Excellente année 2021 ! L’annus horribilissime 2020 est derrière nous, et les vaccins devant nous !
Qu’en restera-t-il en matière sociale ? Un grand, grand chambardement dans l’organisation des entreprises, sans que notre droit du travail légal et même conventionnel (ANI du 26 novembre 2020) ne s’en émeuve plus que ça. Alors que nombre de collaborateurs télétravaillent à leur domicile depuis bientôt un an, tout va revenir comme avant ?
Mais évitons les jugements binaires : car comme les nouvelles technologies, le télétravail n’est pas bon ou mauvais en soi, tout dépend de ses conditions d’exercice. Et méfions-nous : ses conséquences sont souvent contre intuitives. Deux exemples…
1 Forcément tous geeks, les jeunes collaborateurs vont vouloir travailler tranquillement chez eux. Mauvaise pioche… Au-delà de la dimension de leur logement, ils veulent bénéficier d’un environnement professionnel leur permettant d’avoir des réponses rapides en cas de problème : en passant la tête dans le bureau du manager, ou en allant voir d’autres apprentis. Et même un groupe WhatsApp n’aboutit pas aux mêmes résultats, ni techniques ni humains…
2 Les personnes en situation de handicap seraient censées n’attendre qu’une chose : pouvoir télétravailler à leur domicile, car finis transports stressants et coups de fatigue au bureau…C’est généralement l’inverse : souvent isolées, elles recherchent un collectif et ne veulent justement pas être ainsi marginalisées. Côté entreprises, jouant parfois les nouveaux convertis, voici quatre GG (« grosses gaffes ») à éviter.
Certes, comme le rappelle l’ANI du 26 novembre 2020, pour nombre de talents, la possibilité de travailler à distance est un avantage concurrentiel en matière d’attractivité, et de fidélisation.
Mais télétravailler, ce n’est pas seulement emporter son ordinateur à la maison, a fortiori si l’on passe de un jour à trois jours par semaine, seuil du grand basculement organisationnel. C’est un séisme en entreprise mais aussi dans la famille, nécessitant des ajustements permanents en raison des contraintes au carré : de l’entreprise + du collaborateur, laissant les managers sur les rotules. Alors d’abord, éviter de créer des faux espoirs : ainsi de syndicats fiers d’avoir signé un accord très ouvert, mais que 84 % des demandes ont été finalement rejetées par les managers. Exécution déloyale de l’accord ?
Ensuite « festina lente ». Commencer par un retour d’expérience du confinement 1 puis du, fort différent, confinement 2 : côté managers, mais également côté salariés, directement concernés. Puis, par exemple, sur le réseau interne, une « foire aux questions » un peu téléphonée : « Pourrais-je travailler le mercredi ? » Réponse : « Le mercredi reste un jour télétravaillable, mais il est déconseillé car le télétravail n’est ni un temps partiel ni un nouveau mode de garde des enfants. »
Enfin, de ludiques tests destinés à faire réfléchir le collaborateur sur ses capacités techniques mais aussi d’autonomie personnelle et professionnelle pour travailler à distance, avec un score final lui permettant de savoir où se situer… et donc la réponse probable de son manager. Pour ne pas insulter l’avenir, le premier accord sur le télétravail sera à durée déterminée d’un an, avec un comité paritaire de suivi permettant de résoudre les problèmes au fil de l’eau.
Sans oublier un unique référent télétravail, vers lequel convergeront toutes les questions : juridiques, techniques, organisationnelles. Car rien de pire que des réponses divergentes selon les services ou les établissements.
C’est-à-dire en gérant au fil de l’eau des situations individuelles, pour l’essentiel des cadres autonomes en forfait-jours. Or, une dynamique est lancée depuis bientôt un an, avec une rapide et très appréciée démocratisation du télétravail, mais aussi son élargissement à deux voire trois jours par semaine (seuil du basculement général) : des règles collectives sont donc indispensables. Mais, charte ou accord d’entreprise ? Cinq raisons pour privilégier la négociation collective…
1 Le télétravail reste souvent une somme de pratiques très individualisées (exemples : enfants, localisation du domicile…) percutant directement le collectif, et en particulier l’équipe. Pour le DRH, il s’agit d’assembler ce complexe puzzle : il ne peut se limiter à exaucer des vœux individuels souvent légitimes.
