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Le laboratoire de la « territoriale »

Dossier | publié le : 16.02.2021 | Muriel Jaouën

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Le laboratoire de la « territoriale »

Crédit photo Muriel Jaouën

Statut peu flexible, effectifs vieillissants, conditions de travail dégradées par endroits, budgets de plus en plus congrus… Malgré un environnement contraint, les DRH territoriaux innovent.

Serait-ce la « bonne élève » de la fonction publique ? En ce qui concerne la gestion des ressources humaines, sans aucun doute. Souvent décrite comme bureaucratique, rigide et verticale, la fonction publique territoriale multiplie les initiatives et expérimentations sur le champ managérial. Il faut dire que les territoires ont ici un atout de taille par rapport à la fonction publique d’État : ils sont les employeurs directs de leurs agents et ont à ce titre la maîtrise d’œuvre sur la gestion de leurs effectifs et de leur management. Une marge de manœuvre qui, sur le plan organisationnel, permet d’éprouver des modes de gouvernance davantage axés sur la communication interne et l’amélioration des relations sociales et, sur le plan RH, de miser sur l’autonomie, la responsabilisation et l’implication des agents.

À la différence des entreprises, qui relèvent du Code du travail, les territoires sont soumis au Code de la fonction publique. Mais la fonction RH dans les collectivités a su dépasser le strict tropisme juridique pour adopter des méthodes et des modèles assez proches de ceux du privé. « Les RH territoriales ont beaucoup évolué durant les quinze dernières années. Elles se sont affranchies de leurs attributs historiques que sont la paie et la carrière, pour irriguer de manière transverse une multiplicité de champs : développement des compétences, amélioration des conditions de travail des agents, expérience collaborateur, marque employeur », se félicite Johan Theuret, directeur général adjoint chargé du pôle ressources humaines de la ville et de la métropole de Rennes et président de l’association des DRH des grandes collectivités territoriales (ADRHGCT).

Massifs transferts de compétences

Pourtant, les territoires ne partaient pas gagnants. Il leur a d’abord fallu digérer un afflux d’effectifs qui n’avait rien à envier aux mouvements massifs de personnels suscités par les fusions-acquisitions du secteur privé. En cause : les lois de décentralisation et leurs transferts de compétences de la fonction publique d’État vers les communes, départements et régions. Entre 2007 et 2010, ce sont ainsi 140 000 agents qui ont changé d’employeur. Pour les collectivités, il a fallu intégrer ces nouvelles cohortes, ajuster leurs dépenses de personnel (entre 2006 et 2010, la masse salariale des régions a plus que triplé) et engager de profondes réorganisations de leurs services. Les régions, par exemple, ont hérité de la gestion des personnels techniciens et ouvriers de services (TOS) des lycées. Un bouleversement pour des structures regroupant jusqu’alors essentiellement des cadres. À la région Île-de-France, par exemple, 8 500 des 10 300 agents sont des techniciens travaillant dans les 465 lycées du territoire. « Quand je suis arrivée à la direction des ressources humaines du conseil régional en 2016, j’ai dû constater à quel point ces milliers d’agents de catégorie C qui avaient changé brutalement de tutelle n’avaient bénéficié d’aucune stratégie réelle d’intégration », raconte Fabienne Chol, DRH du conseil régional. Le temps de la digestion à peine passé, les communes sont à leur tour entrées dans une vague de « restructurations », avec l’émergence et le développement massif des intercommunalités. Les directeurs généraux des services et les responsables des ressources humaines ont géré à bras-le-corps d’épineuses stratégies de mutualisation des personnels.

Si les nouvelles frontières de la gestion communale posent encore de véritables problèmes sur le plan administratif, la mise en place de ces « supra-communes » aura au moins eu un effet bénéfique pour la qualité de l’emploi, a minima de l’emploi cadre. « Les territoires ont été marqués ces dernières années par deux phénomènes concomitants. D’une part, une diminution des effectifs globaux, notamment imputable à la suppression des emplois aidés. D’autre part, une évidente montée en compétences, en particulier dans les fonctions d’encadrement supérieur et de direction, due au développement des intercommunalités », explique Luc Alain Vervisch, directeur des études à La Banque postale.

