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Les cabinets en conseil RH tentent de limiter la casse

Dossier | publié le : 23.01.2021 | Dominique Perez

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Les cabinets tentent de limiter la casse

Crédit photo Dominique Perez

Se mobiliser pour affronter la « casse sociale » annoncée, en répondant à l’urgence, mais également aux sujets de changement, d’accompagnement managérial, de digitalisation qui perdurent et se renforcent même pendant la crise : le conseil en ressources humaines est placé face à des défis aussi complexes qu’immédiats.

L’heure des restructurations massives a sonné, même si elle n’a pas encore donné sa pleine mesure. Aéronautique, automobile, restauration collective, tourisme, agro-alimentaire… Les 600 PSE annoncés fin novembre par de grands groupes, essentiellement dans des secteurs fragilisés par la crise, sont les premiers d’une série qui sera forcément destructrice, quand le PGE (prêt garanti par l’État) devra être remboursé et que les dispositifs de chômage partiel cesseront de maintenir l’emploi. Face à cette déferlante, les cabinets spécialisés dans le conseil en ressources humaines ou les divisions RH des cabinets d’audit et de conseil n’ont pas d’autre choix que de se réorganiser eux-mêmes pour faire face. Cette crise à nulle autre pareille place les acteurs du marché face à des enjeux nouveaux, tout au moins par leur amplitude. « L’objectif premier actuellement est de faire le nécessaire et rien que le nécessaire, d’avoir un geste le plus léger possible pour porter le moins atteinte à l’appareil de production, constate Aurélie Feld, directrice générale du cabinet LHH. Nous ne sommes pas encore au plus fort de la crise. Les entreprises essaient de travailler sur les départs volontaires, les accords de performance collective, la GPEC, avant, si la crise se durcit, d’avoir recours à des PSE. Notre activité de restructuring se porte bien… »

Le sur-mesure pour répondre à la crise

Se préparer dans l’incertitude pour faire face est l’une des difficultés communes aux cabinets et aux entreprises. Confrontés à des demandes dont la complexité le dispute à l’urgence, les premiers doivent aussi s’adapter très vite. « La spécificité de cette crise est que l’on doit répondre à des restructurations concernant potentiellement des départs nombreux de salariés, parfois plusieurs centaines, mais également dans des délais et avec des calendriers très courts, témoigne Chrystelle Thirion, directrice du conseil RH chez Siaci Saint Honoré. Dernièrement, on nous a demandé d’ouvrir un PIC (point d’information conseil) une semaine après la signature d’un contrat. De plus en plus souvent, nous n’avons que quelques jours… c’est inédit. »

Les missions de conseil en amont d’une restructuration se multiplient, plus complexes, et surtout de plus en plus « sur-mesure ». Une évolution qui était déjà amorcée avant la crise, mais qui s’accélère. « La crise a réveillé les transitions en cours, constate Sybille Delaporte, directrice générale du cabinet RH BPI Group. Nous intervenons sur la partie évolution des compétences, formation des managers et sur l’accompagnement du changement, sur lequel nous sommes très sollicités. Après le premier confinement, les DRH nous ont appelés sur des thèmes comme la remobilisation des équipes. Leurs questions maintenant sont : comment retrouver la performance économique, dans une optique plus responsable, et quel véhicule juridique (activité partielle de longue durée, dispositions de transition collective, plan de performance collective, GPEC territoriales…) utiliser notamment pour préserver les compétences pour l’après… » Nommée fin octobre dernier directrice des ressources humaines du Groupe Alpha, dans le cadre d’une nouvelle gouvernance, Anne Gallissot-Quintin reconnaît que la crise a un impact à la fois sur « le volume et le contenu des activités. Nous étions déjà depuis quelque temps, dans nos métiers d’audit et de conseil, appelés à accompagner les entreprises dans un travail sur la transformation des métiers. Cette crise a amplifié nos métiers de conseil RH et a accéléré nos prestations “sur mesure”, ainsi que demandé des compétences nouvelles en digitalisation, que l’on intègre dans nos activités… ».

Face à ces demandes, le renforcement des équipes ou le transfert de consultants sur ces missions est à l’ordre du jour. Nombre de cabinets ont eux-mêmes eu à souffrir à la fois d’une baisse d’activité et d’une adaptation à marche forcée aux nouveaux modes d’échange en télétravail. « D’un côté, des cabinets RH ont été eux-mêmes affectés par la crise sanitaire, avec moins de missions surtout lors du premier confinement, mais doivent aujourd’hui s’adapter très vite sur un marché, celui du restructuring, pour lequel tout le monde n’était pas prêt, analyse Nicolas Le Corre, chargé d’études senior au sein de Xerfi. Tous les consultants RH ne sont pas forcément au fait de ce type de sujets, et certains cabinets qui avaient réorienté leurs ressources plutôt vers d’autres activités, doivent s’adapter très vite. Soit en organisant des formations accélérées de leurs consultants, soit en recrutant en externe pour renforcer leur département restructuring. » Même les plus grands cabinets reconnaissent, bien qu’avec difficulté, qu’ils ont souffert. « Nous avons été plutôt résilients pendant la crise, mais les mois de mars et avril ont été compliqués, reconnaît Franck Cheron, associé conseil capital humain chez Deloitte, mais on a retrouvé une résilience dès le mois de mai. Les cabinets ont dû organiser eux-mêmes une sorte de restructuring, en repositionnant leurs collaborateurs. »

Plusieurs marchés s’ouvrent

Pour les cabinets, les réponses de court terme et stéréotypées ne peuvent être suffisantes et la différence se fera sur leur capacité à relier les problématiques RH à la stratégie de l’entreprise, selon Bruno Mettling, président fondateur de Topics, cabinet de conseil en transformation numérique et modernisation du dialogue social. « Évidemment, il est important de savoir aider les DRH à se positionner dans des réponses à court terme, mais ils doivent aussi être poussés dans des missions stratégiques et d’anticipation, estime-t-il. Y compris sur la question du dialogue social. On doit sortir de certaines positions conservatrices pour le moderniser. Idem pour la thématique de l’évolution du manager, très présente avant la crise, car le management de proximité est à bout de souffle. Il faut éviter de projeter tous les défauts de l’ancienne organisation, gérer le court terme, mais aussi profiter de cette période pour repositionner la fonction RH. » Gérer l’urgence du monde d’aujourd’hui tout en pensant le monde d’après en poursuivant les travaux engagés dans le « monde d’avant »… les problématiques se complexifient. « Il est vrai que les demandes des entreprises font que l’accompagnement des collaborateurs dans leur mobilité externe tend malgré tout à prendre un poids très important, parfois au détriment d’autres sujets comme le développement managérial, l’engagement, la reconnaissance, les politiques de rémunération, explique Chrystelle Thirion. Notre mission est de les sensibiliser au fait que ces missions sont d’autant plus importantes dans ce contexte. » Ne pas uniquement se concentrer sur les restructurations est une antienne commune aux cabinets de conseil RH. « Leur rôle, contrairement à ce que l’on dit souvent, est quand même d’éviter les plans sociaux, commente Benoît Serre, vice-président de l’ANDRH. Cela passe par de nouvelles organisations, des restructurations qui doivent prévoir le développement de nouvelles compétences et une adaptation de la force de travail. La digitalisation fait aussi partie de ces gros enjeux, elle va impacter les entreprises sur un plan technologique, mais également organisationnel, de management, etc. Ce qui est nouveau est que l’on a un marché qui s’ouvre ou est en train de s’ouvrir à la fois sur la réorganisation, la digitalisation et les nouveaux métiers qui seront directement corrélés à la stratégie business des sociétés. »

Penser à l’après

Tandis qu’au cours de ces dernières années, l’accent était mis sur les politiques RSE – même quand il avait surtout pour but de soigner sa marque employeur – il s’agit aujourd’hui de savoir comment éviter un virage trop brutal vers des annonces de plans sociaux massifs, au risque de voir s’effondrer brutalement la réputation de l’entreprise. Un exercice d’équilibriste qui nécessite « des capacités à répondre de manière extrêmement réactive, mais en même temps de ne pas abandonner d’autres missions. Par exemple, nous accompagnons un groupe pharmaceutique à la fois sur une réorganisation, mais aussi en communication RH sur la valorisation du programme de développement des managers, destinée à la fois à l’interne et à l’externe », explique Chrystelle Thirion. L’un des enjeux : ne pas vider le cœur « nucléaire » des entreprises, qui lui permettra non seulement de se maintenir dans la crise, mais également d’avoir des forces pour redémarrer à son issue. « Comment vais-je toucher le cœur du savoir-faire de l’entreprise ? Si je décide de me séparer de 60 personnes sur un effectif de 150, vais-je être capable demain de repartir ? Définir le périmètre des compétences spécifiques fait partie des grands défis », explique Thomas Dieuleveut, directeur du cabinet en ressources humaines et management Dieuleveut. Avant d’entrer dans « le dur » d’une restructuration, et depuis la fin du premier confinement, les cabinets doivent les accompagner dans cette sorte de zone « grise ». Et, en prévision de ce grand mouvement schumpétérien, le mercato des spécialistes, anciens DRH, directeurs des affaires sociales, voire responsables syndicaux ou managers de transition a déjà commencé.

Job Bridge : BPI Group mise sur l’innovation

Tutos, plateformes, modes d’accompagnement à distance… les cabinets ont dû eux-mêmes s’adapter à la crise et accélérer la digitalisation de leurs propres process sur ces thématiques. Autre chantier d’importance : accompagner les GPEC territoriales, à l’œuvre sur des bassins d’emploi particulièrement touchés par la crise. BPI Groupe mobilise ainsi son incubateur de start-up, Lab37, créé début 2020, pour favoriser les transitions professionnelles. Ce dernier a mis en test en Île-de-France, un nouvel outil « Job Bridge » : « Nous avons accéléré son développement pendant la crise sanitaire, explique Sybille Delaporte. Il permet de faire le “matching” entre les offres d’emploi disponibles et les candidats que nous accompagnons en outplacement, en faisant appel à l’intelligence artificielle ». Allant au-delà des compétences classiques, il prend également en compte les soft skills, le parcours professionnel… « C’est un outil prédictif, qui propose d’ouvrir le champ des possibles pour permettre d’aller sur des opportunités d’emploi que le candidat n’aurait pas imaginé. »

Auteur

  • Dominique Perez