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Quand les entreprises font cause commune

À la une | publié le : 21.01.2021 | Laurence Estival

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Quand les entreprises font cause commune

Crédit photo Laurence Estival

Les difficultés des uns pourraient-elles favoriser les problèmes de recrutement des autres ? Les réflexions vont bon train depuis la présentation, fin octobre, du nouveau dispositif de formation « transitions collectives » et l’annonce des premières perches tendues, sans attendre, par des employeurs. De quoi protéger les salariés les moins qualifiés.

Début décembre Korian a lancé une opération de charme auprès d’autres entreprises du secteur des services sinistrées par la crise économique. Nadège Plou, la DRH du groupe fort, de ses 455 établissements dans l’Hexagone (maisons de retraite, cliniques privées…), a ainsi proposé à ses alter ego de les aider à protéger les salariés faiblement qualifiés dont ils envisagent de se séparer dans le cadre d’un plan de restructuration de leurs activités ou d’accélération des mutations déjà en cours sous la pression économique. Le principe ? Accompagner la reconversion des volontaires dans les métiers des services à la personne qui correspondent à de véritables opportunités : chaque année, la responsable doit pourvoir 5 000 offres d’emploi dont 2 500 d’aides-soignants dans un contexte de pénurie chronique de compétences alors que les besoins sont en forte progression… Une passerelle entre deux mondes qui comprend un parcours de formation avec un CDI à la clé. Le tout sans passer par la case Pôle emploi. « Nous espérons dans un premier temps intégrer 200 personnes rapidement opérationnelles grâce à un dispositif hors normes que nous sommes en train de concevoir », met-elle en évidence.

VAE inversée

Concrètement, il s’agit d’éviter d’attendre la rentrée scolaire de septembre prochain, pour permettre à ces candidats venus de la restauration, de l’hôtellerie, du tourisme, de la grande distribution, mais plus globalement occupant des emplois dans le domaine des services, de suivre les premiers modules. Le dispositif prévoit notamment un sas d’orientation où des visites sur le terrain vont permettre à tous ceux qui souhaitent franchir le pas, de découvrir leur futur environnement professionnel, sans rien cacher de la réalité, avec ses réelles conditions de travail et ses rémunérations… Ceux qui sont partants pour aller plus loin seront alors suivis par un tuteur pendant une durée de douze à dix-huit mois au cours de laquelle ils apprendront les gestes professionnels, les mains dans le cambouis. Un système de VAE (Validation des acquis de l’expérience) inversée viendra au fil du temps « certifier » les compétences acquises in situ. Concrètement, Korian envisage que les salariés intéressés pour rejoindre ses rangs puissent être détachés pendant toute la durée de la formation de leur entreprise d’origine, celle-ci continuant à leur verser leur rémunération. « C’est pour elles aussi un moyen d’éviter de recourir à un cabinet d’outplacement extérieur », pointe Nadège Plou.

L’offre de Korian est aussi une façon pour certaines entreprises de répondre à des questionnements éthiques dans un contexte de montée en puissance des politiques de responsabilité sociale… Plusieurs d’entre elles l’ont d’ailleurs bien compris et sont prêtes à jouer le jeu avec le groupe de services à la personne ou avec d’autres employeurs qui auraient eux aussi des postes à pourvoir : « On ne va pas demander aux petits salaires de partir. Ils vont continuer à avoir un salaire pendant deux ans, mais on va assurer pour eux des formations dans un autre métier que l’hôtellerie », expliquait Sébastien Bazin, le PDG d’Accor, interrogé sur France Inter le 20 octobre dernier, et qui envisage la suppression de 300 à 400 emplois en France. Les réflexions sont aujourd’hui en cours pour donner une traduction concrète à cette annonce encore à l’état de projet. Chez Sodexo aussi, il y a une volonté d’accompagner le reclassement des salariés du groupe de restauration collective touché de plein fouet qui vient d’annoncer son premier PSE (Plan de sauvegarde de l’emploi) prévoyant la suppression de plus de 2 000 emplois dans l’Hexagone. Le groupe prévoit de boucler son plan, qui, outre la mobilité externe, repose aussi sur de la mobilité interne, d’ici le mois de mars.

Nouveau dispositif

En ces temps difficiles, essayer de ne pas fragiliser davantage les moins qualifiés est dans toutes les têtes. Signe des temps : à l’occasion de la 2e conférence du dialogue social qui a eu lieu fin octobre, la ministre du Travail, Élisabeth Borne, a dévoilé devant les syndicats patronaux et salariés la création d’un nouveau parcours appelé « Transitions collectives ». Celui-ci s’appuie sur la même logique de vases communicants que le projet initié par Korian et cible le même public de salariés peu qualifiés dont les emplois sont menacés. Son champ d’action n’est pas ciblé sur des secteurs particuliers mais autour de plateformes de transition qui mettront en relation les offres des entreprises en quête de main-d’œuvre et celles qui ont des salariés à reconvertir. La dimension territoriale sera aussi favorisée. Dans le cadre de ce dispositif, l’État financera la totalité de la formation pour les entreprises de moins de 300 salariés ou une partie seulement pour celles qui dépassent ce seuil. Certains projets pouvant passer par des parcours longs, un allongement à deux ans des congés de mobilité et des congés de reclassement a été décidé. Un budget de 500 millions d’euros a été débloqué en ce sens. Cette enveloppe s’ajoute aux quelque 900 millions d’euros mobilisés dans le plan France Relance pour la reconversion des salariés. Le premier appel d’offres pour identifier les territoires pilotes a été lancé le 27 novembre avec l’ambition de déployer progressivement ce dispositif à partir de ce début d’année.

« La question est de savoir comment les salariés vont s’approprier ce dispositif, s’interroge Philippe Debruyne, secrétaire confédéral de la CFDT, en charge de la sécurisation des parcours par le développement des compétences et la formation professionnelle. Car l’injonction à l’émancipation, ça ne fonctionne pas. Quitter son emploi pour un autre nécessite de prendre des risques et dépend de la possibilité de se projeter vers un autre futur. » Expliquer à ces salariés que leurs compétences sont transférables dans d’autres secteurs que le leur demande, en outre, un accompagnement pédagogique soutenu. « Il faut donner confiance, et encore plus quand il s’agit de personnes peu qualifiées qui ont pendant de longues années été habituées à faire des tâches répétitives », poursuit-il, estimant que pour que la démarche réussisse, le conseil en évolution professionnelle doit être partie prenante de ce processus. « Nous devons aussi faire attention de ne pas rendre obligatoire, à l’issue de la formation dispensée, la prise d’un poste correspondant à celle-ci si le salarié n’a pas envie d’occuper le poste proposé. Sans quoi, il n’y aura pas beaucoup de candidats et ce dispositif de transitions collectives risque alors de rester lettre morte. Ce qui serait regrettable compte tenu de l’ampleur de la crise économique… », prévient le syndicaliste. Réponse dans les mois qui viennent.

Auteur

  • Laurence Estival