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Idées

Sortir de la course folle aux technologies

Idées | Livres | publié le : 31.01.2021 | Lydie Colders

Dans cet essai « Technologies partout, démocratie nulle part », Irénée Régnauld et Yaël Benayoun, fondateurs du Mouton numérique, démontent pied à pied le culte du progrès de l’lA. Dérives éthiques ou conditions de travail, les nouvelles luttes sociales témoigneraient d’un besoin de « repenser la valeur » des technologies. Une réflexion stimulante.

Peux-tu continuer à vanter « le deep learning » susceptible de créer des voitures sans chauffeurs, en « cachant sciemment les armées de travailleurs du clic qui les entraînent » ? Ou croire que l’automatisation rimera avec progrès social, alors qu’elle « augmente les cadences » et l’ubérisation ?

Dans cet essai percutant, Irénée Régnauld et Yaël Benayoun, consultants et fondateurs de l’association « Le Mouton numérique » critiquent « cette idéologie du progrès », malgré ses dérives éthiques.

Pour eux, « les mobilisations croissantes d’un grand nombre d’étudiants, de travailleurs ou de citoyens » contre les Gafa attestent qu’il faut abandonner cette course folle » aux technologies ».

Passant au peigne fin ces mobilisations face au « capitalisme de surveillance » (chapitre passionnant sur le mouvement citoyen contre le projet de ville connectée à Toronto conclu avec Google), les auteurs entendent montrer que la fronde gagne du terrain chez les citoyens et jusqu’au cœur même de la « tech ». Ils évoquent les « technoluttes » qui se développent dans la Silicon Valley, avec une foule d’exemples à l’appui, comme le site de lanceurs d’alerte « SpeakOut.tech » lancé par des salariés du secteur, ou la fronde des cadres de Microsoft contre la vente de casques de réalité virtuelle destinée au Pentagone. Une contestation qui se diffuserait jusqu’aux collectifs d’étudiants d’écoles d’ingénieurs en France, refusant de travailler pour les Gafa, face à l’urgence climatique. Ou dans ce manifeste de travailleurs du numérique « Onestla.tech » pendant la dernière réforme des retraites, dénonçant l’automatisation qui détruit le travail. Des signaux timides, mais à prendre en compte.

Des lois restrictives

Côté entreprise, les auteurs pointent les risques d’une « aliénation accrue » : algorithmes gérant les plannings des caissières en fonction de l’affluence, manutentionnaires de la logistique « exécutant dorénavant les ordres d’une commande vocale qui leur dicte » les tâches à accomplir. Ce portrait glaçant inspiré d’Amazon peut sembler excessif. Mais il donne à réfléchir aux contre-pouvoirs nécessaires. S’ils déplorent des syndicats « affaiblis » par les ordonnances Macron, Irénée Régnauld et Yaël Benayoun pointent les limites des « plans de prévention des risques » qui ne remettent jamais en cause un outil jugé « inéluctable ». Ils plaident donc pour un cadre qui « fixerait des limites aux technologies, en questionnant les valeurs qu’elles incarnent, en terme de justice sociale, de démocratie ou d’environnement ». Et proposent d’élargir la loi sur le principe de précaution aux technologies, qui gagneraient à couvrir des risques politiques et sociaux, « comme la précarisation ou l’isolement ». Des « garde-fous » dont pourraient s’emparer les syndicats comme les citoyens. Un propos ambitieux, qui sort du fatalisme ambiant.

« Technologies partout, démocratie nulle part ».

Irénée Régnauld et Yaël Benayoun, Ed. Fyp, 240 pages, 20 euros.

Auteur

  • Lydie Colders