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« Se doter d’une raison d’être, c’est préparer le futur »

À la une | publié le : 01.12.2020 |

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« Se doter d’une raison d’être, c’est préparer le futur »

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À la tête de l’agence de notation extra-financière V.E créée par Nicole Notat (ex-n° 1 de la CFDT et auteure avec Jean-Dominique Senard du rapport sur l’objet social de l’entreprise qui a inspiré la loi Pacte), Sabine Lochmann souligne l’intérêt d’introduire une raison d’être dans les statuts, mais aussi les limites de l’exercice.

Deux ans après le vote de la loi Pacte, nombre de sociétés se sont dotées d’une raison d’être. Quelle est selon vous l’explication de cet engouement ?

Sabine Lochmann : Il faut replacer ce mouvement dans un contexte international. Nombre de pays ont engagé des démarches similaires. La performance financière n’est plus considérée comme le seul critère d’appréciation pour les investisseurs et autres parties prenantes ; nous observons de plus en plus d’engagements d’entreprises cotées s’inscrivant dans la démarche des ODD (objectifs de développement durable, ONU 2015) qui tournent autour de l’impact de l’entreprise sur la société prise dans son ensemble. Ce sont des engagements volontaires, et certains groupes organisent leur stratégie de développement sur cette base. L’évaluation peut être complexe. Nous avons été récemment saisis par une entreprise qui nous a demandé de l’aider dans la mesure des impacts résultant de la mise en œuvre de sa raison d’être. Pour autant, cette démarche est encore rare, et le quotidien des experts de V.E reste l’évaluation des performances extra-financières selon notre propre méthodologie d’évaluation basée sur des normes et des standards internationaux.

Pensez-vous que cette demande d’évaluation soit appelée à se développer ?

S. L. : La démarche est nouvelle et nous manquons encore de recul. Concernant les engagements pris par les entreprises ayant choisi d’adopter une raison d’être, des controverses commencent à voir le jour sur des critères très spécifiques : des décisions peuvent-elles être prises par des directions, alors que la raison d’être étant dans les statuts, les actionnaires devraient avoir le dernier mot ? Mais au-delà, la dimension de la raison d’être est bien plus large. Elle est d’ailleurs portée par les dirigeants qui y associent les salariés avant qu’elle ne soit votée par les actionnaires puis inscrite dans les statuts. Son rôle est de poser un sens et une direction afin d’atteindre un objectif, une aspiration, le plus souvent associé à la « durabilité » des actions du groupe dans le temps et vis-à-vis de l’ensemble des parties prenantes. Contrairement à la RSE, qui repose sur des normes, sur des directives, mais aussi sur des pratiques opérées au sein d’un secteur professionnel, son rôle consiste à déployer les engagements pris par les dirigeants dans leurs plans d’action annuels et pluriannuels.

Les engagements pris par les dirigeants ne risquent-ils pas de les mettre en danger ?

S. L. : En effet, décider de la direction à prendre, c’est aussi s’interroger sur l’existant afin de mettre en œuvre, au travers de plans d’action donnés, une véritable politique de développement, de transformation, afin d’atteindre un engagement très élevé, aspirationnel. Ces engagements ne peuvent pas tous être quantifiables et donner lieu à interprétation et critique. Pour autant, ils peuvent aussi être une façon de se protéger contre des risques à venir qui pourraient, de ce fait, remettre en cause leur activité. Quand, par exemple, Veolia s’engage à « ressourcer la planète », le groupe va plus loin que la simple gestion des déchets et assume pleinement son rôle vis-à-vis des parties prenantes partout où il est implanté. La mise en œuvre très responsable de la raison d’être va prendre du temps. Les entreprises vont devoir arbitrer et trouver un équilibre entre la gestion de leurs résultats au jour le jour et la préparation du monde de demain.

Y a-t-il des corrélations entre les entreprises qui se sont dotées d’une raison d’être et celles qui sont le mieux notées par V.E ?

S. L. : Nous n’avons pas encore fait un tel exercice de comparaison, puisque seulement une petite centaine de sociétés s’est dotée d’une raison d’être. Pour autant, si le fait d’avoir une raison d’être ne rentre pas dans nos critères d’évaluation, la mesure de ses impacts, par le biais de reportings qui en seront faits par les sociétés devant leurs actionnaires et leurs clients, démontrera sans nul doute une qualité dans la préparation à faire face aux risques environnementaux, sociaux et de gouvernance éventuels. De quoi déclencher une appréciation des performances de l’entreprise sur le long terme.