professionnelle précoce et, pour beaucoup, un nouveau métier autour de 45 ans. Sauf exceptions, on ne peut plus être prof trente-sept ans et demi, on ne peut plus travailler de nuit après 50 ans, on ne peut plus être chauffeur d'autobus ou conducteur de train après 55 ans… Nous n'assurerons pas un taux d'activité des plus de 50 ans équivalent à celui des 25-50 ans en bricolant à la marge, sauf à inventer des « emplois vieux » ou à fabriquer des bad jobs à l'américaine. C'est par de la prévention, en incitant, bien avant l'usure physique ou psychologique, à des reconversions professionnelles qu'il est nécessaire d'inventer des « secondes carrières ».

– La formation professionnelle tout au long de la vie. On n'a pas d'appétence pour la formation quand on n'a pas appris à l'apprécier et à l'utiliser pendant toute sa vie professionnelle. Par ailleurs, encore plus que pour les autres salariés, il est nécessaire de mettre au point des méthodes pédagogiques spécifiques s'appuyant sur l'expérience acquise et des démarches d'alternance et en faisant évoluer l'organisation du travail.

– La transformation des conditions de travail. Il est nécessaire d'admettre que les conditions de travail se sont profondément dégradées au cours des dix dernières années. Le passage d'une pénibilité physique à une pénibilité psychologique constitue l'une des raisons majeures de l'usure prématurée et du souhait, pour de nombreux salariés, de partir avant l'âge de la retraite.

À cet égard, on risque de s'apercevoir que le passage aux 35 heures ne fait qu'accélérer un processus inquiétant.

– L'aménagement du temps de travail et les retraites progressives. Il est évident que des aménagements et des réductions spécifiques constituent une réponse pour beaucoup de salariés vieillissants. La réduction généralisée et uniforme de la durée du travail a limité, voire totalement annulé, les marges de manœuvre dont nous aurions pu disposer en situation de croissance économique favorable.

– La reformulation de la notion d'identité professionnelle pour les salariés vieillissants. L'utilisation massive des mesures d'âge est un processus d'exclusion et la négation de l'utilité sociale d'une part de génération. Le maintien au travail des plus de 50 ans passe par la reconstruction d'une identité au travail, au sein de laquelle la reconnaissance de l'utilité sociale du travail accompli et la transmission intergénérationnelle des compétences devront prendre une place essentielle. Seul, dans l'histoire de l'humanité, le libéralisme a inventé une culture où les anciens ne servent à rien !

« Il faut ouvrir des perspectives professionnelles aux salariés de plus de 40 ans. »

PAUL SANTELMANN Chef du service prospective à la direction générale de l'Afpa.

La conjonction entre reprise de l'emploi et démographie laisse entrevoir un allongement du maintien au travail de nombreux salariés et le déplacement de la formation continue vers les plus de 40 ans. Un tel impératif risque de n'avoir guère d'effet attractif auprès de ceux qui, jusqu'à présent, étaient plutôt incités à se préparer aux départs anticipés qu'à développer et diversifier leurs connaissances dans le champ professionnel. Au-delà des contraintes démographiques, c'est l'accélération des mutations du travail qui nécessite un effort de formation destiné à toute la population active. Encore faut-il organiser cette dynamique en direction de tous les âges et non pas au seul profit des jeunes (diplômés) promis à des carrières éclairs.

Jusqu'à présent une grande partie des salariés âgés s'est sentie peu concernée par des modernisations qui ressemblaient plus à des rouleaux compresseurs qu'à des opportunités d'évolution ou de promotion. Le désarroi de nombreux ouvriers et employés à l'égard des démarches de requalification ou de conversion ne vient pas d'une incapacité à apprendre mais résulte d'une situation où l'exercice de la majorité des métiers de base était l'unique horizon social et professionnel. Entre 16 et 25 ans, tout était joué en matière d'investissement-formation. Certes, de nombreux salariés ont acquis de nouvelles connaissances et compétences en cours de vie, mais celles-ci ont rarement été reconnues ou mises en valeur. L'accès à la formation continue, contingenté pour les moins qualifiés, ne s'est ouvert que quand ils étaient au chômage. On peut donc comprendre que l'attachement au travail se soit effrité dès le milieu de carrière et que l'usage des préretraites ait eu tant de succès.

La formation tout au long de la vie et la validation des acquis de l'expérience n'auront de portée que si elles s'inscrivent dans un mouvement de perspective professionnelle des plus de 40 ans combinant enrichissement des contenus et amélioration des conditions de travail. Une telle politique doit être menée très en amont des processus de décrochage ou d'exclusion qui se manifestent dans l'entreprise et qui alimentent souvent la stigmatisation des plus âgés. Elle permettra de révéler les potentiels d'acquisition de savoirs des travailleurs âgés qui valent ceux des plus jeunes.

Il n'a jamais été constaté de contre-performance significative liée à l'âge. La diversité des profils d'apprentissage, constatée chez les jeunes, se maintient avec l'âge et milite pour une diversification des approches formatives. De ce point de vue, il n'y a pas de modèle pédagogique pour travailleurs vieillissants à inventer. Il faut d'abord réunir des conditions favorables d'engagement, d'adhésion et de motivation, d'autant plus efficaces qu'elles seront contractualisées dans le courant de la vie professionnelle et non pas dans les périodes d'urgence et de basculement. C'est là que se situe l'enjeu majeur des discussions actuelles entre partenaires sociaux. Le projet professionnel prendra tout son sens pour ceux qui n'ont eu comme perspective que le maintien dans l'emploi faiblement qualifié et routinier. Les trop rares actions de requalification de salariés âgés n'ont eu d'impact que sur la valorisation des emplois occupés ou ciblés.