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Les RH face aux enjeux de la transformation

Dossier | publié le : 15.02.2021 | Muriel Jaouën

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Les RH face aux enjeux de la transformation

Crédit photo Muriel Jaouën

Lestée par une organisation complexe et un fonctionnement encore empreint de rigidité, la fonction publique doit multiplier les chantiers pour faciliter la mobilité et accompagner les parcours de ses agents. Sans tarder, car la désaffection gagne du terrain.

Colonne vertébrale d’une société où l’État occupe un rôle matriciel, la fonction publique en France a toujours été un terrain d’emballements contradictoires. Les études d’opinion confirment régulièrement l’attachement des citoyens aux principes et aux missions de service public. À l’avenant, elles pointent leur mécontentement devant les « lourdeurs » de l’administration. Les gouvernements en place depuis trente ans font quant à eux de la fonction publique un objet récurrent de leurs velléités réformatrices. On la dit trop coûteuse, peu performante, organiquement hermétique à la transformation. Mais, dans les séquences les plus critiques de la crise sanitaire, on applaudit à l’unisson le rôle de ses agents, soignants, enseignants, dans le maintien des services publics essentiels. « Le débat autour de la fonction publique est plus serein qu’il n’a pu l’être dans le passé. Le discours stigmatisant une fonction publique qui serait dépensière autant qu’inefficiente trouve moins d’écho », affirme Michel Badré*, conseiller au Conseil économique, social et environnemental (CESE).

La fonction publique n’en cristallise pas moins une querelle idéologique entre les tenants d’une économie libérale et les défenseurs de l’État social. Avec, pour point central de crispation, l’emploi public. Depuis trente ans, la réduction du nombre de fonctionnaires revient de manière récurrente dans le débat politique. Paradoxalement, dans la même période, les effectifs publics n’ont cessé de croître. Au début des années 80 avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, ils s’envolent et franchissent la barre des quatre millions. La hausse connaît une brève pause sous la présidence Chirac pour reprendre en 1988. Entre 2007 et 2012, le principe du remplacement d’un retraité sur deux dans la fonction publique d’État va priver l’administration centrale de 9 % de ses agents, mais le redéploiement des effectifs vers d’autres administrations stabilise finalement le nombre global d’emplois. Depuis, les courbes ont renoué avec la hausse. Après avoir atteint un pic historique, l’emploi public semble aujourd’hui stabilisé autour de 5,5 millions d’agents, soit un cinquième de la population active.

La France, un pays suradministré ?

Si l’on se réfère à l’OCDE, le « taux d’administration » de l’Hexagone (nombre d’agents pour 1 000 habitants) se situe à 89 ‰, soit dans une « moyenne haute », devant le Royaume-Uni (80 ‰), la Belgique (75 ‰), a fortiori les États-Unis (68 ‰), et très au-dessus de la situation japonaise (40 ‰). Mais près de deux fois en deçà des pays scandinaves, Norvège en tête. Plus que son poids social, c’est sans doute la gestion managériale de la fonction publique qui focalise les commentaires. « À quoi assiste-t-on depuis trois décennies ? Dégradation des conditions de travail des agents, gel de l’indice salarial, pression sociale accrue venant des usagers, pression du management également à la hausse, manque de reconnaissance de la part de la hiérarchie, mal-être au travail : le diagnostic est inquiétant », constate Luc Rouban, sociologue, directeur de recherche au Centre de recherches politiques de Sciences Po Paris (Cevipof).

Une fois n’est pas coutume, le diagnostic est partagé. Si elle veut s’adapter à la contrainte économique ainsi qu’aux nouveaux défis d’une société de plus en plus complexe, fracturée et individualiste, la fonction publique doit être plus représentative, plus agile, plus ouverte et plus attractive. « Nous sommes face à de réels enjeux managériaux. Organisations du travail, nouvelles compétences, dynamiques de collaboration, éradication de tout un formalisme inutile : les employeurs doivent innover tous azimuts », soutient Emmanuel Gros, vice-président national du Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT).

400 corps et statuts

Avec ses 95 articles et sa facture très technique, la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique sera-t-elle une « loi de plus » ? Dialogue social, GRH, transitions professionnelles, égalité hommes-femmes : près de 80 ans après la création du statut des fonctionnaires, le gouvernement promet en tout cas d’impulser des changements importants pour les agents et les employeurs. Le chantier est colossal. L’emploi public en France se caractérise en effet par sa complexité. Il y a d’abord trois versants distincts : la fonction publique de l’État (qui regroupe les ministères, mais aussi les établissements publics administratifs, comme Pôle emploi), la fonction publique territoriale (régions, départements, communes, syndicats intercommunaux) et la fonction publique hospitalière. À l’intérieur de ces trois pans, chaque fonctionnaire appartient à un « corps » et relève d’un « statut » ou encore d’un « cadre d’emploi ». Malgré les velléités récurrentes de simplification du système, on compte près de 400 corps et statuts dans le public, répartis au sein de trois « catégories » : A (l’équivalent des cadres dans le secteur privé), B (les professions intermédiaires) et C (les ouvriers et employés). À quoi vient s’ajouter de facto – car elle n’a pas d’existence juridique – une quatrième catégorie A+, désignant les emplois de direction. Ils étaient 127 000 fin 2017 dans l’ensemble des trois fonctions publiques (dont 84 000 enseignants des universités et chercheurs).