Le défi des compétences

Transitions numérique et environnementale obligent, les territoires se trouvent confrontés, comme tous les employeurs publics ou privés, à une rapide évolution de leurs besoins en compétences, avec, à la clé, de nouveaux enjeux de recrutement, de fidélisation et de gestion des parcours. Conséquence logique de la valorisation des contenus des postes : une tension accrue sur le marché de l’emploi, renforcée par une conjonction de facteurs démographiques et politiques. « On estime qu’environ deux tiers des directeurs généraux des services (DGS) du bloc communal seront renouvelés dans les 18 mois », note Florence Vialle, directrice des consultants chez Light Consultants, cabinet de recrutement spécialisé dans la fonction publique territoriale.

La recherche de profils de plus en plus « capés » ne se limite pas au périmètre communal. Les départements, qui ont hérité d’une grande partie des prestations sociales, sont également concernés. « Nous sommes soumis à des exigences accrues de la part du public. L’action sociale, notamment, requiert des qualités inédites : connaissance globale de l’écosystème, rapidité de compréhension des situations individuelles, forte capacité d’empathie. Nous avons en face de nous des candidats certes diplômés, mais il faut croire que le niveau des concours devient insuffisant au regard des exigences des métiers », explique Jean-François Galliard, président du conseil départemental de l’Aveyron.

Les préparations aux concours et examens professionnels, c’est le domaine réservé du Centre national de la fonction publique territoriale, l’organisme de formation des collectivités. En 2019, le CNFPT a formé plus d’un million de personnes, soit un peu plus de la moitié des effectifs territoriaux. Les logiques de formation des collectivités, elles aussi, s’adaptent aux mutations professionnelles, en privilégiant de plus en plus des contenus non obligatoires, qui représentent 68 % des sessions, dont les deux tiers conçus sur mesure. « Il faut aujourd’hui rallier tout un public qui s’en tient trop massivement éloigné. Je pense à cette majorité d’agents d’exécution qui compose l’emploi territorial et pour laquelle il s’agit de mener d’urgence un colossal travail d’accompagnement des parcours, de montée en compétences et de reconversion dans les années à venir », explique France Burgy, directrice générale du CNFPT.

Des cadres de plus en plus exigeants

Les efforts consentis sur la formation ne renvoient pas à la seule exigence sociale. Ils constituent une brique de la stratégie d’attractivité des territoires. La crise sanitaire a musclé les exigences du côté de candidats de plus en plus nombreux à envisager une mobilité, y compris géographique, pour gagner en qualité de vie. Valérie Simonet, présidente du conseil départemental de la Creuse, confirme cette nouvelle impulsion : « Notre image de ruralité a longtemps été un obstacle à l’attractivité du département auprès des populations cadres. C’est clairement en train de changer. »

En ouvrant les robinets de la mobilité, la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 devrait accélérer la tendance, avec un cheval de Troie clairement désigné : le contrat, forme d’emploi dérogatoire au naguère sacro-saint statut, qui représente déjà un cinquième des effectifs.

La torsion statutaire a permis de répondre au besoin d’intégration de nouvelles compétences, notamment dans les fonctions SI, et, de manière plus générale, d’apporter de l’air frais. Mais la cohabitation de deux formes d’emploi a aussi introduit du flou. Les contractuels n’ont pas la sécurité de l’emploi, mais ils peuvent plus facilement négocier les contours de leur mission et leur rémunération. « On est en train de jouer la carte du “deux poids, deux mesures”. Ce n’est pas encore source de conflits. Mais cela génère d’ores et déjà de nouveaux comportements. Aujourd’hui, de plus en plus de fonctionnaires cherchent à négocier leur prime. Demain, certains – sans doute légitimement – se demanderont quel intérêt ils ont à rester dans la fonction publique. Il va falloir rapidement clarifier les choses », prévient Fabienne Chol, DRH de la région Île-de-France.

Auteur

  • Muriel Jaouën