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La crise, accélérateur de la transformation

Dossier | publié le : 01.11.2020 | Xavier Biseul

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La crise, accélérateur de la transformation

Crédit photo Xavier Biseul

Dématérialisation des processus, digitalisation de la formation et du recrutement… La crise sanitaire impacte fortement l’organisation même de la fonction RH. Le confinent lui a notamment permis de faire un bond en avant dans l’appropriation des outils numériques.Par Xavier Biseul et Gilmar Sequeira Martins

En deux mois de confinement, les entreprises ont gagné l’équivalent de deux ans dans leur transformation numérique. Ce constat établi, fin avril, par Satya Nadella, patron de Microsoft, se vérifie pleinement pour la fonction RH. Longtemps considérée comme le parent pauvre de la digitalisation, elle a réalisé, au printemps dernier, un formidable bond en avant en assurant la poursuite de son activité et, par là même, celle de l’entreprise tout entière.

Présente sur tous les fronts, la DRH a dû, du jour au lendemain, organiser le recours généralisé au télétravail et réaliser en ligne des missions qui se tiennent traditionnellement en présentiel comme le recrutement et la formation. Le tout en accompagnant les cadres dans leur nouveau rôle dévolu au management à distance et en prévenant les risques psychosociaux chez les collaborateurs en situation de détresse.

« Il y aura un avant et un après-Covid-19 pour les DRH », estime Sybille Delaporte, directrice générale du cabinet de conseil RH BPI group. Ils ont, selon elle, tenu un rôle central durant le confinement en garantissant notamment le maintien de la cohésion sociale et de l’engagement des collaborateurs. À eux de conserver cette place acquise dans des circonstances exceptionnelles alors que la rentrée sociale est particulièrement chargée. « Les DRH ne doivent rien lâcher. » Avec la crise, beaucoup d’entre eux ont retrouvé un siège au comex. Ils se trouvent, par ailleurs, en position favorable dans les arbitrages budgétaires en cours. Des projets de transformation numérique, jusqu’alors relégués aux calendes grecques, deviennent prioritaires.

Si le confinement a donné l’occasion aux DRH de toucher du doigt la transition numérique et de s’approprier de nouveaux outils, parfois aux forceps, la période a aussi, selon Sybille Delaporte, « révélé des dysfonctionnements dans l’organisation de la fonction RH, des processus trop lourds ou insuffisamment digitalisés, un manque de polyvalence dans certains postes ». Dans leur ensemble, les entreprises reconnaissent qu’elles n’étaient pas prêtes à passer au tout distanciel. « Toutefois, les organisations au sein desquelles préexistaient une culture agile et une habitude des outils collaboratifs se sont montrées plus résilientes », poursuit-elle.

Le mode SaaS, vainqueur par KO

Le véritable défi a été l’établissement de la paie pour les mois de mars et d’avril. « Les responsables de la paie qui n’avaient pas de solution en mode SaaS ont dû revenir sur site pour l’établir puis imprimer et expédier les bulletins de paie par La Poste, note Béatrice Piquer, chief marketing officer de Talentia Software, éditeur qui cible les ETI. Certaines sociétés ont même pris le risque de les envoyer par e-mail en version PDF. »

Autre casse-tête : les gestionnaires de paie devaient tenir compte des multiples annonces du gouvernement entre le recours à l’activité partielle, l’assouplissement des conditions de pose des congés payés ou le report des cotisations sociales. ADP qui édite, en France, trois millions de bulletins de paie pour 12 000 entreprises, a recensé pas moins de 67 nouveaux textes entre le 1er avril et le 14 mai !

Face à une telle inflation réglementaire et à la difficulté d’assurer la veille légale, l’externalisation ou le recours à un éditeur d’une solution en mode SaaS, intégrant automatiquement les mises à jour, s’impose de fait. « Les clients viennent chez nous chercher de la sérénité en s’affranchissant de la complexité informatique et réglementaire, avance Françoise Breux, directrice marketing produit d’ADP. C’était vrai avant la crise, c’est encore plus le cas aujourd’hui. »

Ce qui a été criant pour la paie est aussi vrai pour d’autres tâches comme la gestion du temps et des absences, la pose de congés ou le traitement des notes de frais. « La crise est un formidable levier d’accélération du SaaS, observe Béatrice Piquer. Les freins habituellement avancés concernant la sécurité ou la conformité réglementaire ont été levés. » Selon elle, le débat entre le mode on-premise et le mode cloud n’existe plus. En rendant les données RH accessibles n’importe où, n’importe quand et sur n’importe quel terminal, le SaaS a définitivement gagné par KO. Cette généralisation du SaaS va de pair avec une accélération de la dématérialisation des documents RH. Le mouvement a démarré avec le bulletin de paie, associé au coffre-fort électronique du collaborateur, puis s’est poursuivi – avec la signature électronique – par le contrat de travail et ses avenants, de leur création à leur archivage numérique à valeur probatoire. Après les processus liés à la gestion du personnel, la crise pousse à la digitalisation des missions plus nobles de la fonction RH que sont le recrutement, la formation ou le développement des compétences. Les chargés de recrutement conduisent en « live » les entretiens d’embauche par visioconférence ou font appel au principe de l’entretien vidéo différé. Le candidat se filme chez lui, face à sa webcam ou son smartphone, en répondant en quelques minutes à une série de questions.

