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Faut-il davantage encadrer les plans sociaux ?

Idées | Débat | publié le : 01.10.2020 |

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Faut-il davantage encadrer les plans sociaux ?

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Muriel Pénicaud a beau avoir exprimé aux partenaires sociaux, le 16 mars dernier, l’intention du Gouvernement d’interdire les licenciements pendant la crise du coronavirus, les restructurations se multiplient. Selon les chiffres officiels, entre le 1er mars et le 16 août, 49 000 suppressions de postes ont été envisagées dans le cadre de 228 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE). Presque trois fois plus que sur la même période en 2019 ! Comment convaincre les entreprises en difficulté d’éviter les licenciements ? Au-delà du dispositif d’activité partielle de longue durée, une question fait débat…

Marine Roussannes Directrice de la practice mutations des entreprises et restructurations au sein de LHH France.

Dans le contexte de crise actuelle, les licenciements collectifs pour motif économique devraient se multiplier. Presque l’intégralité des secteurs et des entreprises (de toutes les tailles) risquent de subir cette vague. Aussi, une question persiste : offre-t-on une égalité de traitement à tous les salariés français ? Depuis les réformes de 2013 et de 2016, les restructurations des entreprises de plus de cinquante salariés sont encadrées par un dispositif homogène et protecteur, négocié par leurs représentants, lors d’une procédure aux modalités et à la durée précises : accompagnement au reclassement interne et externe, soutien à la création ou à la reprise d’une activité, formation, indemnités… Mais cela ne concerne que la moitié des actifs français. Qu’en est-il pour les millions d’autres qui appartiennent à des entreprises de moins de cinquante salariés ? Très souvent, ces derniers ne sont pas ou peu représentés. Lors d’un licenciement collectif, la consultation de leurs représentants (s’ils en ont) n’est que peu ou pas encadrée. S’ils bénéficient du contrat de sécurisation professionnelle (CSP), ils ne sont pas éligibles au même niveau d’accompagnement que les salariés des grands groupes.

Les petites entreprises sont financièrement plus fragiles, plus sensibles aux crises et souvent exclues des dispositifs étatiques de soutien économique. Pourtant, leurs salariés sont moins protégés en cas de licenciement économique collectif. L’inégalité de traitement des salariés, liée à la taille de leur entreprise, pourrait sans doute être réduite en revisitant certains champs du cadre légal comme revoir les conditions de représentation dans les entreprises de moins de cinquante salariés, mieux encadrer les consultations pour les licenciements collectifs ou encore prévoir des mesures d’accompagnement.

Guillaume Gourgues Maître de conférences en science politique, université Lyon 2 – UFR anthropologie, sociologie et science politique.

La vague de licenciements annoncée révèle certains faux-semblants du Gouvernement. Depuis le début des années 2000, les réformes du Code du travail n’ont eu de cesse de tranquilliser les employeurs : la mise en place des ruptures conventionnelles collectives par les ordonnances Macron de 2017 a contribué à faire chuter le nombre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), en offrant la possibilité d’accords signés avec les représentants du personnel, allégeant les impératifs de reclassement et de motifs économiques, et donc le risque de contentieux ou de censure administrative. Cette tranquillisation pose aujourd’hui problème : en socialisant les salaires dans l’urgence par le chômage partiel, l’État a enrayé les licenciements sans rien exiger des entreprises à moyen terme. Or, dissuader ne suffit plus : stopper le chômage partiel équivaut à déclencher une vague de licenciements. Car l’administration aura désormais du mal à contester le bien-fondé des « difficultés économiques », motif central des licenciements économiques : les critères attestant de ces « difficultés » ne permettent pas d’identifier les entreprises qui utiliseraient la crise sanitaire pour procéder à des licenciements de compétitivité. Le recours croissant aux PSE trouve ici une partie de son explication. La lutte contre les licenciements, pour être effective, doit donc sortir d’un tête-à-tête entre l’État, les directions d’entreprises et l’actionnariat. Les salariés et leurs syndicats n’ont pas, aujourd’hui, la place qu’ils méritent dans la discussion de fond sur les motifs des licenciements économiques. Les cas marginaux, mais concrets, de reprises d’entreprises démontrent pourtant que les licenciements peuvent souvent être évités, à condition de donner les moyens nécessaires, l’assise légale et juridique à ces reprises. Un pouvoir économique des salariés, renforcé au-delà des dispositions légales en matière d’information sur les conditions de reprise, n’empêchera pas tous les licenciements. Il peut toutefois élargir le cercle des acteurs pouvant intervenir dans leur diminution concrète, au cas par cas.

Pierre Ferracci PDG du Groupe Alpha.

