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L’obligation de sécurité à l’heure du coronavirus

Idées | Juridique | publié le : 01.12.2020 |

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L’obligation de sécurité à l’heure du coronavirus

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Disposition emblématique du Code du travail, l’article L. 4121-1, qui oblige l’employeur à « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et pour protéger la santé physique et mentale des travailleurs », est à nouveau au centre de toutes les attentions. Aux contentieux sur l’amiante et sur le harcèlement moral, dans lesquels l’obligation de sécurité occupe une place de choix, il faudra sans doute ajouter, demain, celui de la Covid-19.

Une Obligation de moyens renforcée

L’obligation de sécurité a d’abord été une obligation de résultat qui faisait que, quoi qu’il fasse, l’employeur était responsable lorsqu’un risque se réalisait, un harcèlement par exemple. Cette solution a essuyé des critiques car jugée trop sévère par les employeurs, mais aussi parfois peu efficace en les décourageant à faire des efforts. Quoi qu’ils fassent, ils étaient responsables ! Les choses ont changé depuis 2015 avec le passage à une obligation de moyens renforcée, l’employeur n’étant plus responsable s’il justifie avoir pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et pour protéger la santé physique et mentale de ses salariés (Soc. 25 nov. 2015, n° 14-24.444). Aujourd’hui, l’employeur a donc tout intérêt à agir en amont par des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés, etc. L’enjeu est d’autant plus important que le manquement à l’obligation de sécurité peut être à l’origine d’une faute inexcusable en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Les conséquences d’un manquement à l’obligation de sécurité sont lourdes. Si l’on prend l’exemple du salarié qui estime avoir contracté la Covid-19 dans son entreprise faute pour l’employeur d’avoir respecté son obligation de sécurité, il pourra demander la requalification de la Covid-19 en maladie professionnelle, attaquer son employeur aux prud’hommes pour violation de son obligation de sécurité, y compris prendre acte de la rupture. Un droit de retrait est aussi envisageable, sans compter l’intervention d’un inspecteur du travail qui, dans le dernier état du protocole national, constaterait par exemple que les salariés sont sur place alors qu’ils devraient être en télétravail. L’atteinte à l’obligation de sécurité peut aussi justifier des sanctions pénales.

Des contentieux emblématiques

Avant la Covid-19, l’obligation de sécurité occupait déjà une place centrale dans au moins trois contentieux emblématiques.

D’abord, dans celui de l’amiante. Après avoir limité l’indemnisation au titre du préjudice d’anxiété aux salariés exposés à l’amiante (éligibles à l’Acaata) au sein d’un établissement listé par arrêté, la Cour de cassation est allée chercher l’obligation de sécurité pour indemniser les autres salariés, à la condition que ceux-ci justifient d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant de l’exposition (Soc., 11 sept. 2019, n° 17-26.879). Il en résulte qu’un salarié mis à disposition d’un établissement classé « amiante » n’appartenant pas à son employeur peut demander la réparation de son préjudice d’anxiété à cet employeur (Soc. 30 sept. 2020, 19-10.352). Le caractère général de l’obligation de sécurité explique aussi la reconnaissance du préjudice d’anxiété au-delà de l’amiante, pour les expositions à « une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave » (Soc. 11 sept. 2019, n° 17-24.879).

Ensuite, dans le contentieux du harcèlement moral, ce dernier rendant l’employeur responsable pour ne pas avoir diligenté une enquête suite à des allégations de harcèlement moral dans son entreprise, ce peu important que ces agissements soient établis ou non (Soc. 27 nov. 2019, n° 18-10051). On voit bien ici également le rôle surplombant de l’obligation de sécurité qui entraîne la responsabilité de l’employeur, alors même que les conditions du harcèlement moral ne sont pas réunies. Cela vaut au-delà du harcèlement puisque, par exemple, on ne peut exclure qu’un télétravailleur souffrant, de surcroît en contexte de confinement, d’isolement social et psychologique, ou inversement d’un burn-out lié à l’intrusion de sa vie professionnelle dans sa vie personnelle, considère qu’en ne prenant aucune mesure de prévention des risques psychosociaux pour ses télétravailleurs, l’employeur a manqué à son obligation de sécurité.

Enfin, dans le contentieux des plans de sauvegarde de l’emploi, obligeant l’employeur à prendre en compte le stress subi par les salariés licenciés ainsi que par ceux qui restent et qui feront face, le cas échéant, à une surcharge de travail. Le tribunal des conflits vient de le confirmer en distinguant les mesures d’évaluation et de prévention des risques auxquelles l’employeur est tenu dans le cadre du PSE, qui relèvent du juge administratif, et le respect de cette obligation de santé et de sécurité lors de la mise en œuvre de l’opération, qui relève du juge judiciaire (8 juin 2020, C4189).