2 Au pays de l’égalité en forme de jalousie du jardin du voisin, les avantages des uns sont scrutés par les autres, avec d’éventuels contentieux en inégalité de traitement aboutissant à un alignement de tout le monde vers le haut.
3 Un accord d’entreprise permet d’aligner les usages antérieurs et les avantages issus d’autres accords : QVT, handicap, droit à la déconnexion voire PSE en cours…
4 Cet accord donne une immense liberté aux négociateurs d’entreprise, le télétravail faisant partie du bloc 3 de l’ordonnance du 22 septembre 2017. En bref, les partenaires sociaux sont maîtres à bord, y compris sur les sujets sensibles (comme les coûts), du moment qu’ils ne touchent pas aux règles d’ordre public : durée du repos, prise en charge des instruments de travail, etc.
5 Si l’accord est unanime, comme c’est souvent le cas en matière de télétravail, il est source de consensus collectif et donc de moindre contentieux… Quand on sait que des syndicats ont réclamé en justice des chambres d’allaitement (Cass. Soc., 25 novembre 2020), il faut penser à ceux invoquant, demain, l’article R. 4227-5 (« Les locaux sont desservis par des dégagements dont la largeur ne doit jamais être inférieure à 0,80 mètre »), R. 4213-3 (« Les locaux comportent à hauteur des yeux des baies transparentes donnant sur l’extérieur »), voire R. 4228-13 (« Le sol et les parois des cabinets d’aisances sont en matériaux imperméables permettant un nettoyage efficace »). Consensus en forme de légitimité accrue lorsqu’il faudra s’expliquer aux prud’hommes, par exemple sur le refus opposé à un salarié car son poste n’avait pas été considéré comme télétravaillable… mais par les partenaires sociaux.
Comme le montre l’étude de l’Ademe de juillet 2020 (« Télétravail, (Im)mobilité et modes de vie »), le bilan global n’est pas du tout celui attendu.
Quelques chiffres, très bruts : la fabrication de nos terminaux, à partir de matières premières rares, représente la moitié du CO2 du numérique ; et chaque seconde dans le monde, 1 000 portables sont jetés et sont non recyclés. Le streaming a explosé (« Viséo, ergo Zoom » ?)…Or, chaque minute de visioconférence produit un gramme de CO2. La consommation d’énergie ? Dans sa maison nettement plus énergivore que son immeuble de bureaux, le télésalarié consomme 10 % d’énergie en plus… sans diminuer la consommation de l’entreprise, qui garde ses locaux ouverts.
Sans parler des nouveaux comportements : certes, moins de trajets quotidiens, mais parfois déménagement plus loin du bureau et donc davantage de distance parcourue, utilisation de la voiture libérée par les autres membres de la famille… Votre DSI vous révélera ses petits trucs : éviter de passer par Google, et intégrer à vos « favoris » vos sites préférés, cela divise par quatre les émissions GES.
Expérience faite après les saisons 1 et 2 du confinement, c’est parfois l’inverse : télétravaux = gros macho.
Les mères de jeunes enfants et autres « aidants » sont, certes, très demandeurs de télétravail : quel soulagement d’être proche des personnes que l’on aime, tout en pouvant continuer à travailler ! Cette solution est la moins mauvaise lors d’un confinement obligé. Mais le télétravail n’étant ni un temps partiel ni un nouveau mode de garde, il faut éviter de créer d’inhumaines injonctions contradictoires en forme d’écartèlement.
Lors de la saison 1 (confinement familial total), l’injonction paradoxale objectifs professionnels/vie familiale a surtout pesé sur les femmes, et en particulier sur les mamans de jeunes enfants, malgré de gros progrès du côté des conjoints.
Lors de la saison 2, si un choix était offert, ce sont surtout les femmes qui ont demandé à télétravailler à domicile. L’article 4.4.2 de l’ANI prend alors tout son sens : « L’éloignement physique du salarié en télétravail des centres de décision ou du manager ne doit pas conduire à une exclusion des politiques de promotion interne et de revalorisation salariale » ; et deux autres articles sont consacrés aux politiques de gestion des ressources humaines, et à l’égalité femmes-hommes.
Idem pour les quatre millions d’aidants familiaux français, malgré leur priorité légale d’accès. Car cette double responsabilité provoque nécessairement d’intenables dilemmes : si l’enfant handicapé ou le père très âgé demandent de l’aide, mais que le PowerPoint pour demain est loin d’être terminé… A fortiori car les trois quarts des « aidants » sont des « aidantes »