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Décodages

Le mécénat à l’épreuve de la crise

Décodages | RSE | publié le : 23.02.2021 | Irène Lopez

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Le mécénat à l’épreuve de la crise

Crédit photo Irène Lopez

Depuis 2010, le nombre d’entreprises mécènes ne cesse d’augmenter. 10 000 entreprises supplémentaires deviennent mécènes, en moyenne, chaque année. La France compte ainsi près de 100 000 entreprises ayant déclaré des dons pour un montant global qui dépasse les 3 milliards d’euros. Mais la crise économique risque de casser cette dynamique.

SOS mécénat ! La crise sanitaire qui s’est muée en crise économique fait courir un réel danger sur le mécénat, qu’il bénéficie au social, à la culture ou à l’éducation. Une étude menée en juin 2020 par l’Association pour le développement du mécénat industriel et commercial (Admical) révélait que 41 % des entreprises mécènes prévoyaient de revoir leur stratégie, 7 % étant même certaines de s’engager dans de nouveaux domaines. Et selon les résultats d’une enquête Ifop qui complète le baromètre Admical, 58 % des PME mécènes, 64 % des entreprises de taille intermédiaire mécènes et plus de huit grandes entreprises sur dix changeront leur stratégie de mécénat, leur budget ou les deux suite à la crise sanitaire. Au global, 60 % des entreprises mécènes prévoient que leur politique de mécénat sera impactée par la crise liée à la Covid-19 et 87 % d’entre elles estiment que l´engagement sociétal des entreprises risque d’être ralenti par la crise économique.

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Le mécénat à l’épreuve de la crise
Crédit photo : Irène Lopez

> Sylvaine Parriaux, Déléguée générale d'Admical

Les sommes en jeu sont considérables. Selon le baromètre 2020 de l’Admical, le budget global du mécénat atteignait en effet quelque 3 milliards d’euros ! Certaines dépenses de mécénat ont largement défrayé la chronique, par exemple, le don de 200 millions d’euros consenti par LVMH pour le sauvetage et la restauration de la cathédrale de Notre-Dame de Paris. Du point de vue des sommes engagées, le mécénat est l’affaire des grandes entreprises, mais les TPE et PME représentent néanmoins l’écrasante majorité des entreprises mécènes en France (96 %) et contribuent à hauteur d’un quart (23 %) aux dépenses de mécénat. Néanmoins, leurs actions sont moins médiatisées.

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Le mécénat à l’épreuve de la crise
Crédit photo : Irène Lopez

> Diane Abel, Responsable des études, Admical

C’est le cas d’Horizon Bleu, une agence de communication de 20 salariés qui accompagne principalement le monde de la culture. Cet engagement répond à la sensibilité du directeur général de l’agence, Didier Janot, et de son équipe. « Depuis 25 ans, nous soutenons en particulier l’art contemporain et la musique, comme un orchestre à cordes qui joue pour des publics n’ayant pas accès à la culture », explique Didier Janot. Horizon Bleu consacre, chaque année, 2 à 3 % de son chiffre d’affaires au mécénat. « Le mécénat, c’est notre supplément d’âme. Cela nous permet de nous ouvrir sur l’extérieur. L’abattement fiscal n’a jamais été notre moteur », souligne son directeur, qui préside d’un groupe mécène d’une quarantaine d’entreprises. « Beaucoup de dirigeants ont une ambition citoyenne. Nous entreprenons, nous créons des emplois. Nos employés vivent dans un territoire, nous aussi. Nous avons envie de servir le territoire. Cela fait partie d’une philosophie d’entrepreneur qui s’investit dans la vie solidaire. Aujourd’hui, la démarche est connue de la génération des jeunes patrons. Mais, avant, nous accompagnions des associations sans savoir que c’était du mécénat. »

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Le mécénat à l’épreuve de la crise
Crédit photo : Irène Lopez

> François Debiesse, Président, Admical

Mais la crise est déjà passée par là et plusieurs entreprises membres du groupe viennent d’envoyer leur lettre de démission. « À cause de la crise économique consécutive à la crise sanitaire, les entrepreneurs ont commencé à regarder toutes les économies possibles. Quand le chiffre d’affaires baisse, le mécénat n’est plus une priorité », regrette Didier Janot. En temps normal, le directeur d’Horizon Bleu est sollicité par des porteurs de projets toutes les semaines. Avec la Covid-19, les possibilités de rencontre se sont réduites. Et nombre de projets ne peuvent aboutir « Je suis mécène d’une exposition sur le photographe Gilles Caron. Elle est montée et a été produite. Mais on ne peut pas la voir. Cette crise va avoir un impact important dans les années à venir. Des entreprises en difficulté vont arrêter le mécénat. D’autres vont réorienter leurs aides vers la solidarité et la santé. À périmètre égal, les autres secteurs vont en pâtir. »

La réorientation des budgets de mécénat vers le social et la santé laisse présager des difficultés majeures pour les autres secteurs comme la culture. « Pour 85 % des entreprises mécènes interrogées, il est important de privilégier le domaine du social à l’avenir, indique Anaïs Vincent-Luce, responsable de l’Observatoire de Pro Bono Lab. 83 % pensent que certains domaines seront délaissés au profit des actions de solidarité. » François Debiesse, président d’Admical, en est également convaincu : « Nous envisageons une croissance du secteur de la santé. Mais nous ne savons pas s’il y aura report du social vers la santé ou si la santé s’en trouvera augmentée. Entre l’émotion de la première vague et la structuration de la politique, il y a un décalage. » Il craint cependant qu’à se focaliser sur les problèmes sanitaires criants, les mécènes délaissent la culture, d’apparence moins urgente. Ce qui serait, à son sens, une erreur et qui manifeste une réelle inquiétude pour les deux ans à venir.