La situation d’urgence que nous venons de vivre a, certes, montré que les dispositifs à la disposition des acteurs de l’entreprise pour contrer la déferlante de plans sociaux et pour préserver l’emploi – tels les prêts garantis de l’État ou l’activité partielle – avaient été de puissants soutiens face au mur de la crise sanitaire. Mais elle a surtout démontré combien le dialogue social s’était révélé déterminant sur le terrain, bien plus qu’au plan national, en remettant, entre autres, les questions de la santé au travail au centre des priorités, ces dernières ayant été délaissées depuis la mise en place du Comité social et économique (CSE).

La période qui s’annonce à présent doit donc être l’occasion de miser résolument sur la capacité des acteurs de l’entreprise à se parler, et cela sera d’autant plus difficile que les annonces de restructurations se multiplient. Encadrer davantage risque de gripper un système particulièrement fragile. Il convient, au contraire, de susciter une autre façon de travailler ensemble vers plus de négociation collective, que l’on sait tout aussi fragile, en vue d’accords et de compromis équilibrés. Après le temps des mesures de soutien est venu celui d’un accompagnement dans la durée des entreprises et des salariés, apte à les armer durablement, en ne lésinant surtout pas sur les moyens de formation et d’élévation des compétences, car c’est sur le terrain de la sécurisation professionnelle que l’on pourra limiter les effets des licenciements économiques.

Osons également faire des représentants du personnel et des organisations syndicales de véritables acteurs au cœur des stratégies économiques et du développement des compétences. Ces derniers sont d’autant plus essentiels que les entreprises doivent réinventer leurs modes d’organisation et reconstruire le lien social. Il est plus que temps !

Ce qu’il faut retenir

//Suppressions. C’est un été meurtrier pour l’emploi qu’aura connu la France dans le sillage de la crise sanitaire. Au point que dès le 10 juin, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, déclarait s’attendre à « 800 000 suppressions d’emplois au minimum » d’ici la fin de l’année. Si certains PSE (qui concernent, selon sa définition, les entreprises de plus de 50 salariés, lorsque le projet de licenciement porte sur au moins 10 personnes), ont été largement médiatisés, d’autres – environ 2 700 – « petits » licenciements collectifs ont été initiés depuis début mars, relève la Dares dans sa dernière livraison du 20 août. « Dans 90 % des cas, il s’agit de licenciements de moins de dix personnes », précisent les services statistiques du ministère du Travail.

//Interdit d’interdire. Au lendemain de la volonté exprimée par la ministre du Travail d’alors d’avoir « zéro licenciement », Édouard Philippe a précisé que « l’interdiction administrative des licenciements, comme elle a pu exister, n’est jamais une solution totalement satisfaisante. Ce que nous voulons faire, c’est qu’il ne soit pas utile de licencier, d’essayer de faire en sorte que l’entreprise puisse continuer son existence ». Notamment par le biais d’un dispositif d’activité partielle de longue durée dans les secteurs les plus touchés, comme l’automobile et l’aéronautique. L’idée d’au moins encadrer les licenciements économiques n’est pas nouvelle. En 1995, la Cour de cassation a indiqué qu’une entreprise n’a pas le droit de licencier pour améliorer sa compétitivité, mais uniquement pour la sauvegarder… Et depuis 1975, la loi impose aux employeurs de faire valider les licenciements économiques par l’inspection du travail. Enfin, la loi Travail du 8 août 2016 a ajouté à la liste des motifs économiques de l’article L 1233-3 du Code du travail la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité et la cessation d’activité de l’entreprise. Pas de nouveauté donc, puisque la Cour de cassation avait déjà statué en ce sens, mais une clarification – relative – de la notion de difficultés économiques.

En chiffres

32

C’est, sur les 37 pays de l’OCDE, le nombre de ceux qui imposent des restrictions plus fortes pour les licenciements collectifs que pour ceux individuels.

Source : www.oecd-ilibrary.org//sites/1686c758-en/1/3/3/index.html ? itemId=/content/publication/1686c758-en&_csp_=fc80786ea6a3a7b4628d3f05b1e2e5d7& itemIGO=oecd& itemContentType=book#

15

Selon Eurostat, 15 millions de personnes étaient au chômage dans l’Union européenne, dont 12,6 millions dans la zone euro en juin 2020. Sur le même mois, celui de la levée des confinements, le taux de chômage dans la zone euro s’est affiché à 7,8 %, contre 7,7 % en mai 2020. Dans l’UE, le taux était de 7,1 % en juin, contre 7 % en mai.

Source : https://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/11156668/3-30072020-AP-EN.pdf/1b69a5ae-35d2-0460-f76f-12ce7f6c34be