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Télétravail et téléreprésentants du personnel

Idées | Juridique | publié le : 01.11.2020 |

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Télétravail et téléreprésentants du personnel

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Pour les 82 000 comités sociaux et économiques élus depuis l’ordonnance de septembre 2017, le baptême du feu est rude ! En effet, alors que début 2020 nombre de nouveaux CSE tâtonnaient pour trouver des équilibres internes, mais aussi externes dans les grandes entreprises, avec l’articulation entre CSE central, CSE, Commissions santé, sécurité, et conditions de travail (CSSCT), « un petit animal ressemblant à un panzer habillé par Paco Rabanne » (S. Tesson) a mis le monde entier sens dessus dessous.

Cette épidémie mondiale ne constituait pas une première. Mais elle a pris de court les gouvernements occidentaux régnant désormais sur une population d’électeurs seniors hypocondriaques, où le « principe de précaution » est devenu précautionnisme angoissé (Cf. l’explosion jurisprudentielle des préjudices d’anxiété).

Le travail à distance a donc explosé. Tout d’abord, en France, à l’occasion de la méga contre-expérience des télétravaux forcés et confinés au domicile en mars-avril. Puis, des nombreux retours à la maison-bureau en octobre dernier, après la très progressive rentrée au bureau de septembre…. Avec un apprentissage accéléré des TIC en forme de mentorat inversé pour beaucoup de collaborateurs, y compris représentants du personnel. Et une confirmation : qu’il s’agisse du télétravail individuel ou de fonctionnement du CSE, on ne travaille bien à distance qu’avec des gens qu’on connaît bien au bureau. Et sur le plan collectif, une nécessaire confiance interindividuelle doit préexister à l’information-consultation ou à la négociation à distance. Car quand les rapports sociaux étaient difficiles avant, ils sont vite devenus très rugueux, voire se sont transformés en contentieux (cf. Amazon), alors qu’un bon dialogue social en forme d’intelligence collective est essentiel en ces temps de crise sociale et économique.

Mais comme le note le passionnant rapport de l’association « Réalités du dialogue social » publié fin septembre 2020, « élus comme directions s’accordent à dire que ce passage au dialogue social dématérialisé s’est fait rapidement et finalement sans trop de difficultés […]. Le digital a rebattu les cartes des acteurs du dialogue social en fonction de leurs capacités d’adaptation au changement, ou de leurs liens avec les autres ». Avec des conséquences inattendues : chacun étant obligé de se discipliner pour prendre la parole, cela a « contrarié les jeux de posture et la théâtralisation des relations sociales qui pouvaient, en présentiel, parasiter le dialogue ».

Mais parfois, la peine a été double pour certains représentants du personnel en télétravail. Car, au-delà de leur labeur habituel dans des conditions techniques et familiales parfois difficiles, exercer un mandat (ex : CSSCT) alourdi par la multiplication des réunions Zoom, précédées de concertation entre élus sur le groupe WhatsApp, a largement entamé leur vie personnelle. Même si les heures de trajet étaient nécessairement réduites, leur temps de travail hebdomadaire a parfois dépassé les 44 heures, sans parler d’éventuel travail dominical ou de nuit… à l’insu du plein gré patronal.

Télé-RP après la pandémie

Tant pour le nombre de collaborateurs visés que pour le nombre de jours, une forte croissance du télétravail est prévisible dans les années à venir : collectivement choisi (exemple : accord QVT), et parfois collectivement subi : événement climatique et autres futurs H2N2 ou C20.Quelles vont en être les conséquences sur le mandat de nos « téléreprésentants du personnel », qui peuvent « circuler librement dans l’entreprise et y prendre tous les contacts nécessaires à l’accomplissement de leur mission, notamment auprès d’un salarié à son poste de travail », si la moitié de leurs collègues sont à leur domicile ?

Le Second Grand Chambardement des IRP ? Là encore, il faut savoir raison garder… Car il existe des grands magasins et des centres industriels, des garages et des entreprises de transport, plus des deux tiers des salariés français, où le télétravail reste impossible. Car préexistaient à la pandémie travailleurs nomades et autres sans bureau fixe (SBF), accessibles sur leur seul téléphone mobile.

Ce n’est enfin pas à l’occasion de la Covid-19 que nombre de délégués ont découvert la messagerie électronique, les réseaux sociaux internes ou les groupes WhatsApp. Ni que des délégués ont commencé à twitter en direct pendant une négociation, ou à demander conseil par SMS à l’UL.

Mais aussi pour des raisons pratico-pratiques. Car y compris en matière syndicale, les temps ont vraiment changé : le militantisme syndical n’est plus ce qu’il était. Rédiger, reproduire et distribuer des tracts papier à 8 heures du matin exige de nombreux militants ; mais un seul peut, en cinq minutes, rédiger et envoyer un e-mail à des centaines de sympathisants. Et la prise du pouls des militants, voire du personnel, qui prenait hier une semaine, peut aujourd’hui se faire en une matinée sur le groupe Facebook. Nombre de délégués seniors sont en train d’être désintermédiés par de jeunes collaborateurs ayant créé leur propre groupe en dehors de toute affiliation syndicale, et dont la réactivité leur mène la vie dure.

Le nouveau deal des accords Télétravail banalisé

Il est logique qu’à l’occasion de la négociation d’un accord sur le télétravail augmenté post-pandémie, les syndicats représentatifs souhaitent avoir accès à la messagerie d’entreprise, et pas seulement à l’intranet, comme le prévoit l’ordonnance du 22 septembre 2017.

Hypothèse envisagée avec une grande défiance par le DSI, et avec méfiance par le directeur des Relations sociales ne voulant pas forcément donner à tous les syndicats (signataires et non signataires) cette exceptionnelle capacité de mobilisation. Mais pour nos syndicalistes pas toujours geeks, organiser un « conflit collectif » si 60 % des éventuels grévistes sont en télétravail…

Règle d’ordre public, le très légitime article L. 2142-6 s’impose aux négociateurs : « L’utilisation par les organisations syndicales des outils numériques doit être compatible avec les exigences de bon fonctionnement et de sécurité du réseau informatique de l’entreprise, ne pas avoir de conséquences préjudiciables à la bonne marche de l’entreprise et préserver la liberté de choix des salariés d’accepter ou de refuser un message. »

• Car le respect impératif des consignes de sécurité informatique est aujourd’hui plus important que la bonne vieille sécurité incendie. Ainsi, l’accord prévoira que l’actualisation des pages ne pourra se faire qu’avec un matériel ad hoc, lui-même sécurisé, et si possible à partir d’un local de l’entreprise. Ce qui évitera aux 647 collaborateurs les facéties du fiston du délégué syndical en télétravail voulant « Lol, s’amuser un peu, Mdr » grâce à l’ordinateur paternel, dont les codes d’accès confidentiels figurent sur le Post-it à droite de l’écran familial.

• « Préserver la liberté de choix des salariés d’accepter ou de refuser un message ». À l’instar du tract du matin que l’on peut prendre, ou laisser, chaque collaborateur doit en effet pouvoir indiquer s’il souhaite, ou non, recevoir des messages syndicaux ; même si, faute d’intention lucrative, un tel e-mail n’est pas assimilable au « pourriel » des spammeurs. Le titrage doit donc faire apparaître la source, chaque syndicat devant constituer sa liste de diffusion…dont la confidentialité reste forcément relative, comme toute connexion sur le site syndical interne. Et comme il s’agit de listes nominatives, et de données particulièrement sensibles, CSE ou syndicats devront comme gardiens de ce fichier respecter le très menaçant RGPD (www.cnil.fr). Mais dans la vraie vie, quelle est la régulation la plus efficace sinon les très vifs sinon carrément injurieux courriels renvoyés dans la seconde par des collègues déjà submergés de mails et excédés de voir leur boîte envahie… Avantage collatéral : si sa puissance de feu communicationnelle rend la messagerie ou le réseau social interne socialement fort chatouilleux, littéralement « tous comptes faits » dans notre société de la réputation, mieux vaut souvent laver son linge sale en famille plutôt que d’en faire profiter des voisins pas toujours bien intentionnés : ainsi, de communautés syndicales sur des réseaux sociaux externes, et largement ouvertes.

Last but …Si le télétravail doit se développer à trois ou quatre jours par semaine, à l’instar du Collège cadres, il serait dans les grandes entreprises souhaitable d’élire des délégués nécessairement télétravailleurs. Car dans les entreprises où cols-bleus et cols-blancs cohabitent, il n’est pas certain que l’ouvrier ou le chef de rayon délégué saisisse bien les spécificités de cette si particulière organisation professionnelle/personnelle.

Le télétravail, E.T. de notre droit du travail militaro-industriel.