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Idées

Mettre en relation des entreprises qui licencient avec celles qui recrutent est-il efficace sur le marché de l’emploi ?

Idées | Débat | publié le : 25.02.2021 |

Le dispositif Transitions collectives, mis en place dans le cadre du plan de relance pour favoriser les transitions professionnelles entre les entreprises et entre les branches, a été lancé à mi-janvier. Le ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, qui avait annoncé un appel à manifestation d’intérêt destiné à identifier les territoires pilotes sur lesquels le dispositif serait expérimenté, avait déjà, début janvier, reçu 100 réponses, dont 42 de territoires d’industrie. Plus généralement, une question se pose…

Patrick Martin Président délégué du Medef.

Le nouveau dispositif Transitions collectives, auquel le Medef a largement contribué, s’inscrit dans une boîte à outils complétée notamment ces derniers mois par l’activité partielle de longue durée (APLD). Certes, ce nouveau dispositif Transitions collectives n’est qu’un élément d’une politique de l’emploi plus large… Sera-t-il à la hauteur des enjeux ? Nous l’espérons. Nous estimons en tout cas qu’il doit être mis en place le plus vite possible, car la situation des entreprises risque de se détériorer dans les mois qui viennent, avec la menace de faillites et de destructions d’emplois. Notre philosophie est toujours la même : d’une part, il faut à tout prix éviter, pour les salariés qui risquent de perdre leur emploi, de passer par la case chômage, pour des raisons évidentes qui vont des conséquences psychologiques et sociales aux aspects financiers pour l’État. Et nous nous devons d’apporter des réponses en ce sens. D’autre part, nous sommes convaincus que c’est à l’échelle territoriale et interprofessionnelle qu’il faut agir, grâce notamment à des plateformes de mise en relation. Des premières initiatives individuelles, telle celle de Sodexo, qui s’est rapproché de Korian, ont déjà donné de bons résultats – limités, toutefois. Il s’agit, avec l’aide des acteurs régionaux tels les Crefop, les associations paritaires Transition pro, les Opco et tous les opérateurs du Conseil en évolution professionnel, d’identifier les besoins et de décloisonner les filières dans les bassins d’emplois. Bien sûr, une reconversion professionnelle ne s’improvise pas. En misant sur la mobilité volontaire, dans le cadre d’un parcours sécurisé, associée à des actions de découverte des métiers, nous estimons, ainsi que le ministère du Travail, que grâce à ce dispositif quelque 100 000 salariés pourraient se reconvertir d’ici à 2023.

Aurélie Feld Directrice générale de LHH France.

Créer des passerelles de compétences, dans un même territoire, entre les entreprises qui réduisent leurs effectifs et celles qui recrutent, l’idée paraît simple et lumineuse. Elle évite d’accroître le chômage, de contraindre les salariés à une mobilité géographique, et permet de renforcer leurs compétences, en les orientant vers un métier d’avenir. Pourtant, le dispositif doit être réfléchi, pour ne pas devenir une « usine à gaz » qui le rendrait inopérant. La première étape est d’être capable d’identifier les postes à pourvoir et les compétences qui seront disponibles, et d’évaluer les passerelles envisageables. Si quelques grandes entreprises, soutenues par des consultants experts, commencent à s’engager dans cette démarche, les multiples PME fragilisées par la crise sont souvent isolées. Une solution serait de réunir l’ensemble des acteurs, notamment dans les plateformes territoriales : les entreprises, la Direccte, la Région, les organisations professionnelles, les organismes consulaires, des experts de l’ingénierie de l’emploi… Quand les besoins et ressources sont identifiés, il faut alors définir la formation nécessaire, choisir l’organisme adéquat et constituer des groupes de candidats volontaires pour une même période. Convaincre des salariés de prendre le risque de changer de métier et d’entreprise, pour éviter un licenciement, suppose aussi un investissement important des directions. Les transitions collectives peuvent devenir un enjeu de la politique de l’emploi, notamment pour les PME, en leur ouvrant une voie vers l’évolution des compétences. Mais l’entreprise doit conserver un rôle central, en anticipant l’adaptation permanente de ses salariés aux changements et construisant des passerelles dont chacun comprend le sens.

Nadine Levratto Directrice de recherche au CNRS, directrice d’EconomiX, université Paris Nanterre.

Les politiques de l’emploi territorialisées permettent de créer un écosystème qui répond aux besoins des entreprises, des acteurs publics et des salariés. Organiser les mobilités internes en s’appuyant sur la formation professionnelle facilite la coordination des acteurs, permet de toucher l’ensemble des catégories d’entreprises, y compris les PME, et de répondre plus rapidement aux besoins d’ajustement récurrents entre offre et demande d’emploi. La résorption du chômage ne pourra cependant pas uniquement découler d’un transfert de salariés des entreprises en repli vers celles en croissance après une période de formation. En effet, ces politiques ne fonctionnent qu’en présence d’un chômage dit structurel lié à une inadéquation de la qualification des actifs aux besoins de compétences des entreprises. La formation peut alors permettre l’accès à l’emploi en dotant les salariés des compétences nécessaires. Implicitement, ces politiques dites d’activation du marché du travail considèrent que les demandeurs d’emploi sont, au moins en partie, responsables du chômage. Or depuis le début de l’année 2020, la baisse exceptionnelle de l’activité et de la demande est à l’origine de l’envolée du chômage. Dans ces conditions, mettre en relation des entreprises en repli et en croissance constitue peut-être une solution avantageuse individuellement, mais elle ne pourra contribuer que marginalement à résoudre les problèmes du marché du travail. Il semble en effet illusoire de vouloir créer des emplois simplement en élevant le niveau des qualifications. Les politiques du marché du travail doivent favoriser la création d’emplois privés et publics. Elles doivent pour cela s’appuyer sur des politiques industrielles dont l’objectif est d’organiser l’adaptation des entreprises aux grands défis sociétaux. Il est alors du ressort de l’État de fixer l’agenda et les objectifs à atteindre, de manière à orienter les stratégies et les projets d’investissement.

Ce qu’il faut retenir

// Mauvaise nouvelle. Si, selon le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC), sur l’ensemble de l’année 2020, le nombre de faillites devrait être plus faible qu’en 2019, avec près de 15 000 défaillances de moins (– 37,1 %), c’est parce que les entreprises ont bénéficié de divers dispositifs (plus de 470 milliards d’euros d’aides publiques, dont la majorité en garanties de prêts) mis en place par l’État dans le cadre de la crise sanitaire et économique. Mais les faillites vont arriver courant 2021, prédit l’OFCE. De quoi causer, selon cet institut, quelque 200 000 destructions d’emplois. De fait, Euler Hermès estime que cette année, le nombre de faillites pourrait s’élever à 50 000, deux fois plus que l’an dernier, et à 60 000 en 2022…

// Bonne nouvelle. Cherchant à protéger les salariés qui seront touchés de plein fouet par le mouvement de destructions d’emplois, l’État a conçu, en fin d’année dernière, un nouveau dispositif, Transitions collectives, qui vise à protéger les salariés peu qualifiés et dont l’emploi est menacé, en leur proposant un cycle long (jusqu’à 24 mois) de formation les préparant à des métiers porteurs et/ou des métiers dans des secteurs qui peinent à recruter sur leur bassin d’emploi. L’État finance tout ou partie du projet de reconversion en fonction de la taille de l’entreprise. La rémunération et la formation des salariés sont ainsi prises en charge à hauteur de 40 % pour les entreprises de plus de 1 000 salariés. Elle sera de 75 % pour les entreprises de 300 salariés jusqu’à 1 000, tandis que pour les petites et moyennes entreprises ou les TPE, l’État prendra en charge 100 % de la rémunération et de la formation des salariés.

Source : https:travail-emploi.gouv.fr/formation-professionnelle/formation-des-salaries/transitions-collectives

En chiffres

1 sur 3

C’est, selon l’Observatoire des trajectoires professionnelles, qui constate une augmentation notable des reconversons professionnelles, la proportion d’actifs ayant connu une transition professionnelle en 2018. Si « ceci va de pair avec une reprise du marché de l’emploi, 2018 étant, selon l’Insee, l’année avec le taux d’activité le plus élevé en France depuis 1975 », explique l»Observatoire, l’étude montre que « ces transitions professionnelles touchent près de 80 % des 18-26 ans ». De même, « les trajectoires professionnelles qui ont le plus évolué en 2018 sont les personnes mobiles (CDD, intérim, etc.) et les personnes qui se réorientent ».

Source : www.groupe-igs.fr/actualites/lenquete-2019-de-lobservatoire-des-trajectoires-professionnelles

15 milliards d’euros

C’est, au sein du plan France Relance de 100 milliards d’euros, détaillé le 3 septembre dernier par le Gouvernement, la dotation pour l’emploi et la formation, articulée autour du plan jeunes, du dispositif d’activité partielle et de l’investissement dans les compétences. Ce volet accompagne les reconversions à hauteur de 400 millions d’euros et la modernisation du secteur de la formation pour 300 millions d’euros.

Source : www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/plan-de-relance/annexe-fiche-mesures.pdf