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Quand l’université diffuse les valeurs capitalistes

Idées | Livres | publié le : 01.12.2020 | Lydie Colders

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Quand l’université diffuse les valeurs capitalistes

Crédit photo Lydie Colders

Dans « Business Model », la sociologue Olivia Chambard a enquêté sur les formations à l’entreprenariat qui ont gagné jusqu’à l’université. Des enjeux politiques aux pédagogies glorifiant l’entreprise, son livre explore ce virage « néolibéral » du monde académique.

Depuis les années 2000, l’enseignement supérieur a multiplié les formations à l’entreprenariat. D’abord cantonnée à de rares écoles comme HEC, la révolution numérique a conduit « un nombre croissant d’écoles, et dans une moindre mesure, d’universités, à développer ce type d’offre », observe la sociologue Olivia Chambard. Dans son livre, issu d’une thèse, elle restitue une enquête fouillée, étudiant de près une dizaine de cursus (HEC, licence professionnelle ou mastère en entrepreneuriat). Elle y ausculte cette mouvance politique, où l’enseignement supérieur, surtout universitaire, endosse aujourd’hui « un rôle inédit de laboratoire des idéologies capitalistes ».

Inculquer « l’esprit d’entreprendre »

Retraçant l’histoire de l’éducation à l’entreprenariat sur cinquante ans, partie très intéressante, la sociologue montre l’influence conjointe du Medef et « l’offensive libérale » politique, du plan « Entreprenariat étudiant » de Valérie Pécresse en 2009 à celui de François Hollande en 2013 sur l’innovation, qui incita les universités à s’emparer de l’entreprenariat. Face au chômage, il s’agissait « d’inventer le manque d’esprit d’entreprendre des jeunes », juge-t-elle. La sociologue s’attarde longuement sur les conséquences en matière de pédagogie. Dans ces formations à l’entreprenariat, l’université « dévalorise la théorie » et l’esprit critique, pour adopter les codes de l’entreprise, déplore-t-elle : importance « du savoir-être » dans les admissions, enseignements pratiques (réalisation d’un business plan, business game…). Au travers d’entretiens avec des enseignants, Olivia Chambard illustre des tensions autour de cette « rhétorique libérale » inculquée aux jeunes. Si certains insistent sur les risques, d’autres promeuvent l’image « du self-made-man » ou vantent l’idée qu’être patron, « c’est choisir son salaire ». Elle y décrit des jeunes perplexes, qui abandonnent vite l’idée de créer une structure dans l’ESS, par exemple, « au profit de n’importe quelle création d’entreprise capable de générer des profits ». Même à l’université, les projets d’utilité sociale seraient « vite découragés ».

Reproduction des élites

Côté insertion des jeunes, les récits attestent sans surprise que leur capacité de créer une entreprise dépend « largement des moyens et du statut social de leur famille ». Certains diplômés de licences d’entrepreneuriat, après avoir tenté des projets, sont « rattrapés par Décathlon », galèrent dans l’auto-entrepreneuriat précaire, tandis que « la jeunesse dorée » monte des entreprises florissantes, se targuant « d’avoir échappé à L’Oréal ». Cette idéologie du petit patron « masque mal l’inégalité des chances » et serait un pansement contre le chômage. Et si, finalement, l’objectif était plutôt de diffuser l’affairisme au sein des universités ? C’est sur ce point que ce livre engagé donne le plus à réfléchir.

Business Model.

Olivia Chambard, éditions La Découverte, 350 pages, 22 euros.

Auteur

  • Lydie Colders