Tirer des enseignements de la crise.

Malgré les difficultés, certaines entreprises affirment leur volonté de maintenir leur engagement. À contre-courant d’une tendance au désengagement, dix pour cent des entreprises mécènes pensent même augmenter le montant de leurs dons en 2021 ! La Caisse des dépôts et consignations fait partie de celles qui maintiendront leur implication. L’institution financière, très impliquée dans la culture, notamment dans la danse et l’architecture ainsi que l’éducation, exerce un mécénat financier direct, tant à l’échelon local que national. « Nous n’abandonnerons pas nos secteurs, comme la culture. En revanche, notre engagement va être aujourd’hui adapté. Nous allons tirer les enseignements de cette crise. Le mécénat financier n’est pas suffisant. Il est important d’apporter une autre aide. Nous allons ainsi développer le mécénat de compétences », affirme Sylvie Roger, directrice du mécénat et des partenariats à la Caisse des dépôts et consignations.

Plus généralement, le mécénat de compétences s’installe progressivement, depuis moins de trois ans. Près d’une entreprise mécène sur quatre utilise désormais cette forme d’engagement, qui représente 11 % des dépenses globales de mécénat. La forme la plus courante est celle qui mobilise les compétences professionnelles des salariés, sur plusieurs jours, le plus souvent entre deux et cinq jours. Avec, à la clé, une expérience nouvelle et un sentiment de fierté pour les collaborateurs impliqués. À la Caisse des dépôts, Sylvie Roger imagine un accompagnement sous forme de coaching : « Il est important de ne pas soutenir que des projets. Il convient d’aller au-delà : dans l’organisation et la structuration de nos partenaires. Il faut les soutenir avec tous les moyens qui sont à notre disposition. » Pour Anaïs Vincent-Luce, responsable de l’Observatoire de Pro Bono Lab, le développement du mécénat de compétences passe par son intégration dans la stratégie RH et RSE des entreprises. En ces temps de crise, cette pratique moins coûteuse pour les finances des entreprises a peut-être de l’avenir devant elle.

La culture, l’apanage des grandes entreprises

Diane Abel, responsable des études chez Admical, commente : « Un quart des entreprises mécènes soutient la culture, mais les plus grandes entreprises ainsi que les entreprises franciliennes sont bien plus enclines à pratiquer le mécénat culturel. Elles soutiennent avant tout la diffusion culturelle au travers des musées, des expositions et de la musique. En pratiquant le mécénat culturel, les mécènes cherchent en priorité à participer à l’attractivité d’un territoire et à concrétiser le goût du dirigeant ou l’histoire de l’entreprise. » Selon le baromètre de l’Admical, une minorité de mécènes culturels reçoit des contreparties à leur engagement, sous forme de billets d’entrée et/ou d’une visibilité sur les supports de communication. Les principaux bénéficiaires sont le plus souvent leurs clients et leurs partenaires ainsi que leurs collaborateurs.

Le sport, un mécénat de proximité

Le social est le domaine qui bénéficie le plus du mécénat au regard du montant de dépenses (chiffres 2019), mais le sport est celui qui est le plus fréquemment choisi. Pour Laurent Letailleur, chef du bureau du sport professionnel et de l’économie au ministère des Sports, « nous sommes au début d’une histoire du mécénat sportif en France. » Sylvaine Parriaux, déléguée générale d’Admical, confirme cette tendance à partir des résultats du baromètre de l’association, qui s’appuie depuis deux ans sur les données du ministère de l’Économie et des Finances. « Plus de la moitié des entreprises mécènes interviennent dans le domaine sportif, et cette proportion est encore plus forte au sein des plus petites entreprises. En 2019, les mécènes sportifs ont soutenu trois projets en moyenne. L’écrasante majorité des mécènes sportifs aident en priorité des associations sportives locales, et près d’un mécène sur deux promeut le sport comme vecteur de lien social. Les mécènes sportifs estiment pour les trois quarts que leur budget va rester stable à l’avenir, et 20 % considèrent qu’il va diminuer. »

Les entreprises mécènes qui ne choisissent pas le secteur sportif sont généralement engagés dans d’autres domaines de mécénat (le social, la culture…). Mais le manque d’intérêt des dirigeants arrive juste après. « Il y en a beaucoup à convaincre. Le vivier est grand. Évangéliser les acteurs fait partie de la feuille de route 2021 de la ministre déléguée chargée des Sports, Roxana Maracineanu », souligne Laurent Letailleur.

Conscient que les PME représentent un énorme potentiel, l’État n’a cessé de favoriser le mécénat des petites et moyennes entreprises. Depuis 2003 et la loi Aillagon, les entreprises mécènes ont la possibilité d’obtenir une réduction fiscale au titre du mécénat à hauteur de 60 % du montant de leurs dons, dans la limite de 0,5 % de leur chiffre d’affaires hors taxe. Il s’agit de la loi dite « Aillagon ».

Or, pour les petites entreprises, cette limite est très vite atteinte (5 000 euros pour un chiffre d’affaires d’un million d’euros). La loi de finances 2019 a permis la mise en place d’une franchise de 10 000 euros, au-delà de laquelle le plafond continuait de s’appliquer. L’année dernière, la loi de finances a instauré un nouveau plafond alternatif de 20 000 euros pour développer le mécénat des PME. Cette réelle incitation financière sera-t-elle suffisante ? On ne le saura probablement qu’à l’issue de la crise.

Auteur

  • Irène Lopez