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Quand le sport permet d’embaucher

Décodages | Recrutement | publié le : 22.01.2021 | Dominique Perez

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Quand le sport permet d’embaucher

Crédit photo Dominique Perez

Détecter les soft skills pour recruter autrement, favoriser la transférabilité des compétences, dynamiser son image… Le recours à des épreuves sportives séduit des entreprises qui cherchent à attirer de nouveaux profils.

Il y a encore quelques années, les recruteurs étaient friands des rubriques loisirs ou hobbies dans les CV, quand celles-ci mettaient en valeur un engagement sportif, une pratique assidue ou un engagement dans un club ou une association. Mais il aurait été difficile d’imaginer réunir des candidats sur un ring ou sur un stade pour les évaluer. Si le sport n’est pas encore devenu un outil de recrutement classique, il est de plus en plus utilisé pour entretenir un nouveau mode de relation avec les candidats. Recruter différemment pour attirer de nouveaux profils dans des secteurs dits « pénuriques », soigner sa marque employeur en proposant des innovations dans le process de recrutement, et, au passage, gagner des points au palmarès de sa politique RSE… Les justifications sont nombreuses.

Décathlon, précurseur du genre, est logiquement attendu sur cette thématique. L’enseigne d’articles de sport a commencé à inclure des épreuves sportives dans son process de recrutement il y a quelques années, en lançant l’opération « Viens en short ». En mêlant recruteurs et candidats dans des épreuves sportives, il s’agissait de recruter des candidats pour couvrir les besoins des magasins avant les saisons estivales ou hivernales. Pas pour « identifier des athlètes de haut niveau », mais pour « mesurer des aptitudes révélées en sport d’équipe », souligne Kamel Medjabra, responsable des relations écoles, recrutement et marque employeur de Décathlon France. Guère surprenant, à la vue de l’exigence de base pour être recruté par l’enseigne : être passionné par au moins un sport.

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Quand le sport permet d’embaucher
Crédit photo : Dominique Perez

« Voir qui prend le lead ou qui change les règles. »

Et cette méthode a ensuite été reprise par la direction financière du groupe, basée à Lille. Depuis 2016, elle a également décidé d’introduire le sport dans la sélection des candidats aux fonctions financières et IT (technologies de l’information) de l’entreprise. En organisant un véritable marathon, d’une demi-journée à une journée, qui mêle processus classique de recrutement avec tests collectifs, entretiens et épreuves sportives. « On leur propose quelques objets et ils doivent en inventer un sport, qu’ils expérimentent ensuite en compagnie des recruteurs, explique Kamel Medjabra. Ce qui nous intéresse, c’est leur créativité, mais aussi leur comportement sur le terrain. La manière dont ils collaborent, échangent pendant le match, lancent les tactiques, réconfortent ceux qui échouent… Dans la défaite, on voit qui prend le lead, et qui change les règles… » Ces opérations, qui mobilisent à chaque fois entre quatre et six recruteurs, ne suppriment pas le rôle du CV : les candidats sont présélectionnés sur leur parcours avant la convocation, et sont appelés pour un premier entretien téléphonique de préqualification. Pour Décathlon, le sport reste un élément parmi d’autres du processus de recrutement, permettant de « découvrir le candidat autrement ». Autre avantage souligné par l’entreprise : le fait de ne pas prendre une décision de recrutement en solitaire, mais de confronter plusieurs points de vue afin de faire des choix. La réponse négative ou positive est donnée le soir même aux candidats, après une discussion entre les recruteurs présents. Dans certains secteurs, comme le numérique, le BTP ou le transport, le recours au sport peut répondre à d’autres enjeux. Par exemple, l’entreprise de travail temporaire et de recrutement Synergie a initié, en février 2019, sa première opération de recrutement « Du sport, ensemble vers l’emploi » pour ses entreprises clientes, en partenariat avec Pôle emploi Hauts-de-France, La Caisse d’épargne et la ligue Hauts-de-France d’athlétisme. Objectif : « Casser les codes du recrutement et du sacro-saint CV, précise Sophie Sanchez, directrice générale de Synergie. Nous sommes partis du principe que les postes devaient être ouverts à tous, et que la sélection pouvait ainsi se faire essentiellement sur des savoirs-être. » Sourcés majoritairement par Pôle emploi, les candidats ont été conviés, pour cette première, au stade de Liévin (Pas-de-Calais), la veille du meeting international d’athlétisme. L’anonymat est de mise, recruteurs comme candidats, en tenue de sport, sont uniquement identifiés par leur prénom sur leur dossard, et participent, par groupes de huit, à des épreuves sportives encadrées par des membres de la ligue d’athlétisme. « L’anonymat et l’ambiance positive mettent les candidats en confiance, explique Sophie Sanchez. Les recruteurs peuvent ainsi identifier leurs savoirs être. Ils connaissent l’enjeu et sont prêts à se dépasser. On identifie des éléments que l’on ne peut pas souvent déceler sur un CV, comme le sens de l’effort, de l’écoute, les capacités à s’adapter… »

Après un déjeuner pris en commun, un jobdating est organisé au sein du stade pour des entretiens plus classiques. « Le CV est alors présenté, mais il devient accessoire », précise Sophie Sanchez. Près de la moitié des 200 candidats (pour trente entreprises présentes) seront, à terme, recrutés sur cette opération, à des postes d’opérateurs logistiques de la grande distribution ou de chargés de clientèle. Le succès de la démarche a conduit à réitérer l’opération, et trente évènements de ce type ont ensuite été programmés dans toute la France.

Le sport pour la diversité.

Ouvrir son champ de vision sur des profils qui ne se dirigeraient pas spontanément vers certains métiers, par nécessité et pour le bienfait de sa politique RSE, tel est également le choix de la RATP : « Nous recrutons 2 900 personnes en CDI par an, précise Marie-Hélène Picot, chargée des partenariats et de l’attractivité des métiers au sein de la direction du recrutement. Et nous souhaitons développer notre politique d’inclusion et d’accès à l’emploi. » Un public est particulièrement ciblé : les femmes issues des quartiers prioritaires de la politique de la ville, que le groupe cherche à attirer pour des métiers traditionnellement masculins, ou considérés comme tels. En organisant notamment le « Ladies boxing tour RATP », avec Job Odyssée, une association qui a pour vocation de renouer le lien social grâce au vecteur du sport auprès de différents publics de tous les âges et de tous les niveaux sociaux, et la Fédération française de boxe, la régie a souhaité s’attaquer aux préjugés. Présents sur un ring, les recruteurs, en tenue sportive, accueillent les candidates pour des entretiens. Le début et la fin du jobdating sont signifiés par le tintement d’une cloche, comme lors d’un match de boxe. L’un des messages de cet événement est « la boxe n’est, de prime abord, pas considérée comme un sport féminin, associons-la au recrutement pour des métiers qui n’ont pas non plus cette réputation ».

Le nouveau rôle de Pôle emploi.

Partie prenante, voire initiatrice de nombre de ces opérations, Pôle emploi joue un rôle d’intermédiation entre entreprises et candidats, en utilisant le sport pour élargir le sourcing. « Les entreprises se rendent compte qu’il leur faut changer leurs méthodes pour identifier les soft skills, estime Karima Ouldache, responsable des partenariats au sein de la direction régionale Île-de-France de Pôle emploi. Elles cherchaient à recruter sur des diplômes ou sur des qualifications, mais ce qu’il leur faut, c’est identifier des candidats qui ont des qualités relationnelles pour être au contact de la clientèle, pour travailler en équipe. Elles ont besoin de salariés qui font preuve d’une certaine hygiène de vie, qui respectent la laïcité, ne se droguent pas, et certains métiers nécessitent de passer des tests sportifs, comme dans les métiers de la sécurité », poursuit-elle.

Aller au cœur des quartiers pour identifier de futurs candidats, c’est la démarche engagée par l’association Job Odyssée, qui a organisé, entre autres, le « Job Tour Mobilité » le 11 septembre dernier, à Rosny-sous-bois (Seine-Saint-Denis). Une opération de recrutement qui a attiré près de 700 candidats, pour répondre aux 500 postes à pourvoir d’entreprises du secteur du transport (RATP, SNCF, Keolis…). Représentants des entreprises, candidats et même sous-préfet ont été conviés à enfourcher un vélo « La course de vélo est partie de Rosny-sous-bois et s’est étendue jusqu’à la sous-préfecture, explique Karima Ouldache. Les participants sont sur un pied d’égalité, et souffrent tous. Ainsi, les recruteurs et les candidats ne se regardent plus de la même façon. » Des ateliers sportifs, animés par les représentants de plusieurs fédérations et champions, ont ensuite mis en valeur la transférabilité des compétences sportives et celles réclamées pour ces métiers. Boxe et athlétisme pour la citoyenneté, rugby pour l’égalité et le respect, cyclisme pour l’hygiène de vie et l’écologie… Guidés et préparés par Job Odyssée et par Pôle emploi, dont les conseillers apportent des recommandations avant les entretiens, les candidats, dont 30 % de femmes, ont chacun ensuite rencontré de quatre à six entreprises, lors d’un jobdating géant.

Une autre façon de sélectionner ?

Les initiateurs de ces différentes opérations espèrent, bien entendu, qu’elles changent la manière d’aborder le recrutement. « Cette expérience nous a permis de nous interroger en interne sur nos propres méthodes de recrutement, témoigne Sophie Sanchez. Le message aux recruteurs est clair : il faut travailler sur les prérequis, se détacher de la fameuse fiche de poste et du CV », poursuit la directrice générale de Synergie. Pour Emmanuel Marchal, directrice de recherche au CNRS, membre du Centre de sociologie des organisations, « ces opérations visent avant tout à favoriser l’attractivité des métiers, qui concernent souvent des postes difficiles à pourvoir, sur lesquels il existe un fort turn-over et des conditions de travail souvent pénibles ». Cependant, même si les entreprises concernées cherchent à mettre en valeur la diversité, la directrice y voit un critère potentiellement discriminatoire : « Les épreuves sportives permettent de contrôler deux choses. D’une part, un état d’esprit, et pas uniquement le sens de l’effort ou de sens de l’équipe, et d’autre part, la forme physique, qui est obligatoire pour certains postes, mais qui répond à des critères sur lesquels on ne peut pas sélectionner d’emblée, comme le surpoids… » Reste que le fait de ne pas se baser uniquement sur le CV pour identifier les candidats, particulièrement quand ces derniers viennent de quartiers dits « sensibles », a l’avantage de faire se rencontrer deux mondes qui avaient peu de chances d’entrer en contact. Et de favoriser une certaine diversité au sein des équipes…

Auteur

  • Dominique Perez