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“Personne n’est inemployable”

Actu | Entretien | publié le : 26.01.2021 | Gilmar Sequeira Martins

Alors qu’approche une crise sociale de grande ampleur, Gilles de Labarre, inlassable promoteur de l’employabilité réelle de tous, analyse les implications de la proposition de revenu universel d’existence et des mesures de soutien mises en œuvre par le Gouvernement.

Êtes-vous favorable au revenu universel d’existence ?

Gilles de Labarre : Avant d’en venir au revenu universel d’existence (RUE), il faut que vos lecteurs sachent que SNC considère le travail, non comme une contrainte ou une aliénation, mais un devoir moral afin de contribuer au bien commun. Chaque personne est ainsi impliquée dans un double champ de réciprocité, social mais aussi en tant qu’individu, de faire du travail un espace d’épanouissement. SNC existe depuis 37 ans. À 99 %, les personnes que nous avons accompagnées veulent un travail pour gagner leur vie et lui trouver un sens. La notion de travail est une vraie question philosophique. Nous nous appuyons sur l’article 23 de la Déclaration des droits de l’homme qui dit que toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail et à la protection contre le chômage. Il est particulièrement d’actualité. Une deuxième notion étaye notre position. Elle a trait aux temps de la vie. Aujourd’hui, la vie est construite autour de cinq temps majeurs : l’instruction, la formation professionnelle, l’activité, la retraite et la fin de vie. La protection sociale créée après la Seconde Guerre mondiale a couvert plusieurs d’entre eux et la fin de vie devrait l’être bientôt. Il reste un dernier effort à faire sur la Sécurité sociale professionnelle pour couvrir les aléas professionnels. C’est un impensé des politiques publiques qui sont dans des « stop-and-go » qui traitent successivement des jeunes, de la formation professionnelle ou des seniors, au gré des élections. SNC considère par ailleurs qu’une prestation doit être accompagnée d’une relation. Verser de l’argent ne contribuera pas à faire de jeunes en difficulté des citoyens. Il faut aussi des structures par lesquelles ils puissent apporter leur contribution au bien commun. Se dédouaner d’une responsabilité collective à travers le versement d’un chèque, au motif que chacun serait seul responsable de sa vie, est une philosophie dangereuse à un autre titre : elle entraîne vers une universalisation de la solitude, voire l’anomie sociale, et peut contribuer à la montée du ressentiment individuel puis collectif. Le RUE contribue à la désocialisation et ouvre vers des risques encore plus graves. Ce dispositif va aussi finalement favoriser les « insiders », bien installés dans le système actuel, tout en paupérisant finalement ceux qui en ont le plus besoin. Nous nous inscrivons dans la logique des Territoires zéro chômeur de longue durée. Personne n’est inemployable et chacun peut apporter de la valeur. Chaque personne est notre semblable. Elle a droit à un projet de vie et à un projet professionnel pour contribuer au bien commun.

 
Quelle vision révèle le RUE ?

G. de L. : La vision libérale du RUE a une arrière-pensée, celle de « désocialiser » la société. Autrement dit, modifier les socles de la Sécurité sociale actuelle. Ils sont bâtis sur un principe fort, à savoir la protection individuelle via la mutualisation, qui est tout à l’honneur de ceux qui ont élaboré le programme du Conseil national de la Résistance. Le but de la pensée libérale est d’individualiser le risque à travers la souscription d’assurances privées. Nous prônons la construction d’un socle similaire à celui de la Sécurité sociale dans le volet professionnel, avec un volet assuranciel privé comparable à celui des complémentaires. Cela permettrait de contribuer au bien commun et de mutualiser une partie des risques. Pour toutes ces raisons, au lieu d’une allocation universelle pour chacun, nous prônons la création d’un nouveau pilier d’assurance collective à travers une Sécurité sociale professionnelle.

 
L’assurance-chômage actuelle est-elle adaptée à la situation ?

