Certes, la nature du problème a changé : depuis une vingtaine d’années, la pénibilité physique a reculé, supplantée par la souffrance psychique devenue la première plainte des salariés et par conséquent la préoccupation essentielle des médecins du travail. Une souffrance psychique aux causes multiples. La surqualification par rapport au travail effectué. Les humiliations encaissées par ceux qui ne peuvent partir car ils ne savent rien faire d’autre. Les injonctions paradoxales qui exigent des salariés de faire de la qualité en rognant sur le temps et les moyens dont ils disposent. Enfin et surtout, l’auteure pointe l’intensification et la complexification de la charge de travail. un phénomène qui découle de la production en flux tendus, du « lean management », des formes d’organisation et de management en transformation trop rapide, souvent sous la pression d’actionnaires qui exigent des niveaux excessifs de rentabilité. Autant de souffrances que les employeurs mis en cause relativisent en invoquant des salariés fragiles, des troubles de la personnalité. Les salariés français occupent la quatrième place en productivité horaire au rang mondial, mais sont aussi de grands consommateurs de psychotropes, car il faut bien « tenir ». Que peut alors faire le médecin ? Poser une inaptitude définitive à un poste pose souvent un dilemme au soignant car il peut en découler un licenciement. Le médecin du travail porte donc une lourde responsabilité, ce qui n’empêche pas qu’il soit déconsidéré regrette Marielle Dumortier. Les salariés qui viennent à la visite médicale parce qu’on le leur impose s’en méfient, soupçonnant le médecin d’être forcément un allié de l’employeur. Les dirigeants d’entreprise, qui paient une cotisation, pensent que n’importe quel généraliste pourrait remplir cette mission à moindres frais. Même les confrères considèrent trop souvent le médecin du travail comme une sous-spécialité alors que « la plupart d’entre eux sont dans l’impossibilité d’établir le lien entre la santé et les conditions de travail ». Consolation, la Covid-19 a rappelé à tous l’importance de cette spécialité qui a fait la preuve de son utilité et de sa réactivité.

Marielle Dumortier, Cherche-Midi, 17,80 euros