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Décodages

Des cures contre les maux du travail

Décodages | Santé mentale | publié le : 30.01.2021 | Lucie Tanneau

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Des cures contre les maux du travail

Crédit photo Lucie Tanneau

Le centre thermal de Saujon est spécialisé dans le thermalisme psychiatrique. Chaque année, des stages sont proposés, en parallèle des cures, pour lutter ou pour prévenir le burn-out. Une étude scientifique est en cours, avec l’université de Poitiers, pour en mesurer les effets.

À 58 ans, René1 suit régulièrement des cures thermales depuis plus de dix ans. « C’est mon médecin généraliste qui me l’avait conseillé : j’étais en plein épisode dépressif à cause d’un changement dans mon travail, et les médicaments ne me soulageaient pas. Au contraire, je n’avais que les effets secondaires », raconte cet ingénieur de formation. Cadre dans une entreprise de la branche électrique et gazière, il se sentait reconnu dans son travail, jusqu’à ce qu’il en perde le sens : « On m’a confié la réalisation d’un nouvel outil de formation, un projet que j’ai bien mené, mais qui a ensuite été suivi de Lyon. Basé à Lille, j’ai perdu 50 % de mes missions. Ma vie professionnelle a basculé : je n’avais plus rien qui correspondait à mes attentes. » Commencent alors les tremblements, les trous noirs, les arrêts de travail… Il revient, mais en mi-temps thérapeutique.

Un équilibre fragile.

« Les cures, chaque année, deviennent une béquille pour me permettre de tenir », poursuit-il. Sauf qu’avec la Covid-19 et le confinement, sa cure du printemps en Auvergne a été annulée. « Les symptômes du burn-out sont revenus », regrette-t-il. Son médecin lui fait alors une prescription en urgence pour le centre de Saujon, en Charente-Maritime, l’une des quatre stations thermales à orientation psychiatrique de France (avec Bagnères-de-Bigorre, Néris-les-Bains et Ussat-les-Bains). Pendant trois semaines, René alterne soins thermaux et entretiens médicaux pour évaluer, pour suivre ou pour mettre en place des traitements, des ateliers de groupe afin de parler, d’échanger avec d’autres, d’installer des repères qui peuvent amener à un processus de reconstruction, et des ateliers psycho-éducatifs, de sport et de bien-être. La clinique du stress de Saujon est installée dans un petit village, au milieu d’un parc arboré. En une demi-heure, les patients peuvent faire un saut sur la côte, à Royan, et profiter de l’air marin. Deux études scientifiques (Stop-Tag, en 2010, et SPECTh, en 2013) ont évalué et ont prouvé l’efficacité de la cure dans le traitement des troubles anxieux. En 2013, le centre thermal, vieux de 160 ans, décide de créer l’École thermale du stress (ETS), « pour proposer aux curistes de suivre une formation comme base d’éducation psychologique à partir de thérapies cognitives et comportementales », décrit Olivier Dubois, psychiatre et directeur des cliniques psychiatriques et de l’établissement thermal de Saujon, créés et gérés de père en fils. La clinique du stress se concentre, les premières années, sur la gestion du stress, sur les douleurs chroniques et sur le sevrage médicamenteux. « Très vite, on y a ajouté des stages sur le burn-out », raconte Olivier Dubois. Le processus d’épuisement, dont découlent des angoisses, des troubles du sommeil, de l’isolement, un manque d’envie ou une susceptibilité renforcée, est largement médiatisé depuis une dizaine d’années. Mais aucun traitement en tant que tel n’existe. « Le burn-out est de plus en plus fréquent, selon les données de Santé publique France », rappelle pourtant Olivier Dubois. Cette année, avec le confinement, une recherche menée à l’ETS de Saujon, réalisée en juin sur plus de 5 322 personnes ayant suivi des cures pour troubles anxieux dans le passé, montre que les chocs post-traumatiques liés à la Covid-19 chez ce type de profils sont importants. « Parmi les personnes interrogées, 52 % ont déclaré souffrir de troubles du sommeil, de stress accru (51 %), de fatigue extrême (43 %) ou de crises d’angoisse (35 %) », rapporte le directeur. Un quart des personnes qui s’inscrivent à une cure à Saujon se déclarent ainsi en état d’épuisement professionnel.

Sans contrepartie.