G. de L. : Aujourd’hui, on entend des discours qui disent, concernant l’assurance-chômage, qu’il n’est pas normal de payer pour son voisin. Les tenants de ce point de vue sont opposés à une réforme structurelle. Je pense notamment aux organisations patronales mais aussi des économistes très libéraux comme Pierre Cahuc qui ont réussi à démontrer, avec des informations contestables, que modifier un paramètre du système d’indemnisation permettrait de réaliser une grande économie. Ces discours ont réussi à transformer l’état d’esprit de nombreux politiciens qui se sont engouffrés dans cette vision très mécaniste de l’assurance-chômage. Nous ne sommes pas d’accord. Si une personne est licenciée, la société dans son ensemble doit en supporter les coûts. Les tenants d’une telle vision, très « paramétrique », critiquent aussi le montant élevé des indemnités perçues par les cadres au chômage. Ils oublient le montant très élevé de leurs cotisations et le mécanisme de péréquation qui permet d’augmenter les indemnités les plus faibles tout en réduisant celles qui pourraient être plus élevées. Les cadres ne représentent que 0,04 % du nombre de personnes indemnisées. Nous contestons cette politique qui désigne des boucs émissaires. Elle ne fait que révéler un malaise plus grand, à savoir l’incapacité des gens à progresser dans la société et à vivre dignement de leur travail. Une fracture s’est installée. Une frange de la population se voit régresser. Récemment, le gouverneur de la Banque de France indiquait que 40 % des salariés sont à découvert à la fin du mois. En tant que corps intermédiaire, nous sommes les réceptacles d’une certaine désespérance sociale, nous accueillons des personnes qui ont perdu l’espoir. Notre rôle est de leur redonner foi en l’avenir. La relation rétablit le dialogue. C’est essentiel car les personnes sans espace de parole perdent leur dignité et cela explique une partie du taux de renoncement à certaines prestations. Nous sommes très inquiets. Depuis trente ans, nous accueillons des personnes qui nous disent : « Cet emploi n’est pas pour moi. » C’est une attitude caractéristique. Elles pensent qu’elles n’ont pas les qualités professionnelles requises et qu’il y aura tellement de candidats qu’elles n’ont aucune chance d’être sélectionnées. Il n’y a même plus l’espérance de pouvoir faire valoir ses qualités et sa qualification professionnelle.

 
Que pensez-vous des mesures prises par le Gouvernement ?

G. de L. : Depuis mars, le Gouvernement a mis en place des dispositifs exceptionnels, tant par leur montant que leur précision, dans une logique de soutien à la demande. Il a ensuite mis en place les PGE [prêts garantis par l’État] et le fonds de solidarité dans une logique de l’offre. Trouver un point d’équilibre entre les deux logiques n’était pas simple et le Gouvernement s’en est plutôt bien tiré. Il y avait cependant quelques angles morts – les jeunes, les plus précaires et les seniors – qui ont été corrigés récemment. L’effort de l’État est considérable mais si le RUE avait été en place, je ne suis pas sûr que la même qualité d’appréciation des situations aurait pu s’exercer. C’est donc bien grâce à la responsabilité collective nationale que le pire a pu être évité.

 
Qu’attendez-vous de l’exécutif ?

G. de L. : Nous souhaitons un retrait de la réforme de l’assurance-chômage. Elle est « mal née » puisqu’elle a vu le jour à une période où le chômage baissait significativement, alors que ce ne sera pas le cas en 2021 et 2022. De notre point de vue, cette réforme est caduque et nous souhaitons une refonte de l’assurance-chômage dans le cadre d’un système de Sécurité sociale professionnelle. Nous souhaitons aussi que l’État, qui soutient déjà l’expression de corps constitués – les jeunes, les personnes handicapées, etc. – soutienne aussi l’expression des chercheurs d’emploi. Sans cela, nous continuerons à avoir une démocratie rouillée qui n’avance pas. Alors que le chômage concerne quasiment un Français sur deux, ce sujet n’est pas pris en compte par les pouvoirs publics. Enfin, s’agissant des seniors, nous souhaitons un soutien à leur maintien dans l’emploi. L’Allemagne a mené des actions positives. Nous pouvons nous en inspirer. Alors qu’une crise sociale majeure approche, il faut être capable de lever des obstacles qui empêchent le développement du prêt de main-d’œuvre inter-entreprises. Les conditions juridiques actuelles sont si bloquantes que personne n’y a recours. Il faut miser sur la confiance. Certains salariés et entreprises vont abuser du dispositif mais ce sera infinitésimal.

 
Gilles de Labarre, président de Solidarités nouvelles face au chômage

Président de Solidarités nouvelles face au chômage (SNC) depuis 2009 après 25 ans de bénévolat, Gilles de Labarre a aussi présidé le Centre d’action sociale protestant de 2005 à 2009 et occupé la fonction d’administrateur de l’association Droits d’urgence pendant plusieurs années. Il est également adjoint du Haut-commissaire à l’économie sociale et solidaire et à l’innovation sociale.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins