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Une jungle de labels à débroussailler

À la une | publié le : 01.12.2020 | Catherine Abou El Khaïr

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Une jungle de labels à débroussailler

Crédit photo Catherine Abou El Khaïr

Une quarantaine de labels qualifiant le degré de responsabilité sociétale des entreprises existent aujourd’hui en France. Si cette tendance traduit l’importance de l’impact social et environnemental, elle aboutit aussi à une profusion d’indicateurs.

À la tête de Norsys, une entreprise de services numériques, Sylvain Breuzard cultive depuis des années une habitude : tester les labels RSE qui émergent sur le marché. « Avoir un œil externe me permet de mettre en perspective notre propre concept, celui de la performance globale », confie le chef d’entreprise qui peaufine ses… 230 indicateurs maison. Il a obtenu le label Lucie, celui de l’Afnor -Engagé RSE, et, plus récemment, celui de B-Corp, l’ONG d’origine américaine. Mais il en convient : ce dernier le « remue un peu ». « Nous sommes certifiés, mais à moins de 100 points sur 200. Nous avons été très pénalisés sur la partie client, car B-Corp attribue beaucoup de points quand votre produit est en prise avec un impact positif sur la planète. Mais nous avons eu beau expliquer aux Américains que nous avons travaillé pour l’Assurance maladie, nous n’avons pas été entendus », explique Sylvain Breuzard.

Et pourtant, avec les adoptions massives de « raisons d’être » et les déclarations de « sociétés à mission », B-Corp a gagné des points auprès des entreprises en France : 115 sont labellisées et 5 000 organisations ont commencé à remplir le formulaire en ligne permettant de se faire évaluer. « L’arrivée de la loi Pacte nous a été très favorable », estime Augustin Boulot, délégué général de B-Lab France, l’association qui vise à diffuser le label dans l’Hexagone. Première « entreprise à mission » cotée, Danone compte, à terme, obtenir le label, de même que Bonduelle. Une manière de mesurer la qualité de son engagement sociétal, mais aussi de le clamer haut et fort.

Un sujet porteur

Mais B-Corp s’implante dans une véritable jungle de labels. Pionnier sur le sujet, le label Lucie revendique quelque 300 entreprises labellisées et 400 « en cours de labellisation », explique la directrice des opérations, Saliha Mariet. Autre acteur en forte croissance, l’agence de notation des fournisseurs spécialisée en RSE EcoVadis a levé, en janvier dernier, 200 millions d’euros pour se développer à l’étranger. Le Sénat, qui a publié un rapport sur la responsabilité sociétale des entreprises en juin 2020, parle même d’une « tour de Babel des labels » ! Rien qu’en France, « quand on additionne l’ensemble des labels existants, il y en a près d’une quarantaine. On se rend compte qu’il en existe une large palette », constate Fella Imalhayene, déléguée générale du Global Compact France. Or, cela pose problème : « Faute d’être experts du sujet, les dirigeants des PME ont des difficultés à identifier le label le plus intéressant pour eux », poursuit la porte-parole de cette association, chargée de faire contribuer les entreprises aux objectifs de développement durable. C’est donc à juste titre que lors des discussions autour de la loi Pacte, la question d’un « label d’État » s’est posée. Sans adopter une solution aussi radicale, le Gouvernement veut remettre un peu d’ordre dans cette jungle. Un rapport doit lui être remis à ce sujet en décembre. Si le nombre d’entreprises labellisées reste encore très faible – seules 2 % sont labellisées ou publient des informations sur ce sujet selon une étude du cabinet Goodwill-management, un actionnaire du label Lucie – le contexte semble porteur. Les objectifs de développement durable des Nations unies à atteindre d’ici 2030 gagnent en notoriété. Devoir de vigilance, loi Pacte, hausse des exigences en matière de reportings extra-financiers… Petit à petit, la responsabilité sociétale acquiert force normative. L’intérêt des consommateurs, des candidats ainsi que des investisseurs pour ces sujets renforce l’attrait pour des labels qui envoient un signal positif. « Les labellisations RSE sont un instrument de compétitivité et de différenciation », affirme Gilles Bon-Maury, secrétaire de la plateforme RSE de France Stratégie.

« Dans des appels d’offres ou dans le cadre des référencements fournisseurs, nos clients commencent à nous demander d’attester de notre démarche RSE », témoigne Élodie Lepesant, directrice commerciale de Grundfos, un fabricant de pompes récemment labellisé « Positive Workplace », un indicateur créé en 2019. Certaines entreprises ne cachent pas que le sujet leur a été d’abord imposé. C’est le cas des référencements sur EcoVadis. « C’était exigé par le client, et nos concurrents y étaient présents », confie cette autre responsable RH d’une entreprise de services numériques travaillant avec des banques. Depuis, elle s’est convertie à la RSE, en publiant sa COP (communication sur le progrès) auprès de l’association Global Compact France. Si cette initiative onusienne n’est pas un label – elle ne conduit pas d’audit approfondi, mais vise surtout à faire de la pédagogie – elle n’en fait pas moins un joli carton : depuis 2016, en France, plus de 1 200 entreprises ont adhéré à la démarche.

Pas de check-list

Les labels peuvent être de différentes natures : généralistes (Lucie 26000, Engagé RSE, B-Corp, PME +….), sectoriels, thématiques voire territoriaux. Leur multiplicité correspond aussi à la diversité de l’économie, ce dont témoignent les 18 expérimentations de labels sectoriels menées sous l’égide de France Stratégie. Ils se répondent ainsi les uns aux autres. « EcoVadis n’est pas très apprécié par les PME : elles ont le sentiment d’être notées sur des critères qui ne correspondent pas à leur métier, note un expert. Beaucoup d’initiatives de labels sectoriels sont aussi des ripostes à cela. »

Pourtant, leur référence est souvent la même : l’ISO 26000. Cette norme internationale donne les lignes directrices en matière de RSE autour de sept questions : gouvernance, droits de l’homme, responsabilité environnementale, loyauté des pratiques, protection des consommateurs, communautés et développement local. Son dépositaire, l’organisation internationale de normalisation, rappelle qu’elle n’est pas certifiable. La norme ISO n’édicte donc ni critères précis ni pondération. « On ne peut pas évaluer la performance RSE à l’aide d’une simple check-list. Ce sont des sujets dynamiques, où il est très difficile de formuler des opinions de conformité, rappelle Fouad Benseddik, consultant indépendant spécialisé dans la RSE, ex-directeur des méthodes chez Vigeo. Comment, par exemple, évaluer ce qu’est un bon niveau de dialogue social, ou un investissement vert ? Si des institutions légitimes comme l’ONU, l’OIT ou l’OCDE ont énoncé des normes et des lignes directrices, il n’existe pas d’instances pour en certifier la conformité, pour vérifier l’effectivité ou pour apprécier la pertinence des récits et des labels qui s’en réclament. » Dans un contexte où n’existe aucun consensus, c’est bien un « marché de l’opinion qualifiée » qui comble ce vide. Dès lors, chaque label vend sa propre interprétation des grandes normes en utilisant sa propre méthodologie, plus ou moins transparente. Selon une étude de l’École de droit de Sciences Po publiée en mai 2020, seul un label sur deux publie des informations sur son référentiel ainsi que les coûts de la labellisation. Des informations pourtant précieuses. « Un label vaut par son référentiel d’objectifs, les conditions d’évaluation de l’entreprise, le positionnement de celui qui l’attribue, mais aussi par la transparence de ce qu’il mesure et ne mesure pas. Il doit être précisément délimité, avertit Fouad Benseddik, qui met donc en garde contre leur survalorisation. Il serait par exemple faux de considérer qu’être certifié ISO 14001 permet de couvrir la totalité du champ de la responsabilité environnementale », affirme ce spécialiste.

Outil de communication

Rares sont pourtant les entreprises labellisées à souligner les limites de leur label, dont elles se servent pour valoriser leur image. Un intérêt bien compris des labellisateurs. « La multiplication des labels et la diversité des dimensions de la performance RSE qu’ils signalent permettent aux entreprises de choisir l’indicateur qui les avantage le plus », constataient les universitaires Pierre Fleckinger, Matthieu Glachant et Gabrielle Moineville dans une étude publiée en 2015. Selon ces chercheurs, « l’entreprise dont l’activité génère peu d’impacts environnementaux va opter pour un écolabel, alors que les conditions de travail peuvent y être médiocres ; à l’inverse, une entreprise polluante mais performante en matière d’égalité hommes-femmes optera pour le label Égalité professionnelle ».

Désireux de repousser les limites d’un marché restreint aux entreprises les plus engagées, certains labels baissent donc le niveau. L’enjeu est d’élargir leur audience en évitant de décourager les entreprises qui voudraient progresser. Pragmatique, l’agence Lucie a ainsi lancé Toumaï, une offre de notation sur 1 000 points moins exigeante, avec une évaluation sur site limitée à une demi-journée. Ce label de plus s’aligne sur les pratiques de concurrents consistant à noter les entreprises sur la base de documents. Le modèle, en plus d’être moins coûteux, séduit des employeurs désireux de jouer les bons élèves…

Auteur

  • Catherine Abou El Khaïr