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Maîtrise technologique et culture digitale sont nécessaires

Dossier | publié le : 01.11.2020 | Gilmar Sequeira Martins

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Maîtrise technologique et culture digitale sont nécessaires

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Si la fonction RH s’empare de nouveaux outils et incorpore de nouvelles compétences, elle risque de se laisser surprendre par la diversité des pratiques et de l’appétence des utilisateurs, déjà bien réelles.

Identifier et faire évoluer les compétences est l’un des enjeux clefs de l’ère post-Covid. « Aujourd’hui, les RH doivent pouvoir proposer des offres de postes caractérisés par des compétences. La formation aussi a pour but une montée en compétences et l’évaluation se fait également sur les compétences », estime Geoffroy de Lestrange, product marketing et communication director EMEA de Cornerstone. Selon lui, ce nouvel horizon donne la possibilité aux RH d’avoir « une approche stratégique de la mobilité, que ce soit au niveau individuel, en incitant telle personne à postuler à tel poste, ou dans une optique de planification, en déterminant quelles compétences manquent ou sont susceptibles de manquer dans l’ensemble de l’organisation ». De quoi renforcer les capacités de sourcing interne puisqu’il devient possible de déterminer quels collaborateurs disposent déjà d’un certain nombre de compétences et de réduire ainsi l’effort de formation nécessaire pour les amener à occuper un poste à pourvoir.

Jean Pralong, professeur de gestion des ressources humaines à l’EM Normandie, se montre plus prudent. Il rappelle que le recrutement était, il n’y a pas si longtemps, « entièrement dévolu à l’attraction de candidats ». Selon ce spécialiste des RH, une telle approche avait deux inconvénients. Le premier est qu’elle conduit à mal évaluer les candidats, car les recruteurs explorent moins les besoins du poste et les compétences nécessaires pour l’occuper. « Vouloir séduire les candidats influe aussi sur l’attitude des candidats qui prennent l’habitude de bouger régulièrement et de se montrer exigeants », ajoute-t-il. Une telle attitude peut cependant leur être préjudiciable, car ils se constituent ainsi un début de carrière patchwork qui peut devenir discriminant. « Pour un recruteur plus senior, le fait d’avoir occupé cinq postes en quatre ans peut donner l’impression qu’un candidat est instable », constate Jean Pralong.

Impulser et animer

Il n’empêche, la fonction RH va clairement évoluer sur le développement des talents, estime Didier Rouxel, animateur de la commission digitale de l’ANDRH : « Le DRH doit redevenir proactif. Il doit impulser et animer. Analyser ce qu’il se passe pour relancer et plus seulement être dans le suivi des outils déjà déployés. » Il note que les services RH ne sont plus mesurés seulement sur la gestion des campagnes d’évaluation, mais vont vers la création d’événements, de webinars ou de forums. La marque employeur va prendre de l’importance et la fonction RH va devoir l’animer en communiquant en interne, mais aussi à l’extérieur, via les canaux numériques. « Les RH sont attendus sur l’innovation, l’engagement des collaborateurs et la création de valeur, relève Didier Rouxel. Ce sont des compétences dont disposent déjà beaucoup de RH, mais ils doivent les faire valoir. Et le faire savoir pour obtenir les moyens de leurs ambitions. »