Dans un tel contexte, le gouvernement dispose d’un bras armé pour coordonner sa politique : la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), souvent désignée comme la « DRH de l’État » (lire l’interview de sa directrice générale, Nathalie Colin, pages suivantes). La tâche n’en est pas moins titanesque et les directeurs et responsables des ressources humaines au sein des trois versants ne partent pas avec les mêmes armes. Si la fonction publique territoriale a su à bien des égards se montrer plutôt innovante, la fonction publique d’État reste calcifiée sur une vision ultra-administrative des RH : gestion anonyme des agents, accompagnement des parcours indigent, valorisation des compétences des plus lacunaires. « Au CESE, nous avons été frappés par le fait que la fonction RH, souvent, n’y a aucun visage, pas de réalité concrète, ni pour les agents, ni même pour leurs managers. Dans l’Éducation nationale par exemple, la plupart du temps, aucun référent RH n’est identifié par les enseignants », explique Michel Badré.

L’attractivité, un combat de tous les jours

Pour favoriser la proximité dans la gestion des ressources humaines, certains organismes publics ont engagé des démarches de déconcentration. Souvent présentée comme le plus grand CHU d’Europe, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui emploie 70 000 personnes sur 39 hôpitaux, s’est organisée autour de six groupements hospitaliers. « La structure centrale abrite ce qui s’apparente à une DRH groupe, qui coordonne la politique RH, gère la négociation sociale centralisée et pilote les questions statutaires. Mais les ressources humaines sont très liées au management local des groupements et plus encore des hôpitaux », explique Sylvain Ducroz, DRH de l’AP-HP, qui chapeaute dans sa propre équipe 130 personnes.

Plus encore que les deux autres versants, la fonction publique hospitalière doit juguler un phénomène de désaffection d’une partie de ses personnels, lassés par des conditions de travail particulièrement difficiles. « L’attractivité est un combat de tous les jours », confirme Sylvain Ducroz. À l’AP-HP, beaucoup de soignants habitent à plus de 45 minutes de trajet de leur lieu de travail. Une situation difficilement compatible avec des plages horaires de travail de plus en plus étendues. « Nous avons beaucoup investi dans le logement social, via notre propre parc immobilier et en passant des conventions avec des bailleurs. Aujourd’hui, l’AP-HP parvient à loger 15 % de ses soignants, avec un objectif de 20 % à court terme », poursuit le DRH.

Un petit dixième des agents a changé de poste

La question de l’attractivité renvoie frontalement à celle de la mobilité. En 2018, 9,1 % des agents de la fonction publique ont changé de poste. Dans la moitié des cas, il s’agissait d’un changement d’employeur (dont la très grande majorité à l’intérieur du versant d’origine), pour 48 % d’un nouvel horizon géographique et pour 36 % d’un changement de statut ou de situation. La loi du 6 août 2019 a fait de la mobilité l’un des axes majeurs de la réforme : instauration de la portabilité du CDI entre les trois versants et de la portabilité des droits acquis au titre du compte personnel de formation entre le public et le privé. Reste qu’au-delà des incitations et des outils, l’accompagnement de la mobilité demeure très lacunaire. « La fonction publique territoriale est certes un peu en avance sur la fonction publique d’État. Mais dans l’une comme dans l’autre, la mobilité reste essentiellement de l’initiative de l’agent et émane très rarement d’une proposition managériale. En fait, la mobilité est autant encouragée dans les textes que découragée dans la pratique », affirme Olivier Dupont, directeur du secteur public national au sein du cabinet de conseil Sémaphores.

Pour piloter la mobilité, les DRH publiques doivent être en capacité de prévoir les besoins en termes d’emplois et de compétences. « Il faut ensuite simplifier et harmoniser les statuts, les mécanismes de paiement des primes, définir des parcours de carrière qui incluent des passerelles et qui rassurent les candidats à la mobilité, travailler sur les différences entre Île-de-France et province pour mieux réguler les flux et promouvoir les territoires et bassins d’emplois sur lesquels la fonction publique veut renforcer sa présence », développe Pierre Fragnier, associé d’Alixio Change Management.

Mais au-delà de ces déterminants RH et managériaux, la mobilité ainsi que la diversité des recrutements et des carrières supposeraient qu’on agisse sur le centre névralgique de l’organisation du secteur public, le système des corps, et sa logique ultra-hiérarchique. « Les corps sont le ciment d’une division grandissante du travail : d’un côté, une fonction publique de cadres au niveau de l’État qui décide de tout et impose ses lois, et de l’autre, une fonction publique territoriale de terrain, composée en majorité d’ouvriers et d’employés qui finissent par se sentir relégués en marge du système », développe Luc Rouban. Plus qu’une nouvelle loi, c’est véritablement le courage politique qui pourrait sonner le glas du corporatisme de la fonction publique.

* Co-auteur de deux avis du CESE : « L’évolution de la fonction publique et des principes qui la régissent » (2017) et « Évolution des métiers de la fonction publique » (2018).

Auteur

  • Muriel Jaouën