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La crise dope la raison d’être

À la une | publié le : 01.12.2020 | Laurence Estival

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La crise dope la raison d’être

Crédit photo Laurence Estival

Introduite par la loi Pacte, la possibilité d’inscrire leur raison d’être dans leurs statuts est aujourd’hui plébiscitée par de plus en plus d’entreprises. Y compris en cette période de tempête où elle devient un outil de cohésion et de projection vers le futur.

« Libérer les énergies humaines par la technologie pour un avenir inclusif et durable. » Il aura fallu près d’un an de travail à Capgemini pour définir sa raison d’être, dévoilée le 12 octobre dernier dans un contexte bien différent de celui dans lequel ce processus avait été lancé. Ce chantier avait en effet été engagé à l’automne 2019 en associant toutes les parties prenantes dans l’ensemble des pays dans lesquels la société de services numériques est implantée, par le biais d’ateliers et de contributions passés à la loupe. Avec, à l’arrivée, un résumé reprenant les mots les plus utilisés identifiés avec l’aide de l’intelligence artificielle. Entre-temps, la Covid-19 est passée par là sans pour autant repousser cette introspection à des jours meilleurs, ni même en redessiner les contours. « La pandémie a mis en avant le besoin de garder des liens, elle a accéléré l’usage des outils numériques et placé au centre des débats la question du développement durable, pointe Isabelle Lamothe, directrice associée de l’activité People &Organization chez Capgemini Invent et cheville ouvrière de ce vaste projet. Cette raison d’être qui part de ce que nous sommes est aussi une boussole pour mettre le cap sur le futur. » Un futur qui se décline déjà en actions concrètes : réduction de l’empreinte carbone, accélération du passage aux technologies vertes, promotion de la diversité et de l’égalité au sein des équipes ou lancement de programmes spécifiques pour lutter contre les inégalités… Présentée conjointement par Paul Hermelin, le président du conseil d’administration du groupe, et Aiman Ezzat qui lui a succédé au poste de directeur général, cette raison d’être est même devenue le symbole de la continuité entre hier, aujourd’hui et demain. « Cette continuité fait la force des raisons d’être : partir de ce que l’on a fait, c’est parler de ce que l’on est et savoir qui on est devient un tremplin pour aborder l’avenir », souligne Sylvain Breuzard, dirigeant et fondateur de Norsys, entreprise de services numériques.

Mouvement de fond

Capgemini n’est d’ailleurs pas le seul à l’avoir compris… Les entreprises qui s’étaient interrogées avant la pandémie sur leur finalité au-delà de leurs seules performances financières et sur leurs impacts sur la société n’ont pas baissé les bras : « Quand j’ai fondé cette société, mon objectif était, certes, de faire du business, mais aussi de faire du travail une source d’épanouissement », explique Pascal Grémiaux, dirigeant d’Eurécia, une entreprise spécialisée dans les logiciels de gestion RH. Un engagement destiné aux clients – l’utilisation des solutions proposées les libère de tâches répétitives et leur permet de se consacrer à des activités plus stimulantes – mais aussi à ses propres collaborateurs. « Le salaire en fin de mois ne peut pas être la seule source de motivation, ajoute le chef d’entreprise. La raison d’être est, dans ce cadre, un moyen de répondre à leur quête de sens et d’engranger une dynamique. » Si cette PME toulousaine n’a pas encore inscrit sa raison d’être dans ses statuts, les dirigeants d’Orange ou d’Engie sont passés à l’acte au printemps 2020 à l’occasion de leur assemblée générale. Le mouvement ne cesse de prendre de l’ampleur : en septembre dernier, la RATP s’est à son tour jetée à l’eau. Un questionnaire en ligne a été adressé à l’ensemble des collaborateurs, dont les réponses sont en train d’être triées. « Il ne s’agit pas d’un effet de mode mais d’un mouvement de fond, prévient Bertrand Valiorgue, professeur de stratégie et de gouvernance des entreprises à l’université Clermont-Auvergne et auteur d’un livre de référence sur la raison d’être1. C’est un moyen de refonder l’entreprise. » Une opportunité particulièrement intéressante en période de crise… La raison d’être est en effet un outil de mobilisation des équipes pour recréer du collectif et un sentiment d’appartenance face au développement du télétravail ou aux craintes pour l’avenir, causes de stress ou de démotivation. Le groupe Pierre Fabre le confirme : les réflexions engagées autour de sa raison d’être ont participé à souder les collaborateurs pendant la crise. « L’accent, mis sur l’importance de la relation avec les patients et sur notre contribution à un monde meilleur chaque fois que nous prenons soin d’une seule personne, nous a aidés à mobiliser les salariés dans la fabrication en urgence du gel hydroalcoolique au printemps dernier, illustre Marc Alias, directeur du Core (Communication, réputation, et engagement) du groupe. Il y a même une fierté à travailler au sein d’un groupe qui, au-delà de ses propres intérêts et de celui de ses collaborateurs, cherche à avoir un impact positif sur la société. »

Couteau suisse

Outil de résilience pour les uns, la raison d’être peut également être utilisée pour affirmer des valeurs et des convictions. À l’image d’Arkéa. Soucieuse de maintenir son indépendance en vue d’une séparation ordonnée avec le groupe Crédit mutuel, l’entreprise coopérative, en cogitant sur sa future raison d’être, a voulu saisir cette opportunité créée par la loi Pacte pour rappeler ce qui fait sa spécificité : une banque coopérative attachée à son territoire et une entreprise attentive au respect de l’environnement. C’est d’ailleurs autour de cette raison d’être qu’est élaboré le futur plan stratégique qui sera dévoilé en décembre prochain. « Nous allons, par exemple, accompagner nos clients dans leur transition environnementale et développer nos produits financiers qui ont un impact positif sur l’environnement, les sujets sociétaux ou la gouvernance », indique Anne-Katell Quentric-Roth, responsable du département RSE d’Arkéa. Pour souligner son attachement à sa région, la banque coopérative vient aussi de lancer le fonds Breizh Ma Bro dédié au développement, au soutien et à la relance de l’économie en Bretagne et en Loire-Atlantique.

Outil défensif, la raison d’être peut devenir une arme offensive. « Les entreprises partent parfois d’une prise de conscience qui les conduit à mettre leurs équipes en mouvement, et cette dynamique peut aller jusqu’à un changement de business model », pointe Bertrand Valiorgue. Si elle n’en est pas encore là, BNP Paribas Personal Finance illustre cette trajectoire : les réflexions sur sa raison d’être, comme la rédaction, en plein confinement, du Manifeste qui explicite la démarche, ont été l’occasion de préciser la vision d’avenir de la filiale de BNP Paribas spécialisée dans le crédit aux particuliers et de remettre en question de nombreux principes : « En indiquant vouloir faciliter l’accès au plus grand nombre à une consommation plus responsable et plus durable, c’est une part de notre approche qui est transformée », résume Véronique Berthout, Head of Company Engagement for Positive Impact Business. Les chantiers sont ambitieux : BNP Paribas Personal Finance devra faire évoluer ses critères d’appréciation du risque pour servir des clients aux profils plus diversifiés. Autre exemple : accompagner la consommation responsable demande de bien informer les consommateurs sur l’impact environnemental de leurs achats. Un plan d’accompagnement des équipes au changement est déjà dans les tuyaux. « La crise va fragiliser certains de nos clients. En faisant ce travail sur notre raison d’être et sur l’évolution de nos métiers, nous nous sommes préparés à affronter ce nouveau défi », conclut la responsable.

Au-delà du marketing

Reste qu’il ne suffit pas de se doter d’une raison d’être pour entraîner les équipes autour de perspectives d’avenir partagées. « Il faut pouvoir suivre sa mise en œuvre de manière très concrète, rappelle Maxime de Beauchesne, fondateur du cabinet de conseil Instinkto qui entend jouer un rôle de « facilitateur » en accompagnant ses clients dans leur cheminement. « Les entreprises ne doivent pas prédire le monde d’après mais le construire. » Chez Arkéa comme chez BNP Paribas Personal Finance, la création d’indicateurs mesurant les progrès sur les axes prioritaires est en cours. La raison d’être est d’ailleurs opposable en cas de non-respect des engagements, même si, sur ce point, la jurisprudence en est à ses balbutiements. Cet argument, brandi par Suez pour s’opposer à sa prise de contrôle par Veolia, a montré ses limites… En attendant, les risques en matière de réputation sont bel et bien réels sur les clients bien sûr, mais aussi sur les collaborateurs et sur les prochaines recrues. « La capacité que nous avons à nous projeter et à expliquer en quoi nous rejoindre va permettre aux candidats d’avoir un impact sur la société va devenir déterminante pour recruter et pour fidéliser les talents, notamment quand la crise sera derrière nous », prédit Sylvain Breuzard. Une façon de rappeler que la définition d’une raison d’être est bien plus qu’un simple argument marketing. Gare à ceux qui ne l’auraient pas compris…

(1) « La raison d’être de l’entreprise », collection L’Opportune, mars 2020.

Auteur

  • Laurence Estival