Si la data s’immisce prudemment dans la RH, elle est encore trop rarement pilotée directement. « L’enjeu de compétences repose sur la formulation de la demande à adresser au spécialiste de la data, qui exige une évolution de l’état d’esprit, explique Julien Fanon, directeur exécutif au sein du département Talent et organisation d’Accenture. Il y a un mythe de la data capable de donner des réponses par elle-même. Dans les situations réelles, c’est aux équipes RH d’identifier les problèmes, d’inclure la data parmi les outils capables de fournir des réponses à partir d’hypothèses qu’ils formuleront, et de coconstruire des algorithmes avec les data scientists. » Et de poursuivre sur sa lancée : « Il faudrait enseigner aux équipes RH la méthode “issue-based solving” qui permet de faire émerger de nouvelles façons de faire et de penser. L’enjeu n’est pas uniquement de former les équipes RH sur Workday ou Oracle, mais également de les initier à de nouvelles méthodes. Ils doivent mieux comprendre les méthodes agiles, la digitalisation ou le lean management. Pour les former, il vaut mieux miser sur l’expérimentation à travers de petits ateliers. » Orange a déjà franchi le pas de l’empowerment de ses équipes en leur faisant développer des applications adaptées à ses besoins. Ce qui n’empêche pas la coconstruction avec des startups ou des éditeurs. « Cela nous permet de bénéficier des dernières avancées technologiques et d’assurer un déploiement rapide, explique Claire Scotton, directrice de la stratégie et du digital à la DRH Groupe d’Orange. Nous avons actuellement une centaine d’applications RH déployées. » Cette montée en compétences tient à un rapprochement entre les équipes IT et les métiers afin que les process soient les plus embarqués : « C’est une tendance de fond que nous appuyons. » L’opérateur télécom mise aussi sur une autonomie toujours plus poussée du collaborateur avec MyJob. Sous ce nom de baptême provisoire se cache une application intégrée qui permet au salarié de gérer son parcours de bout en bout. « L’objectif est d’accompagner les salariés et les managers, ajoute Claire Scotton. Le premier lot porte sur l’évaluation et la conversation continue devrait être déployée fin 2020, début 2021. Le second et le troisième lot portent sur la rétribution et la mobilité interne. Ils seront déployés en 2021. »

Utilisateurs tous égaux ?

Si la période est propice aux avancées majeures, il reste cependant du chemin à parcourir. D’abord en termes technologiques. « Ce qui manque aux RH actuels, c’est la maîtrise des derniers outils comme la réalité virtuelle avec des casques VR ou encore la vidéo 360° », note Didier Rouxel. Encore parfois considérés comme des gadgets, ils sont pourtant « les outils standards de demain pour la formation dans un monde “phygital” », soutient l’animateur de la commission digitale de l’ANDRH. Qui manque rarement de rappeler les applications possibles de ces outils : « Les images ou séquences peuvent être enrichies de commentaires ou de contenus interactifs. Cela peut, par exemple, assurer une certification sécuritaire ou une habilitation d’accès à un site de type Seveso à un coût sans commune mesure avec celui pratiqué aujourd’hui. »

Un autre obstacle reste à surmonter, celui de l’adhésion des collaborateurs à ces nouvelles pratiques RH. Sont-ils vraiment en mesure de répondre aux attentes ? « Il faut avoir à l’esprit que dans les entreprises, la fonction RH est une fonction partagée entre les équipes RH, les managers et les collaborateurs », note Jean Pralong. Le domaine où l’évolution est la plus nette est bien celui des plateformes de mobilité interne, toujours plus nombreuses. « Ce sont des systèmes à 360° qui articulent postes à pourvoir, compétences et formations, résume-t-il. L’entreprise la plus avancée dans ce champ est L’Oréal, mais ce type de dispositif va se développer à travers des systèmes mutualisés. »

Tous les collaborateurs ne sont pas pour autant égaux devant de tels systèmes. « Les cadres sont naturellement à l’aise, c’est moins vrai pour les autres niveaux hiérarchiques », ajoute Jean Pralong. « Il y a des références et des pratiques très assimilées chez les cadres qui sont souvent considérées comme évidentes pour tous, mais qui peut garantir que c’est bien le cas ? Dans le cas de la mobilité interne, est-il si évident que tous les salariés maîtrisent les procédures pour postuler, pour parler d’eux-mêmes, pour évoquer leurs compétences ou leur déficit de compétences sans l’associer à une prise de risque, pour accepter une évaluation de son potentiel sans craindre que cette information soit utilisée ultérieurement avec une visée différente ? »

Le spécialiste n’hésite pas à souligner que les experts RH, très imprégnés de bonnes pratiques, « ont un peu tendance à surestimer leur degré de dissémination ». De son analyse de la situation, il titre deux conclusions : « Aujourd’hui, tous les candidats n’ont pas les mêmes capacités pour décrypter une annonce. Les signaux que je perçois me laissent penser que la situation a peu de chances d’évoluer. » Sans oublier que les RH restent une fonction prudente du fait du cadre juridique et contractuel dans lequel elles évoluent. « Les entreprises demandent à la fonction RH d’être efficace, mais rarement d’être révolutionnaire », note Didier Rouxel. La crise sanitaire et ses évolutions aux contours imprévisibles risquent de figer cet horizon.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins