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Décodages

Toulouse à l’heure de la reconquête

Décodages | Aéronautique | publié le : 01.11.2020 | Laurence Estival

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Toulouse à l’heure de la reconquête

Crédit photo Laurence Estival

La crise de l’aéronautique a fait l’effet d’une déflagration dans le ciel toulousain où Airbus, l’un des principaux employeurs de la ville, est également le moteur de sa croissance et de son attractivité. Touchées mais pas coulées, la métropole et l’Occitanie – qui accueille nombre de sous-traitants, préparent leur plan de reconquête.

La ville rose retient son souffle… Après quatre mois de négociations, les 3 500 suppressions de postes à Toulouse annoncées par Airbus au printemps dernier ne se traduiront pas par des licenciements secs. La signature, le 12 octobre dernier, de deux accords – un PSE avec des mesures d’âges et des départs volontaires pour création d’entreprise et sur l’activité partielle de longue durée – a permis d’éviter le pire. Du moins à court terme, car l’avionneur n’a pas exclu de recourir à des départs contraints si la situation venait à se dégrader. Deux clauses de revoyure ont été prévues en janvier et mars prochains. De quoi inciter à la prudence. D’autant qu’une première vague de réduction des effectifs a déjà eu lieu avec le non-renouvellement des CDI ou des intérimaires. Depuis le mois de mars, la baisse drastique du trafic aérien pour cause de pandémie a en effet ralenti le rythme des commandes et a percuté de plein fouet les entreprises de toute la filière qui étaient alors en forte croissance. « Alors que notre principal problème était de savoir comment recruter la main-d’œuvre dont nous avions besoin, du jour au lendemain, la menace des licenciements est devenue notre quotidien », illustre Jean-Marc Moreau, le délégué FO de Derichebourg Aeronautics Services, qui s’est résolu, pour éviter le licenciement de 700 salariés menacés, à signer l’un des premiers APC (accord de performance collective) post-covid garantissant le maintien de ces postes en échange de sacrifices salariaux.

« Nous sommes cloués sur place sans aucune visibilité sur l’avenir », résume Agnès Plagneux-Bertrand, vice-présidente de la métropole en charge de l’économie, qui craint, outre la progression du taux de chômage, une perte de compétences et qui, comme tous les acteurs économiques, cherche un plan B pour éviter le pire. « Oui, des entreprises vont disparaître. Mais autre chose va naître », explique, en bonne disciple de Schumpeter, Nadia Pellefigue, vice-présidente de la Région, en charge de l’économie, de l’innovation, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les responsables régionaux ont aujourd’hui deux fers au feu : sauver ce qui peut l’être des emplois liés à l’aéronautique, et trouver de nouveaux relais de croissance. « Le secteur de l’aéronautique ne va pas être rayé de la carte, même si nous devons poursuivre notre diversification, ajoute la vice-présidente de la Région. Car si, vu de Paris, vous avez l’impression que nous sommes victimes du choix que nous aurions fait pour la mono-activité, la réalité est bien différente. Nous avons, pendant dix ans, accompagné la croissance du secteur, répondant à ce qui nous était demandé par les entreprises. Il faut maintenant que nous accélérions le développement de nouvelles activités, l’un des axes que nous avons inscrits à notre agenda depuis 2017. »

Sauver ce qui peut l’être.

