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Quelles contreparties sociales pour les aides aux entreprises ?

Idées | Débat | publié le : 01.11.2020 |

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Quelles contreparties sociales pour les aides aux entreprises ?

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Que ce soit sur le dispositif de chômage partiel ou les différentes aides financières consenties aux entreprises pour contrer les effets de la crise sanitaire sur l’économie, la France apparaît comme généreuse par rapport à d’autres pays, mais aussi laxiste quant aux conditions d’obtention. Ainsi, le plan de relance de 100 milliards sur deux ans du Gouvernement ne comprend aucune contrepartie en matière d’emploi pour les entreprises qui en bénéficient. Face aux annonces de suppressions d’emplois, notamment de la part d’Air France et de Renault, la question se pose…

Laurent Berger Secrétaire général de la CFDT.

Sommes-nous capables de retenir les leçons du passé ? Six ans après la mise en place du CICE, le gouvernement s’apprête à verser 20 milliards aux entreprises sous forme de baisse d’impôts de production sans exiger de contreparties. La CFDT n’a jamais contesté le principe d’une aide publique aux entreprises. Pas plus hier qu’aujourd’hui. Car les entreprises, ce sont aussi les salariés. Mais veiller à ce que ces aides ne soient pas détournées de leurs objectifs est une exigence incontournable. À deux titres. La bonne utilisation des deniers publics interdit « d’arroser le sable ». Ils doivent donc être efficaces et viser juste. La santé de notre démocratie ne peut davantage le supporter. La rubrique des usines qui plient bagage ou celles qui ont des comportements irresponsables après avoir bénéficié de concours de l’État ou de collectivités – une des dernières en date, Bridgestone – fait un mal fou à la confiance accordée par les citoyens à l’action publique et au consentement à l’impôt. Les entreprises profiteront toutes de cette bouffée d’air fiscale promise par le plan de relance : peu importent leurs engagements sociaux ou environnementaux ; peu importe si elles éprouvent ou pas des difficultés à respirer ; peu importe leur contribution ou non au commun dans cette période terrible. C’est donc dans les entreprises elles-mêmes et selon leur situation qu’il faut imaginer des contreparties. Qui d’autres que les élus du personnel, garants du temps long, peuvent exercer ce contrôle social ? Depuis des semaines, la CFDT revendique un avis conforme et un droit d’alerte du CSE (Comité social et économique) sur l’utilisation des aides. Cette carte brandie par les représentants des salariés obligerait les entreprises soutenues financièrement à consacrer ces sommes à la préservation et au développement de l’emploi, à l’amélioration de la qualité du travail et du dialogue social. Elle les inciterait à s’engager concrètement sur le chemin de la transition écologique. Nous avons pesé pour mettre cette idée dans le débat public. Au gouvernement et aux partenaires sociaux de s’en saisir.

Sophie de Menthon Présidente d’Ethic.

Les débats sur les soi-disant « cadeaux aux patrons », qu’il s’agisse de la baisse des impôts de production, du chômage partiel ou de l’exonération de charges, sont une éternelle rengaine, alors même qu’il s’agit de mesures de sauvegarde des entreprises. On pourrait d’ailleurs argumenter que ce sont plutôt des « cadeaux aux salariés ». En effet, en cette période de crise pour les entreprises, la seule véritable contrepartie des aides, c’est, pour les entreprises, de ne pas faire faillite ! Les « cadeaux aux patrons » sont donc nécessaires pour les entreprises et pour les emplois, ainsi que pour rapatrier une production partie ailleurs : dans les pays, précisément, où l’on fait des cadeaux aux patrons en permanence… Si l’on demandait des contreparties aux entreprises, cela équivaudrait à un impôt déguisé. À cet égard, d’ailleurs, diminuer les taxes est bien plus efficace, et les effets sont bien plus immédiats, à condition, là encore, de ne pas demander de « contreparties ». Ainsi, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) a permis de créer environ un million d’emplois, deux ans après sa mise en œuvre, alors qu’il faut souvent cinq à sept ans pour que les effets de ce genre de politique soient visibles… Or, notre culture économique (ou notre absence de culture, au choix…) nous empêche de considérer qu’il vaut mieux baisser les charges et les impôts plutôt que de taxer et de subventionner. Dans le contexte actuel, le Gouvernement a raison de favoriser la capacité à produire en France. N’oublions pas que la part de l’industrie, dans le PIB français, est comparable à celle de l’industrie dans le PIB grec ! Quand on consomme plus qu’on ne produit, le problème n’est pas le pouvoir d’achat, mais la capacité des entreprises à produire.

Mathieu Plane Directeur adjoint – département analyse et prévision, OFCE.

Selon nos prévisions, le PIB se réduirait de 9 % cette année, et, malgré la mise en place d’aides massives, les entreprises accuseraient 56 milliards d’euros de pertes en 2020. Le plan de relance de 100 milliards, qui arrive après le plan d’urgence (environ 60 milliards d’un point de vue budgétaire), représente des montants hors normes, dont une grande part est destinée aux entreprises. La question d’une contrepartie à ces aides inédites est légitime, mais il est important de distinguer les mesures temporaires et celles durables. Les mesures d’urgence, par nature temporaires, ciblent, à travers l’activité partielle ou le fonds de solidarité, les entreprises en difficulté. Elles doivent se déployer rapidement et sont ciblées en fonction de la perte d’activité. Il est difficile d’exiger des contreparties claires à ces entreprises ayant très peu de visibilité et dont la survie est en question. La rapidité du déclenchement de ces aides est aussi peu compatible avec de longues négociations en amont. Seules des contreparties ciblant, le temps des aides, le gel des rémunérations des dirigeants, l’interdiction de licenciements économiques et de distribution de dividendes, semblent opérationnelles. En revanche, pour les aides fiscales pérennes, comme la baisse des impôts sur la production, la question des contreparties est différente. Les entreprises bénéficient de 10 milliards par an de baisse de leur fiscalité, qu’elles soient affectées ou non par la crise de la Covid-19. Ces mesures visent à renforcer la compétitivité et l’attractivité du territoire. Pour que ces aides soient compatibles avec l’objectif recherché, il serait donc souhaitable de négocier avec les grandes entreprises ayant des filiales à l’étranger sur des contreparties concernant le rapatriement d’une partie de leur production sur le territoire, et de privilégier la sous-traitance made in France.

Ce qu’il faut retenir

//Mauvaise nouvelle. Plus de 7 500 postes supprimés (sur la base du volontariat) d’ici fin 2022, chez Air France, 4 600 en France chez Renault : pourtant, dans le premier cas, la compagnie aérienne a bénéficié de 7 milliards d’euros d’aide de la part du Gouvernement. Dans le deuxième, l’État a accepté de garantir un prêt bancaire de 5 milliards d’euros au constructeur. Si les aides de l’État ont bien été conditionnées, dans le cas d’Air France, à un engagement écologique, cette dernière avait, dès 2019, annoncé vouloir réduire de 50 % ses émissions de CO2 en 2030 par rapport à 2005… Quant à Renault, le groupe doit s’engager sur plusieurs points, dont « la localisation en France de leurs activités technologiquement les plus avancées ». Rien, donc, de précis, sur le maintien de l’emploi…

//Déceptions passées. Remplacé le 1er janvier 2019 par un allègement de charges, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), instauré en janvier 2013 pour lutter contre le chômage, avait été critiqué à l’époque, du fait qu’aucune contrepartie n’était imposée aux entreprises. Et si l’ambition était de créer « un million d’emplois en cinq ans », comme le déclarait Pierre Gattaz, alors président du Medef, l’effet total de ce coup de pouce, sur la période 2013-2016, est estimé à environ 100 000 emplois créés, selon le dernier rapport de France Stratégie sur l’évaluation du CICE publié en septembre 2020. « Ce qui est faible, rapporté au coût du CICE – de l’ordre de 18 milliards d’euros en 2016 », précise le document.

//Ailleurs. Dès la mise en place des dispositifs de chômage partiel, plusieurs pays d’Europe ont exigé, en échange du paiement des salaires, des engagements de la part des entreprises sur le maintien de l’emploi. Ainsi, aux Pays-Bas, l’État veut bien avancer 80 % des salaires que les entreprises doivent payer, mais à condition qu’elles montrent qu’elles aient perdu au moins 20 % de leurs revenus et qu’elles ne licencient pas pour des raisons économiques pendant la période couverte par l’allocation. Et en Espagne, qu’importe leur situation, les entreprises doivent s’engager à maintenir les salariés dans l’emploi pendant au moins six mois pour recevoir l’aide de l’État en matière de chômage partiel.

En chiffres

900 000

C’est, en comptant les emplois indirects dans les services (concessionnaires, garages, auto-écoles…), le nombre d’emplois que représente l’automobile, dont 400 000 emplois industriels directs, selon le Conseil national des professions de l’automobile (CNPA). En outre, 40 000 à 50 000 postes sont menacés, uniquement dans les services, et 30 % des entreprises risquent la faillite, selon le CNPA.

Source : https://www.cnpa.fr/actualites/coronavirus-2e-enquete-economique-sur-l-impact-de-la-crise-30-des-entreprises-des-services-de-l-automobile-en-risque-de-faillite/

160 000

C’est, d’après le Premier ministre Jean Castex, l’objectif de création d’emplois en 2021 attaché au plan de relance de 100 milliards d’euros sur deux ans.

Source : https://www.gouvernement.fr/france-relance