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Idées

Comment sauver la valeur travail ?

Idées | Livres | publié le : 01.10.2020 | Frédéric Brillet

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Comment sauver la valeur travail ?

Crédit photo Frédéric Brillet

Dans leur livre, Gérard Amicel et Amine Boukerche présentent la genèse historique de la valeur travail et analysent ensuite la crise qu’elle subit.

C’est le grand paradoxe contemporain. D’un côté, la valeur travail revêt une importance majeure dans nos sociétés contemporaines qui en font un facteur essentiel de réussite, réalisation de soi, libération et indépendance. Pourtant, ces mêmes sociétés, à de rares exceptions, échouent à assurer le plein-emploi, laissant sur le bas-côté nombre de chômeurs déprimés. De leur côté, ceux qui ont le privilège d’avoir un emploi « peuvent vivre leur travail comme une épreuve physique et psychologique oppressante, stressante, asservissante ». En bref, « la valeur travail est en crise », constatent Gérard Amicel et Amine Boukerche, les deux philosophes auteurs de cet essai qui embrasse large, tant du point de vue disciplinaire qu’historique. De Karl Marx à David Graeber (inventeur du concept des bullshit jobs), les auteurs parcourent à travers les siècles les chemins de la philosophie et de l’économie pour illustrer leurs propos sur la grandeur et la décadence de la valeur travail, dont les définitions n’ont cessé de varier en fonction des auteurs et des époques. Pour en arriver à la nôtre, « où cette valeur se meurt discrètement », estiment les auteurs parce que « personne n’ose publier l’avis officiel de décès ». Pourtant, nous ne pouvons que constater que « le progrès technologique réduit massivement le temps de travail. Les appels incantatoires à la valeur travail sont donc en contradiction avec la réalité économique contemporaine. Et l’idéologie du mérite est une hypocrisie cruelle en l’absence de toute proportionnalité entre le travail effectué par l’individu et son revenu ». Dans ce contexte, sauver la valeur travail pour calculer rationnellement ce qui constitue un revenu juste paraît difficile. Et ce d’autant que le capitalisme moderne, dont la croissance se fonde sur la connaissance et sur l’immatériel, peine à déterminer la valeur du travail des manipulateurs d’abstraction (informaticiens, financiers, traders, consultants…). D’où de nombreuses spéculations sur la valeur réelle de ce qu’ils produisent qui finissent par générer des krachs et des crises économiques. Pour sortir de cette impasse, les auteurs passent en revue différentes solutions : rendre le management plus éthique, considérer les ressources humaines comme des fins et non comme des moyens, et réduire l’intensité et le stress pour améliorer la qualité (slow management). Nous pouvons aussi questionner l’idolâtrie de l’économie, le culte du progrès, qui crée de l’addiction et de l’aliénation. Ou bien, dans le sillage d’André Gore, envisager la décroissance en prônant l’autolimitation de la consommation et de la production pour concilier justice sociale et respect de l’environnement.

Autopsie de la valeur travail.

Gérard Amicel et Amine Boukerche, éditions Apogée, 164 pages, 15 euros.

Auteur

  • Frédéric Brillet