Sauver ce qui peut l’être passe d’abord par la défense de la future usine de production de l’A 321 avec ses 500 et 600 emplois à la clé qui devait remplacer celle dédiée à l’A 380 désormais arrêtée, et assurer le maintien dans l’emploi des salariés concernés. « Mais aujourd’hui, la direction d’Airbus ne souhaite pas prendre d’engagements fermes, attendant de voir si l’activité va repartir au non. Si on veut assurer un avenir au secteur, il faut faire les travaux maintenant, sinon nous ne serons jamais prêts dans deux ou trois ans quand la reprise sera là », critique Jean-François Knepper, le délégué central FO de l’avionneur, qui croit dur comme fer à l’avenir du secteur, « quand on aura trouvé un vaccin contre le coronavirus ». « Aucune commande de nouveaux avions n’a été annulée. Elles ont été seulement reportées », insiste-t-il. Les projets autour de « l’avion vert », pourraient eux aussi apporter une bouffée d’oxygène. Selon Airbus lui-même, le renforcement des équipes de recherche planchant sur cette thématique pourrait permettre de sauver 500 postes d’ingénieurs. Signe de l’intérêt croissant pour ce sujet, la convention d’affaires Aeromart, qui rassemble chaque année à Toulouse 1 500 entreprises du secteur aéronautique, a annoncé le maintien – mais en ligne – de la manifestation du 1er au 3 décembre, qui sera placée cette année sous le signe de la relance. Une partie des exposants et des conférences sera dédiée aux dernières technologies « vertes ». Reste que ces pistes n’ont pas de quoi assurer le maintien dans l’emploi de la totalité des salariés menacés, même en comptant sur les départs anticipés à la retraite ou les départs volontaires compris dans de nombreux plans sociaux… « La situation des jeunes – et notamment des jeunes diplômés – est préoccupante, observe Jean-Sébastien Fiorenzo, délégué régional de l’Apec. Pour la première fois depuis de nombreuses années, nous voyons des étudiants sortis des écoles d’ingénieurs, qui étaient recrutés avant même l’obtention du diplôme, nous demander de les accompagner. Sans accepter de s’orienter même momentanément vers d’autres secteurs d’activité, et pourquoi pas vers le conseil ou les bureaux d’études – les missions et les projets ne se sont pas arrêtés avec la crise – ou sans mobilité géographique, cela va devenir compliqué pour eux de trouver un emploi… » Et ce qui est vrai pour les nouveaux venus sur le marché du travail, l’est aussi pour ceux qui ont fait tout ou partie de leur carrière dans l’aéronautique. « Le secteur demande des compétences très spécifiques, observe Marie-Line Brugidou, secrétaire générale de l’Union régionale CFE-CGC en Occitanie. À quoi peut donc être utile un spécialiste des trains arrière d’atterrissage en dehors de ce secteur d’activité ? » « La question à Toulouse se pose avec acuité pour les cadres majoritaires sur le site d’Airbus comme chez nombre de partenaires et sous-traitants, mentionne Françoise Viallard, déléguée centrale CFE-CGC d’Airbus. Ce sont eux qui vont payer le prix le plus fort de la restructuration annoncée. » Capgemini a déjà fait basculer certains de ses consultants toulousains spécialisés dans l’aéronautique vers d’autres secteurs par le biais de programmes de formation ad hoc. « Si pour certains domaines, ce transfert est possible, pour d’autres profils très pointus, c’est beaucoup plus compliqué », reconnaît toutefois le DRH de l’ESN, Bruno Dumas.

Objectif diversification.

Face aux difficultés, les collectivités – métropole et Région – se retroussent les manches. « Nous sommes aujourd’hui engagés dans la phase 3 de notre programme de sortie de crise : la première a été celle des aides à la trésorerie des entreprises en difficulté, la deuxième aux transferts financiers pour assurer la relance, et celle qui s’ouvre actuellement est celle de la transformation », détaille Nadia Pellefigue. Un travail d’identification des secteurs porteurs a été lancé. Une commission composée de seize experts, présidée par Jean Tirol, le prix Nobel d’économie, vient de rendre son verdict. Parmi les propositions phares : le renforcement du spatial, de l’énergie avec la montée en puissance de l’hydrogène, et des biotechnologies. « Nous souhaitons nous appuyer sur les points forts de nos laboratoires de recherche », précise Agnès Plagneux-Bertrand. « Nous allons aussi travailler sur l’agroalimentaire, le sanitaire et la logistique pour lesquels nous avons de nombreux atouts », ajoute la vice-présidente de la Région, déjà à l’offensive : cet été, une agence régionale des investissements stratégiques a été créée. Cette structure va permettre à la collectivité d’entrer directement à hauteur de 49 % au capital des entreprises qui ont des projets de diversification, et notamment celles du secteur aéronautique. « Actionnaire patient, notre objectif est de leur laisser le temps de développer ces nouveaux projets avant de nous retirer. Certaines ne sont déjà positionnées sur la fabrication d’équipements médicaux, un secteur qui a montré sa faiblesse avec la crise sanitaire », poursuit la responsable. Parallèlement, devrait être réalisée une cartographie des compétences sur ces secteurs clés pour faciliter la reconversion des demandeurs d’emploi et des jeunes diplômés afin de répondre à ces nouveaux besoins. Plusieurs OPCO se sont engagées à soutenir cette démarche. Ces initiatives prendront du temps, mais les acteurs locaux estiment qu’ils n’ont pas le choix. La solution de faire le gros dos et d’attendre le redémarrage des transports aériens dans les deux ans, préconisée par certains, est, pour beaucoup, un geste suicidaire, car rien ne dit que le délai ne sera pas plus long… Or, pour rester dans la course et pour continuer à attirer des talents, la région et la ville doivent rester proactives. « C’est vital pour Toulouse, où se concentrent 70 % des 271 000 emplois cadres de la région. La croissance de la métropole, de près de 15 000 habitants supplémentaires par an, a été essentiellement portée par le développement de ces emplois, et pas uniquement dans l’aéronautique », met en avant le délégué régional de l’Apec. Une vitalité qui lui a aussi servi de tremplin à l’international, en témoigne encore aujourd’hui la capacité de son pôle de compétitivité Aérospace Valley à réunir des partenaires européens autour de nouveaux projets lancés en lien avec les technologies transverses, à l’image de la croissance bleue ou du numérique, qui intéressent tant l’industrie navale que les entreprises tournées vers la protection de l’environnement. Touchée mais pas coulée, la ville n’a donc pas dit son dernier mot. Avis à ceux qui l’avaient déjà enterrée.

Un écosystème à dure épreuve

La crise de l’aéronautique n’est pas propre à l’Occitanie. L’observatoire Trendeo de l’emploi et de l’investissement, qui vient de publier une étude sur le sujet, mentionne qu’entre mars et septembre, le secteur a enregistré une perte de 11 950 emplois dans l’Hexagone, soit un nombre équivalant aux créations de postes qui étaient intervenues depuis la crise de 2008. Une hécatombe qui s’élève même à 13 354 postes en incluant les sous-traitants. Toulouse et l’Occitanie paient un lourd tribut à la détérioration de la conjoncture qui prend ici des allures de séisme : selon les chiffres de Trendeo, 6 529 suppressions d’emplois ont été annoncées pour la région, soit 7,84 % de l’emploi industriel.

Le géant Airbus, fleuron de l’aéronautique européenne dont le siège social est implanté dans la ville rose, a en effet entraîné dans sa chute une kyrielle de partenaires et sous-traitants en raison du ralentissement de l’activité, dans la capitale régionale mais aussi aux quatre coins d’Occitanie, où de nombreuses PME ont leurs chances de survie indexées à la capacité de rebond de ce vaste bassin d’emploi. L’aéronautique en Occitanie, c’est en effet plus de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires – sans Airbus, 800 entreprises et 110 000 emplois incluant 86 000 emplois directs dont près de 70 000 à Toulouse – soit 40 % de l’emploi industriel. Plus grande région aéronautique du continent, le secteur, qui reste le principal moteur économique régional, a en outre assuré au territoire le maintien d’une activité industrielle, quand nombre de ses voisins étaient confrontés à la fermeture d’usines.

Au-delà de la production, c’est aussi un vaste écosystème qui tremble : dans l’œil du cyclone, les centres de formation dédiés desquels sortent 75 % des ingénieurs formés à ces métiers dans l’Hexagone, mais aussi un vaste ensemble de sociétés de services et bureaux d’études, à l’image de Capgemini ou d’Assystem, dont l’aéronautique représente une part importante de leur activité.

Auteur

  • Laurence Estival