logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

France Compétences en surchauffe budgétaire

Décodages | Formation | publié le : 01.11.2020 | Benjamin d’Alguerre

Image

France Compétences en surchauffe budgétaire

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

L’établissement public quadripartite en charge du financement et de la régulation de la formation se retrouve dans le rouge au bout de dix mois d’existence. La faute à un financement de l’apprentissage « no limits » qui conduit le Gouvernement à le soumettre, dès l’an prochain, à une règle d’or budgétaire.

Paradoxe. C’est en partie parce que la réforme de l’apprentissage a rencontré un succès inespéré (+ 16 % d’apprentis en 2019, soit 491 000 contrats et des chiffres qui ont peu baissé à la rentrée 2020 malgré la pandémie) que France Compétences, l’instance quadripartite (regroupant État, Régions, patronat et syndicats) chargée de son financement, pourrait subir un sérieux tour de vis budgétaire dès l’année prochaine. Le projet de loi de finances pour 2021 ne le cache pas : « Afin de renforcer la soutenabilité financière du régime, une “règle d’or” visant le retour à l’équilibre à compter de 2022 de France Compétences est intégrée dans le PLF pour cet opérateur qui prévoit pour 2021 un déficit supérieur à deux milliards d’euros, dont une partie a un caractère structurel. » En anticipation, le ministère du Travail a d’ores et déjà inscrit la question de la gouvernance et de la politique budgétaire de France Compétences à l’agenda des groupes de travail paritaire planchant sur l’application et sur le suivi du plan de relance. Et le cabinet d’Elisabeth Borne a lui-même quelques scénarii en tête pour refermer le robinet : « Le retour à l’équilibre attendu pourrait passer par une réduction des flux », avance-t-on rue de Grenelle. Comprendre : par une diminution des montants de prise en charge des coûts « au contrat » de l’apprentissage tels que ces derniers ont été définis par les branches professionnelles. En attendant, l’établissement public vient de se voir accorder une rallonge de 750 millions pour lui permettre de retrouver quelques marges de manœuvre dans ses missions de financement de la formation. De l’alternance, bien sûr, mais aussi du plan d’investissement dans les compétences (PIC), des fonds de la formation mutualisés pour les entreprises de moins de 50 salariés, des aides au financement du permis de conduire pour les jeunes, du financement des projets de transition professionnelle ou du conseil en évolution professionnelle (CEP).

Enveloppe ouverte, enveloppe fermée.

Comment un établissement public doté d’un budget annuel de dix milliards en est-il arrivé là ? La cure d’austérité à venir était pourtant prévisible. Et ce, bien avant le rapport conjoint des Inspections générales des affaires sociales (Igas) et des finances (IGF), finalement paru au mois de septembre 2020 après avoir été longtemps repoussé, qui pointait l’impossible soutenabilité du régime de France Compétences. La faute originelle ? Avoir mis en place, au 1er janvier 2019, un opérateur dont les recettes s’appuient sur une enveloppe fixe calculée à partir d’une contribution patronale sur la masse salariale des entreprises, et, dans le même temps, le contraindre à dépenser sur enveloppe ouverte, dépendante du nombre de contrats d’apprentissage signés dans l’année et selon des coûts « au contrat » fixés par les branches professionnelles. 6 666 euros par an pour un CAP de boulanger spécialisé. 6 759 euros pour un CAP de réceptionniste. 9 000 euros pour un brevet de technicien ascensoriste. 10 275 euros pour une licence professionnelle de conception, développement et test à Amiens. 12 500 euros pour un BTS management d’unité de restauration… En tout, un stock de 7 000 coûts-contrats déterminés par les Commissions paritaires nationales de l’emploi (CPNE) des branches à des tarifs, certes, harmonisés au plan national (en moyenne 7 390 euros par contrat fin 2019, contre 7 150 € un an plus tôt lorsque les Régions géraient encore le dossier), mais parfois jugés excessifs. « Ces niveaux de prise en charge exorbitants ne pouvaient que créer des effets d’opportunité et de profitabilité chez les centres de formation d’apprentis. J’entendais encore, il y a peu, un directeur de CFA expliquer qu’il “se faisait” 1 500 euros de bénéfice par contrat. Résultat : même pas dix mois d’existence et France Compétences se retrouve avec un besoin de refinancement de 750 millions », déplore David Margueritte, élu régional normand et représentant des Régions au sein du conseil d’administration de France Compétences. En creux, l’exécutif est accusé d’avoir accepté le principe d’un financement « no limits » pour réussir, coûte que coûte, sa réforme de l’apprentissage, quitte à plomber à court terme les comptes de l’opérateur chargé de répartir les fonds. « Avec une croissance des contrats d’apprentissage de 16 % en 2019, soit quatre fois mieux que la moyenne des trois années précédentes pilotées par les Régions, et des recettes qui, elles, évoluent moins rapidement, le déficit n’est pas une surprise. Cela a provoqué un effet de ciseau qui explique que France Compétences ait vite manqué d’argent, d’autant que nous héritions aussi du lourd passif financier de plusieurs Régions », explique, en retour, Antoine Foucher, ancien directeur du cabinet de la ministre du Travail Muriel Pénicaud, aujourd’hui à la tête du cabinet de conseil en RSE Quintet. « Mais si la réforme n’avait pas eu un tel succès et qu’il n’y avait pas eu la Covid-19, le système revenait à l’équilibre en 2021-2022, le temps d’absorber le passif hérité du temps où tout l’argent de l’apprentissage n’était pas utilisé pour l’apprentissage. »

Marges de manœuvre.

Conséquence : l’écosystème de l’apprentissage s’est vu bousculé, et, surtout, l’assiette de cotisation des entreprises, dont la masse salariale a été impactée par les effets de la crise – licenciements ou activité partielle exonérée de contribution formation – s’est considérablement réduite… et les ressources de France Compétences d’autant. Le coup de pouce financier contenu dans le PLF 2021 est donc le bienvenu vu le contexte, mais la sécurisation durable des ressources de l’établissement public passera tout de même par une sérieuse réaffectation de ses budgets, mais « sans augmentation des cotisations des entreprises et sans toucher aux fonds du plan d’innovation dans les compétences (PIC) », glisse le cabinet. Gageure, alors même qu’au-delà de l’apprentissage, les postes de dépenses de France Compétences ont toutes les chances d’augmenter avec la probable création prochaine d’un fonds de formation mutualisé, à destination des entreprises de 50 à 250 salariés – ou 300, la limite exacte n’est pas fixée – qui avaient jusque-là été les grandes oubliées de la réforme. Organisations syndicales et patronales vont devoir se creuser la tête pour imaginer de nouvelles ingénieries financières. « L’objet est donc désormais d’assurer et de conforter l’équilibre global du système de financement, tout en laissant aux partenaires sociaux au sein des branches le soin de fixer le niveau de prise en charge par certification qui leur apparaît le plus adapté », note Bruno Lucas, délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle. Pour Antoine Foucher, les marges de manœuvre existent : « France Compétences peut cibler les branches qui dépensent beaucoup sur l’alternance dans le supérieur et peut revoir progressivement la prise en charge à baisse. En 2019, on notait une augmentation de 19 % du nombre de diplômes niveau III en alternance (BTS), de 45 % pour les licences, et de 69 % pour les masters. On peut baisser les coûts-contrats des licences et des masters tout en conservant une progression de l’apprentissage sur ces niveaux à deux chiffres ».

Turbulences et légitimité.

France Compétences risque cependant de traverser quelques zones de turbulence d’ici là. En aura-t-elle les épaules, alors qu’elle n’a pas encore soufflé sa première bougie ? « La maison est bien tenue et elle travaille ! » assure Philippe Debruyne, administrateur CFDT. Services de l’État, Régions et partenaires sociaux ont manifestement su trouver le bon « modus operandi », même si des tensions existent toujours, relatives notamment à la répartition des sièges au conseil d’administration où l’État dispose à lui seul de 45 voix sur 100 et peut parfois être tenté de passer en force. « Cela n’allait pas de soi au départ, mais nous avons réussi à faire du conseil d’administration une véritable instance de pilotage afin qu’il ne soit pas seulement la chambre d’enregistrement des décisions des experts techniques », souligne le cédétiste. « Il n’y a pas de débats à France Compétences, plutôt des juxtapositions de discussions techniques », objecte David Margueritte. Ambiance.

Au milieu de la tempête qui s’annonce, France Compétences fait figure d’un navire tentant de conserver son cap. Ses voiles ? Les quatre commissions spécialisées qui composent l’instance (Audit et finances, Certifications, Évaluations et Recommandations). Son gouvernail ? Le CA. Ses capitaines ? Son président, Jérôme Tixier, ex-DRH de l’Oréal connu pour son implication dans les affaires de formation, et son directeur, Stéphane Lardy, ex-négociateur tous terrains de FO et directeur adjoint de cabinet de Muriel Pénicaud que le ministère du Travail a imposé contre l’avis de Bercy. Son équipage ? Ses quelque quatre-vingts salariés, pour l’essentiel venus du CNEFOP ou du FPSPP. Sa cargaison ? Les enveloppes à répartir entre ses différents pôles de dépense… et celle que le plan de relance lui assignera ! Pour Philippe Debruyne, le plan de relance sera l’occasion pour l’établissement de trouver sa pleine légitimité dans l’écosystème du monde de la formation professionnelle : « France Compétences sera ce que nous en ferons. À nous de savoir répondre aux enjeux. »

En bref

Statut : établissement public à caractère administratif doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière.

Président : Jérôme Tixier.

Directeur général : Stéphane Lardy.

Budget annuel : 9,5 milliards d’euros.

Effectifs : 84 ETP.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre