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Idées

Consultations et négociations obligatoires : la « peste » de Freud

Idées | Bloc-notes | publié le : 20.02.2021 | Antoine Foucher

On rapporte que Freud, invité en 1909 à donner aux États-Unis une série de conférences sur la psychanalyse, et étonné de l’accueil enthousiaste de la foule, fit à Jung et Ferenczi la confidence suivante : « Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste. »

Introduites par les articles 20 et 21 du projet de loi « Convention citoyenne pour le climat », la nouvelle obligation pour les branches comme pour les entreprises de plus de 300 salariés de négocier sur la GPEC « pour répondre notamment aux enjeux de la transition écologique », et la nouvelle exigence pour toutes les entreprises d’intégrer dans les consultations du CSE, ponctuelles comme récurrentes, les « conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise », pourraient bien ressembler, tant pour la partie employeur que salarié, à la « peste » de Freud.

Entendons-nous bien : de même que la psychanalyse a constitué l’un des grands progrès du XXe siècle dans la connaissance de l’âme humaine, l’installation des enjeux environnementaux au centre du dialogue social des entreprises et des branches est une avancée indispensable pour contribuer à lutter contre le réchauffement climatique. Mais tout comme les Américains, avec Freud, n’avaient pas conscience de la remise en cause fondamentale (la peste donc) que la psychanalyse allait introduire dans notre conception de l’humain et de la société, il y a fort à parier que les partenaires sociaux, dont la grande majorité salue à juste titre le projet de loi, ne réalisent pas encore complètement les conséquences du progrès que représentent ces nouvelles obligations.

Côté salariés d’abord. À partir du moment où toute l’organisation de l’entreprise doit tenir compte de ses conséquences environnementales, c’est tout ce qui est consommateur d’énergie, et avant tout carbonée, qui doit être revu à la baisse. Nécessité donc, de définir une trajectoire de réduction du train de vie des salariés : moins de déplacements, moins d’espace, moins d’équipements individuels ou moins souvent renouvelés, sans parler des avantages traditionnels des cadres dirigeants, comme les voitures plus ou moins grosses, qui vont rapidement devenir intenables. Il n’est pas jusqu’aux activités sociales et culturelles qui ne soient à terme impactées : combien de temps encore pour les lointains voyages subventionnés ou les chèques cadeaux libres d’utilisation ? Le « grain à moudre » cher à André Bergeron va changer de goût : même dans les entreprises en croissance, c’est sur la réduction continue des avantages et pratiques consommatrices d’énergie des salariés dans l’entreprise que les organisations syndicales vont devoir se prononcer, si ce n’est négocier.

Mais, en matière de rupture de paradigme, la partie patronale n’est pas mieux lotie. À partir du moment où l’entreprise, en présentant sa stratégie, devra également en exposer les conséquences environnementales, c’est potentiellement toute sa chaîne de valeur qui s’en trouvera interrogée. Des délocalisations aisément justifiables par une recherche nécessaire de compétitivité devront désormais être précédées d’un examen de leurs impacts environnementaux, notamment en matière de transport lorsque l’opération conduit à éloigner lieux de production et de consommation. Il en ira de même pour les groupes qui ont éclaté aux quatre coins du monde leurs composants pour les assembler dans un pays unique, ou pour toutes les politiques d’achat qui ignorent superbement la dimension carbone au profit du moindre coût. À terme, pour les entreprises, c’est une quasi-obligation de régionaliser les chaînes de valeur, de rapprocher bassins de production et d’usage, et d’innover partout et sans cesse pour réduire la consommation d’énergie carbonée, aussi invisible qu’omniprésente dans toutes leurs activités.

Auteur

  • Antoine Foucher