Droit commun et droit spécial

Pour comprendre la place de l’obligation de sécurité dans le contentieux du travail et de la Sécurité sociale, il faut revenir à l’articulation, classique en droit, entre droit commun et droit spécial. Le Code du travail est truffé de règles spécifiques, voire détaillées, sur la santé et sur la sécurité des salariés. Mais ces règles ne suffisent pas toujours, soit qu’elles n’envisagent pas ou seulement de façon très indirecte une situation (typiquement les risques psychosociaux générés par les PSE), soit qu’elles aient besoin de mécanismes complémentaires de responsabilité (cas du harcèlement moral). De façon quasi inéluctable, ce surcroît de protection accordé aux salariés a pour envers une certaine insécurité juridique pour les employeurs, que les principales organisations représentatives avaient dénoncée dans une lettre remarquée du 30 avril 2020 dans le contexte de Covid-19 : « Les employeurs, sous réserve, d’une part, d’avoir connaissance de consignes sanitaires claires et ayant une portée juridique reconnue sur les actions à mettre en œuvre dans les entreprises, et d’autre part, de disposer de moyens pratiques de les mettre en œuvre, sont prêts à assumer l’obligation de moyen renforcée (autrement dit l’obligation de sécurité) qui est la leur. » Ces propos trouvent réponse dans un certain nombre de mesures exigées des entreprises pour prévenir la contamination de leurs salariés par la Covid-19.

Une obligation de sécurité en contexte de Covid-19

De la mise à jour du document unique d’évaluation des risques (DUER) à la désignation d’un référent Covid en passant par l’élaboration d’une procédure de prise en charge rapide des personnes symptomatiques ou le respect par les salariés des gestes barrières (distanciation physique, port du masque, protection des personnes fragiles, encouragement au télétravail), les prescriptions, qui font que l’entreprise respectera, ou non, son obligation de sécurité, sont nombreuses. Elles sont aussi rigoureuses, comme l’illustrent les quelques arrêts rendus à ce jour qui, entre autres, exigent de l’entreprise qu’elle réalise un plan d’ensemble de lutte contre la Covid-19, et non des mesures au jour le jour, et qu’elle associe le comité social et économique à ces mesures (Versailles, 24 avr. 2020, n° 20/01993). La prescritpion la plus forte est sans doute celle figurant dans le protocole national sanitaire : « Dans les circonstances exceptionnelles actuelles, le télétravail doit être la règle pour l’ensemble des activités qui le permettent. Dans ce cadre, le temps de travail effectué en télétravail est porté à 100 % pour les salariés qui peuvent effectuer l’ensemble de leurs tâches à distance. »

Dans la loi, rien ne permet d’imposer aux entreprises de placer leurs salariés en télétravail, puisque l’article L 1222-11 du Code du travail se contente de permettre aux employeurs, notamment en cas de pandémie, d’imposer le télétravail à leurs salariés. Le protocole n’est cependant qu’un « ensemble de recommandations », affirmait le Conseil d’État le 19 octobre dernier, ce qui exclut de fonder sur cet acte une action en responsabilité de l’employeur (CE, 19 oct. 2020, n° 444809) ! Comment, dès lors, expliquer que le ministère présente le télétravail comme une obligation, le cas échéant sanctionnée ? Ici également, l’obligation de sécurité va servir de relais, les conseillers d’État ayant eux-mêmes décrit le protocole comme « la déclinaison matérielle de l’obligation de sécurité de l’employeur, dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, en rappelant les obligations qui existent en vertu du Code du travail ». Même s’il n’y a pas d’automaticité entre le non-respect des règles du protocole, notamment celles relatives au télétravail, et la violation de l’obligation de sécurité, l’employeur qui n’a pas respecté les premières risque fort de voir sa responsabilité engagée pour non-respect de la seconde. S’agissant du télétravail, il ne pourra y échapper que s’il prouve que le poste du salarié n’était pas compatible avec le télétravail ou, probablement, s’il établit que l’état psychologique (angoisse révélée lors du premier confinement, par exemple) du salarié ou sa situation familiale (violences conjugales) justifiaient qu’il se rende sur son lieu de travail. Contrairement à nombre d’autres domaines, la négociation collective ne permettra pas de déroger aux exigences du protocole, seulement de les décliner dans l’entreprise. La Cour de cassation vient de rappeler, à propos d’une convention collective qui permet à un employeur de demander à ses ambulanciers de laver chez eux leur tenue de travail, pourtant porteuse d’agents biologiques pathogènes, moyennant indemnisation, que l’obligation de sécurité est d’ordre public (Soc., 30 sept. 2020, n° 18-23474).

Elle l’est pour l’employeur comme pour le salarié qui est tenu, selon l’article L. 4122-1, de « prendre soin (…) de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celle des autres personnes concernées par ses actes ou par ses omissions au travail ». Un manager qui s’était abstenu d’intervenir durant un stage de « team booster » impliquant que les salariés sous sa direction marchent pieds nus sur du verre cassé a pu être licencié pour faute grave, faute d’être intervenu « pour préserver l’intégrité physique et psychique de ses collaborateurs, en méconnaissance de son obligation de sécurité » (Soc. 23 oct. 2019, n° 18-14260). C’est dire la vigilance qui doit être celle des différents acteurs dans l’entreprise vis-à-vis de la sécurité dans l’entreprise !