logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

« La dimension RH doit être le pivot du changement »

Dossier | publié le : 17.02.2021 | Muriel Jaouën

Image

« La dimension RH doit être le pivot du changement »

Crédit photo Muriel Jaouën

Piloter et coordonner la politique des ressources humaines commune à l’ensemble de la fonction publique, c’est le rôle de la DGAFP. Explication de la nouvelle directrice générale, nommée en octobre 2020.

Quel est le rôle de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique, souvent présentée comme la DRH de l’État ?

Nathalie Colin : La DGAFP conçoit et élabore les modalités juridiques et opérationnelles de la politique de ressources humaines de la fonction publique définie par le gouvernement. Il existe un statut général des fonctionnaires qui fixe les droits, les obligations et les règles applicables à la fonction publique. Il faut faire vivre la loi dans le respect de ce statut général. Mais si l’on veut impulser, animer et diffuser la politique de transformation, il faut également savoir faire évoluer ce cadre pour adapter la fonction publique à la société d’aujourd’hui et de demain. Ce qui renvoie à des enjeux de diversité, d’égalité des chances, de numérisation, d’innovation dans les modes de travail. Ce qui implique aussi que l’on sache orienter les pratiques d’une vision administrative des RH à une véritable culture managériale.

N’est-il pas difficile d’impulser une vision dans un écosystème aussi complexe et protéiforme que la fonction publique ?
Image
« La dimension RH doit être le pivot du changement »
Crédit photo : Muriel Jaouën

N. C. : La diversité des versants, des statuts et des corps est d’abord une richesse. Il y a de surcroît un socle de principes et de valeurs commun à toute la fonction publique. Les fonctionnaires sont tous au service de l’intérêt général, ils ont la mission du service public chevillée au corps. Par ailleurs, nous travaillons en étroite concertation et coopération avec l’ensemble des ministères, des employeurs territoriaux et des employeurs hospitaliers, pour donner de la cohérence au système et fédérer autour de cet objectif de transformation, qui doit mettre les ressources humaines au cœur de ses priorités. De ce point de vue, nous tirons les enseignements des erreurs du passé : nous subissons encore aujourd’hui les effets négatifs de la révision générale des politiques publiques (RGPP) de 2007. À l’époque, la réforme avait été envisagée d’abord comme un sujet de réorganisation structurelle. Or on ne peut pas transformer la fonction publique sans associer ceux qui la portent. La dimension RH doit être le pivot du changement. La loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique va dans ce sens. En redéfinissant le cadre législatif et réglementaire de la fonction publique de manière innovante, elle permet d’accompagner le changement de façon plus efficace et de mieux prendre en compte cette dimension des ressources humaines.

Quels sont les grands enjeux auxquels doivent répondre les employeurs dans la fonction publique ?

N. C. : L’emploi public souffre aujourd’hui d’un déficit d’attractivité. Depuis plusieurs années, on constate une érosion des candidatures aux différents concours. C’est un sujet préoccupant, qu’on peut notamment traiter de deux manières : en travaillant sur la marque employeur de l’État, notamment auprès des jeunes, et en rendant le recrutement plus à l’image de la société française. Il faut favoriser la diversité, en tout cas là où c’est nécessaire, en l’occurrence plutôt au niveau des catégories A, c’est-à-dire des fonctions d’encadrement et d’encadrement supérieur.

Comment « ouvrir » les concours supérieurs à des publics issus de la diversité ?

N. C. : Par exemple en renforçant la capacité d’accueil du réseau des classes préparatoires intégrées. Il s’agit de formations adossées à nos écoles de service public (instituts régionaux d’administration et Ena) ou à des universités. Ces classes, au nombre de 27, permettent à des jeunes des milieux défavorisés qu’ils soient lycéens, étudiants ou chômeurs de se préparer aux concours de la fonction publique et, pour ce faire, de bénéficier d’une allocation annuelle. En 2021, le nombre d’étudiants accueillis dans ces classes préparatoires intégrées va passer de 700 à 1 700 et le montant de l’allocation annuelle est revalorisé de 2 000 à 4 000 euros.

La centralité du concours dans les processus de sélection peut-elle être remise en cause ?

N. C. : Le concours reste essentiel, car il est le garant d’une sélection fondée sur les compétences et donc du principe d’égalité des chances. Il n’en demeure pas moins que nous pouvons revoir certaines épreuves. Pour certains concours de la fonction publique qui recrutent déjà à bac + 3, on peut se demander s’il est absolument nécessaire d’imposer aux candidats une nouvelle couche d’épreuves à teneur très académique. Pourquoi ne pas solliciter davantage les capacités comportementales, les fameux soft skills : esprit d’équipe, d’initiative, leadership…

Emmanuel Macron avait dit son souhait de supprimer l’Ena. Il ne l’a pas fait. L’École est-elle le nœud gordien des blocages de la haute fonction publique ?

N. C. : Le rapport de la mission « haute fonction publique » remis au gouvernement en janvier 2020 a pointé la question de la diversité comme LE sujet de la haute fonction publique. Pour ce qui est précisément de l’Ena, il faut tout de même rappeler l’existence de trois concours : l’externe, l’interne – chacun couvrant à peu près 45 % des postes – et le concours ouvert au privé, qui donne accès à un dixième des postes. Au-delà de l’Ena, le gouvernement veut aborder la question de la haute fonction publique de manière globale. La création d’un tronc commun aux élèves suivant une formation initiale au sein de certaines grandes écoles va dans ce sens.

Qu’en est-il aujourd’hui des parcours de carrière dans la fonction publique ?

N. C. : Nous disposons de textes statutaires, très complexes, très indigestes, qui précisent à la perfection les modalités d’évolution selon les corps, les échelons, les grades. Sur le papier, tout est décrit, tout est cadré. Mais on ne fabrique pas des parcours de carrière avec les seuls textes. Il s’agit donc de se doter de méthodes et d’outils pour repérer, révéler, accompagner les aspirations et besoins individuels des agents. Aujourd’hui, on ne sait pas toujours répondre à ces attentes. Il s’agit aussi de définir les critères et modalités de construction des parcours, de savoir comment on développe les mobilités. C’est pleinement le rôle de la DGAFP.

La loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 refond totalement les instances du dialogue social…

N. C. : L’objectif de la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques est de rendre le dialogue social plus efficace et de le recentrer sur les orientations stratégiques de gestion des ressources humaines. Cela passe notamment par des mesures phares, comme la réforme des commissions administratives paritaires (CAP). Jusqu’à présent, ces instances réunissant à parité l’administration et les représentants du personnel décidaient, corps par corps, des mutations, des mobilités, des avancements de grade. Ce système présentait de réelles limites. J’ai été DRH au secrétariat général du ministère de l’Intérieur, je parle d’expérience : nous passions des centaines d’heures à batailler avec les syndicats, liste contre liste, pour parfois n’aboutir qu’à peu d’évolution. Depuis le 1er janvier 2020, les CAP sont recentrées sur les questions disciplinaires, les refus d’autorisation d’un certain nombre de demandes (temps partiel, formation), c’est-à-dire des décisions individuelles. Elles ne sont plus compétentes en matière de mutation et de mobilité, et, à partir du 1er janvier 2021, elles ne le seront plus en matière d’avancement et de promotion.

Où seront négociés les sujets stratégiques ?

N. C. : C’est précisément l’objet de la mise en place de la négociation collective dans la fonction publique. Sur des sujets majeurs comme l’égalité professionnelle, les parcours de carrière, l’organisation du travail, les impacts de la numérisation, la qualité de vie au travail, le gouvernement entend favoriser la conclusion d’accords négociés entre les employeurs publics et les syndicats. L’ordonnance sur la négociation dans la fonction publique est une innovation majeure, qui ouvre la voie à une approche radicalement nouvelle du dialogue social. Comme tout ce qui est inédit, ce nouvel horizon du dialogue social peut susciter des inquiétudes, tant du côté des organisations syndicales que du côté de l’administration. Il y a un travail d’acclimatation à mener. L’administration, qui a longtemps été dans une posture un peu défensive dans le jeu de la négociation, va par exemple devoir apprendre à proposer.

Vous avez été nommée par décret le 21 octobre 2020. Vous êtes là pour combien de temps ?

N. C. : J’occupe un emploi « à la discrétion du gouvernement ». J’ai été nommée en conseil des ministres, cela signifie que je peux me voir signifier mon congé chaque mercredi. Mon souhait est de m’inscrire dans la durée pour faire progresser les chantiers de ressources humaines majeurs portés par la ministre de la Transformation et de la Fonction publique.

Auteur

  • Muriel Jaouën