Pour Juliette Garinot, la psychologue responsable de l’ETS depuis 2018, il faut les aider à redéfinir le burn-out et à trouver des outils. C’est le but du stage burn-out (260 € pour trois semaines, proposé en complément d’une cure). « Augmenter la relaxation, détendre le corps, se couper de son environnement quotidien : des facteurs qui permettent de réduire les symptômes, et sans effets secondaires », défend la psychologue. Les massages et les bains, sédatifs, sont deux des soins les plus appréciés par les patients curistes. Entre les mois d’octobre et de novembre, Katja est venue de l’Hérault pour participer à une cure. À 47 ans, mère de deux enfants et divorcée, cette traductrice et interprète paraît à bout. « Mon corps a lâché, reconnaît-elle. Je travaille pour l’État, dans le secteur du tourisme, raconte-t-elle, avec un grand sourire de façade, mais une élocution très rapide et hachée, comme pour retenir des larmes. J’adorais mon travail, mais suite à des fusions d’organismes, cela fait trois ans que je suis mise sous pression, pour me pousser à partir. On m’a déplacé à 40 kilomètres de chez moi : pour gérer les enfants, c’est très compliqué », décrit-elle. Harcèlement, critique de son niveau de langage (Katja est d’origine allemande, mais elle parle parfaitement le français), remise en cause de ses capacités, avertissements… Elle égrène les étapes successives qui l’ont menée à l’arrêt de travail. « J’ai fait un arrêt cardiaque en février 2019. Je vois des psychologues, je prends des traitements… Mais je ne me remets pas. Je ne contrôle plus mon corps », souffle la jeune femme, pourtant très sportive. Alors, quand une amie lui parle d’une cure, elle saute sur l’occasion, et son médecin la suit. Munie de sa prescription, elle vient d’arriver pour une cure de trois semaines. « Je sens que les eaux font du bien à mon corps, apprécie-t-elle. Mais pour le reste, j’ai l’impression que tout le monde se moque de ce que je raconte, et les rendez-vous supplémentaires avec des médecins ne sont pas remboursés, regrette-t-elle, inquiète pour sa situation financière. La situation extérieure ne change pas, j’étais une battante, mais je commence à être résignée : mes forces s’épuisent », s’excuse-t-elle.

La crise et ses incertitudes renforcent les craintes.

« On vit une situation traumatisante depuis le premier confinement, on voit des gens qui se sentent étouffés, et qui vivent très mal l’absence de perspectives avec des pertes d’espoir réelles. Cette situation est très angoissante », confirme le docteur Olivier Dubois. Cette semaine-là, parmi les douze personnes inscrites au stage burn-out, dix sont des cadres dirigeants ou des chefs d’entreprise. Trois à quatre stages par an sont organisés, en fonction de la demande. Les inscrits viennent de toute la France. « Le processus du burn-out touche des personnes très engagées dans leur travail, et qui, avec la fatigue, la surcharge de travail, n’arrivent plus à être impliquées et perfectionnistes comme elles le veulent. Se met alors en place un processus de dévalorisation », analyse Juliette Garinot. Les séances collectives d’échanges ou de sport pendant la cure permettent à chacun de trouver sa place, et elles luttent contre la déshumanisation liée au burn-out.

La cure moins stigmatisante que la clinique psy.

« L’outil thermal donne une grande souplesse de prise en charge, rapporte la psychologue. Surtout, elle n’a pas le côté stigmatisant que peuvent avoir les cliniques ou les hôpitaux psychiatriques : participer à une cure est moins inquiétant pour l’entourage », note-t-elle. Près de la moitié des patients du stage burn-out sont néanmoins passés par les urgences pour une suspicion de crise cardiaque. « Mes collègues savent que je suis ici, que la cure va m’aider à passer l’hiver, qui est la saison la plus compliquée. Après, je pourrais reprendre mon activité syndicale avec plus de recul, pour accompagner les salariés qui viennent me voir avec leurs problèmes à eux », raconte René, l’ingénieur délégué syndical.

Le professeur Nemat Jaafari, de l’unité de recherche clinique Pierre Deniker, rattaché au CHU de Poitiers, a engagé une étude pour mesurer scientifiquement l’efficacité des cures thermales sur les troubles anxieux. Entre 200 et 300 patients sont suivis depuis un an. Le programme, d’une durée initiale de trois ans, sera certainement allongé en raison de la fermeture du centre thermal à cause du confinement de mars dernier. « L’idée est d’abord de voir l’efficacité pour, éventuellement, diminuer les traitements, indique Namat Jaafari. Le processus d’épuisement professionnel est une question qui a été identifiée il y a seulement quelques années. Désormais, on sait le repérer et l’évaluer, il faut maintenant trouver comment le soigner. Nous étudions la cure thermale et d’autres protocoles, comme l’imagerie cérébrale, les thérapies cognitivo-comportementales ou les stimulations magnétiques transcrânienne sur l’état des patients. » L’équipe de recherche clinique est composée de trente personnes, dont deux s’intéressent particulièrement à la station de Saujon et au lien entre épuisement professionnel et stress post-traumatique.

En octobre 2016, le suivi de 304 patients de l’École thermale du stress avais fait l’objet d’une première étude menée par le professeur Pierre Ingrand, chef du service épidémiologique et de bio-statistiques de Poitiers (rattaché à l’Inserm). Les trois quarts des patients du groupe inscrits à la cure gestion du stress avaient constaté une réduction de leur état anxieux, 66 % une réduction de leurs douleurs, et 50 % avaient vu leur sommeil s’améliorer. Reste cette fois à confirmer les résultats. « Le problème est que beaucoup de praticiens ne sont aujourd’hui pas à l’aise avec la déprime, la dépression et le burn-out car ce sont des affections qui ne se mesurent pas, note René. Quant aux entreprises, elles ne savent pas comment réagir : les emplois nécessitent une continuité, certains plus que d’autres, pas toujours facile quand le salarié a vécu cet état », regrette-t-il. La clinique du stress de Saujon a mis en place un programme de formations et de partenariats pour aider les employeurs à repérer et à orienter leurs collaborateurs. À eux de saisir cette main tendue, dans un contexte de recrudescence des risques psychosociaux.

(1) Le prénom a été changé.

Auteur

  • Lucie Tanneau