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« Une tendance de fond née avant la pandémie »

À la une | publié le : 01.11.2020 | Ingrid Seyman

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« Une tendance de fond née avant la pandémie »

Crédit photo Ingrid Seyman

Selon le sociologue Jean Viard, l’exil des cadres franciliens oblige à repenser l’avenir des métropoles et l’aménagement du territoire français.

Le désir d’exil des cadres franciliens est-il lié au développement du télétravail, massivement expérimenté pendant le confinement ?

Jean Viard : Pour beaucoup de Franciliens, le confinement a été une occasion de pratiquer le télétravail loin de son domicile : un million de personnes résidant en Île-de-France ont quitté la région pour se mettre au vert durant cette période. Mais que l’on ait pu ou non quitter Paris ou sa région pendant le confinement, on sait tous, depuis mars 2020, qu’il est possible de travailler sans se rendre au bureau. Le confinement a donc ouvert le champ des possibles, même si la tendance de fond, ce désir d’exil, est née bien avant la pandémie de Covid-19.

Cette envie de vivre et de travailler ailleurs, et notamment hors de Paris, de quand date-t-elle alors ?

J. V. : La révolution numérique et la généralisation des outils, rendant possible le travail à distance, datent de 2008. Dès cette époque, des indépendants et des professions intellectuelles, sans lien de dépendance avec un employeur ou une clientèle exigeant leur présence sur Paris, ont pu commencer à s’installer en province. La ville de Paris a ainsi perdu 54 000 habitants au cours des dix dernières années.

Quelle est la motivation des salariés qui quittent les grandes villes ?

J. V. : La France est un pays de propriétaires… Et le Graal des Français, c’est la maison individuelle. Il y a, sur notre territoire, 16 millions de maisons et 4 millions de résidences secondaires. Dans cette période de crise, propice au repli, les gens rêvent d’un chez eux, à l’abri du monde : une maison, un jardin, un chien. Et la crise écologique a renforcé l’appétence pour le local, pour la nature, etc. Mais l’exil n’est pas l’apanage des classes favorisées, et il y a en réalité deux types d’exilés des grandes villes : d’abord, les CSP+, qui vont choisir d’habiter une maison ancienne dans des métropoles à taille humaine ou en milieu rural, dans les lieux à fort patrimoine (culturel ou touristique). Ceux-là vont acheter ou occuper à l’année une ex-résidence secondaire. Ensuite, à l’autre bout du spectre, il y a ceux qui n’ont plus les moyens de vivre dans des métropoles aux tarifs immobiliers devenus prohibitifs : ceux-là vont également quitter les villes, mais pour des lotissements en zone périurbaine.

Les métropoles ont-elles encore un avenir ?

J. V. : Plus que jamais, les grandes villes vont devenir des carrefours : des lieux à fortes densités culturelles et managériales, où l’on se rendra pour travailler, pour socialiser, pour se cultiver… Paris accueille chaque jour un million de travailleurs, en plus des 700 000 salariés qui y vivent. Mais pour que ces villes gardent leur âme, elles doivent être habitées… Et pas que par une poignée de privilégiés. Voilà pourquoi les politiques sociales doivent être spatialisées : afin que les professionnels dont les métiers sont incompatibles avec le télétravail, aient les moyens de résider près de leur lieu de travail. On pourrait, par exemple, construire des logements sociaux à proximité des hôpitaux, avec un quota de d’habitations réservées au personnel soignant.

Quid du reste du territoire ? Va-t-il être modifié en raison de l’afflux des nouveaux télétravailleurs ?

J. V. : L’exil des cadres hors de Paris et des grandes villes nécessite une vraie politique de décentralisation. Sans lignes de train pour desservir l’ensemble du territoire, sans connexion de qualité en zones rurales, nous n’aurons pas d’exil majeur. Dans les nouveaux territoires investis par ces salariés, il faudra aussi créer des tiers lieux numériques, des espaces de coworking, etc. L’enjeu est de continuer à proposer du collectif à l’heure où il est, plus que jamais, en crise, et d’éviter que chacun se replie sur son bout de jardin et sur sa cellule familiale.

Auteur

  • Ingrid Seyman