Director HCM product strategy de Workday pour la zone EMEA, Sabine Hagège note aussi un renforcement de l’onboarding à distance. « Avant d’intégrer l’entreprise, la recrue a accès à des vidéos, des mini-formations. Il reçoit des informations sur la société et les documents administratifs à remplir. Une fois en poste, la plateforme va connecter le nouvel arrivant aux personnes clés de l’entreprise. »

Formation : le blended learning s’impose

C’est toutefois le monde de la formation qui a connu le changement le plus radical, estime Yves Grandmontagne, président du Lab RH et consultant en transformations RH, avec « la mise à l’arrêt des instituts de formation alors même que les entreprises avaient justement besoin de s’adapter au management et à la collaboration à distance ». Les responsables de formation ont dû rapidement se convertir aux contenus pédagogiques en ligne en passant par des modules d’e-learning, des classes virtuelles, des Moocs et autres serious games.

Organisme de formation 100 % digitalisée, tutorée par des experts, Unow a vu les demandes tripler depuis la crise. Pour Yannick Petit, son PDG et cofondateur : « 2020 sera une année charnière pour la formation en ligne. Avant la crise, le stage présentiel restait le mode le plus prisé. La priorité est maintenant donnée au distanciel qui abolit les obstacles géographiques et temporels. »

L’enquête menée cet été par Unow auprès de 600 responsables RH et formation d’entreprises de plus de 250 salariés en France confirme ce changement de paradigme. Pour 71 % des répondants, la modalité dominante sera désormais le blended learning, alliant formations en présentiel et en distanciel, le 100 % distanciel arrivant deuxième, devant le tout présentiel. La formation en ligne pourrait être aussi favorisée par le serrage de vis budgétaire opéré dans le contexte actuel de crise économique. « Le présentiel ne va pas disparaître, mais le mixte va s’équilibrer », en conclut Yannick Petit.

La pandémie a un impact sur le contenu même des formations avec une montée en puissance des « soft skills ». « Le télétravail exige de nouvelles compétences comportementales comme l’autonomie, la faculté d’adaptation, la gestion du stress, la gestion du temps ou le sens de l’organisation, confirme Pascal Grémiaux, président et fondateur d’Eurécia. Le savoir-être prend le pas sur le savoir-faire. »

La généralisation du télétravail suppose aussi de former les managers aux nouvelles méthodes de management à distance. « La communication qui, en temps normal, se faisait en face à face passe désormais par d’autres canaux », rappelle Sabine Hagège. Faute de pouvoir réunir physiquement ses équipes, le “télémanager” doit endosser un nouveau rôle de coach et passer d’un management de moyens à un management par objectifs.

Conserver l’engagement des collaborateurs

Le défi majeur des DRH n’est cependant pas l’optimisation ou l’adaptation des process RH. Selon Pascal Grémiaux, ils sont avant tout attendus sur le terrain social. « Prendre en compte l’immatériel, le ressenti des salariés, c’est plus compliqué que de s’outiller. Le confinement a soulevé des craintes et des incertitudes tant chez les collaborateurs que chez les managers. »Si un consensus se dessine pour un maximum de deux ou trois jours de télétravail par semaine, cette organisation du travail hybride nécessitera de trouver de nouveaux ressorts pour converser la dynamique et la cohésion d’équipe. Un manager devra notamment animer des réunions avec des membres de son équipe qui sont pour certains sur site, pour d’autres à distance. Et sans la machine à café pour se retrouver à la fin.

Le confinement a pu aussi entraîner une perte d’engagement. Des salariés conservent une mauvaise image du télétravail pour l’avoir exercé de façon subie et dans des conditions dégradées. « Les risques de burn-out se sont faits plus criants avec l’isolement, la surcharge de travail ou le surinvestissement, le sentiment de culpabilité par rapport aux employés en première ligne », souligne Béatrice Piquer.

Pour Pascal Grémiaux, le confinement a été aussi une période propice au questionnement et à l’introspection. « Les collaborateurs se sont interrogés sur le sens de leur travail. Est-il en phase avec leurs attentes, leurs valeurs ? Respecte-t-il leur équilibre vie professionnelle-vie personnelle ? »

« En sortie de confinement, c’est l’enjeu du réengagement qui prévaut, confirme Sybille Delaporte. Tout le monde a connu un coup de mou. » Elle conseille aux DRH de prendre régulièrement le pouls de l’entreprise en faisant notamment appel aux outils de mesure du climat social.

Plus classiquement, des entreprises ont aussi mis en place des cellules d’écoute psychologique et des plans de prévention des RPS. Le numérique peut, là encore, apporter sa contribution en donnant le niveau d’engagement par type d’employé ou de service. L’analyse des données RH permet aussi d’identifier les profils à risque. « Un collaborateur, parent isolé, qui télétravaille dans un petit logement, sera plus sujet à connaître une situation de détresse », illustre Béatrice Piquer.

Enfin, un DRH ne pourra occulter, surtout s’il évolue dans un secteur actuellement sinistré, le sujet sensible de l’employabilité des salariés. Comment anticiper l’évolution des compétences afin de surmonter cette crise, mais aussi les suivantes ? Un chantier de longue haleine.

Auteur

  • Xavier Biseul