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Idées

Yves Struillou, une certaine idée du service public

Idées | Bloc-notes | publié le : 01.10.2020 | Antoine Foucher

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Yves Struillou, une certaine idée du service public

Crédit photo Antoine Foucher

Le 11 septembre dernier, après plus de cinq ans à la tête de la direction générale du Travail, Yves Struillou a démissionné. Sous sa houlette, la DGT a conduit trois révolutions du droit du travail, dont les effets systémiques sont appelés à durer pour les 18 millions de salariés et pour leurs employeurs. En réalité, on n’avait pas vu ça depuis le début des années 1980. Qu’on en juge.

Révolution des fondements du droit du travail d’abord, qui tient en un principe : le contrat plutôt que la loi. À cette dernière de garantir les droits fondamentaux et le cadre général ; à la négociation collective, c’est-à-dire au contrat des partenaires sociaux, d’aménager tout le reste. Si la graine avait été semée dès 2004, c’est bien en 2016-2017 que toute l’architecture du Code du travail a été refondée. Pari culturel, qui devrait nous épargner les changements incessants de législation sociale qui avaient fini par faire rimer droit du travail, insécurité juridique et retard français. Plus besoin de courir tous les deux ou trois ans après l’évolution du fonctionnement des entreprises pour ajuster la loi : c’est aux entreprises et aux branches de s’adapter en négociant leur contrat social, dans un cadre général mais enfin stable défini par la loi. Le droit, et donc l’État, était toujours en retard sur le réel. Il est désormais, par nature, toujours en avance : c’est dorénavant aux acteurs sociaux d’imaginer un environnement souple et acclimaté à leur situation spécifique et fluctuante, et non plus à la loi de bouger sans arrêt pour s’épuiser vainement à coller à toutes les réalités protéiformes et évolutives du terrain.

Révolution des pratiques du travail ensuite. Sous l’effet du confinement, le télétravail est devenu, du moins pour les cols blancs, une évidence. Là aussi, le droit a anticipé le réel, en consacrant dès les ordonnances de 2017 le droit individuel au télétravail. Plus d’avenant au contrat de travail, plus de motif à fournir à l’employeur : un simple mail d’information suffit, et c’est à l’employeur de justifier la présence du salarié sur le lieu de travail. A-t-on remarqué qu’au milieu des innombrables adaptations législatives que le confinement a nécessitées, le législateur n’a pas eu besoin de toucher une seule ligne du droit du télétravail ? Gouverner, c’est prévoir : la DGT a donné au droit une longueur d’avance sur cette évolution des mœurs que la Covid-19 n’a fait qu’accélérer.

Révolution de l’accès au droit du travail enfin : le Code du travail numérique est une démocratisation inédite de l’accès au droit social grâce au service public. Documents types téléchargeables, chemin « user-centric » partant du cas particulier de l’usager pour le guider vers les règles générales, présentation concrète et opérationnelle des droits des salariés dans les situations les plus courantes de la vie quotidienne : la DGT a réussi à conjuguer progrès technique et progrès social en utilisant le digital pour mettre le droit du travail à portée de la partie la plus faible au contrat, contribuant ainsi de façon décisive à la promesse républicaine de rendre réels les droits formels.

Homme engagé, loyal, cultivé, courageux, connaissant par cœur notre histoire sociale et ses acteurs, Yves Struillou s’est enfin efforcé, dans la continuité de son prédécesseur, de mettre un terme à certaines dérives d’une minorité activiste au sein de son ministère, archiconnues de tous mais que des années de laxisme et de petites lâchetés avaient fini par rendre routinières, et finalement tolérées. Au nom de l’idée qu’il se faisait de son devoir, il a dit non au renoncement qu’on lui imposait, et qui pourrait être dramatique pour certaines PME, des salariés et pour l’image du service public. Attaché, quoi qu’il lui en coûte, à une certaine idée de l’État. Yves Struillou, serviteur de l’intérêt général de la France : merci !

Auteur

  • Antoine Foucher