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Un enjeu phare de l’après Covid-19

Dossier | publié le : 01.10.2020 | Adeline Farge

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Un enjeu phare de l’après Covid-19

Crédit photo Adeline Farge

Si le H1N1, le SRAS ou Ebola avaient surtout frappé des pays asiatiques, cette fois, la pandémie de coronavirus n’a épargné aucun pays. Avec le confinement décrété le 17 mars, beaucoup d’entreprises hexagonales ont fermé leurs portes et placé leurs collaborateurs en télétravail voire en chômage partiel. De quoi justifier un regain d’intérêt pour les politiques de prévention.

« Personne n’avait anticipé qu’un virus venu de Chine provoquerait une crise sanitaire qui déstabiliserait le monde entier, signale Vincent Giraudeaux, président de la Fédération des acteurs de la prévention. Depuis la grippe espagnole, les entreprises n’avaient pas été confrontées à une pandémie aussi massive et contagieuse. Hormis dans certains secteurs, comme le soin ou l’agroalimentaire, le risque épidémique était jugé inexistant et aucun plan de prévention n’était prévu pour le contrecarrer. » Entre la pénurie de moyens de protection, les incertitudes scientifiques et les injonctions parfois contradictoires du gouvernement, les entreprises se sont retrouvées désemparées face à leur obligation d’assurer la santé et la sécurité de leurs collaborateurs. Bureaux partagés, ateliers, usines, abattoirs, hypermarchés… Depuis le début de l’épidémie, certains lieux de travail se sont transformés en clusters. Sur les 352 foyers de contamination investigués par Santé publique France au 24 août, 33 % ont été recensés au sein d’entreprises, environnements comptabilisant le plus de cas groupés.

Alors que la menace d’une seconde vague plane sur la France, les employeurs sont poussés à redoubler de vigilance et à renforcer leurs démarches de prévention. « Les sujets de santé publique ne sont pas de leur ressort habituel. Leur rôle est de prévenir les risques professionnels générés par l’activité ou l’organisation, comme ceux liés aux chutes de hauteur, au bruit, aux produits chimiques. La Covid-19 est causée par un évènement extérieur dont ils ne maîtrisent pas la survenue et la virulence. Mais, comme le virus s’invite chez eux, ils sont obligés de s’impliquer », prévient Pierre-Yves Montéléon, épidémiologiste et responsable de la santé au travail à la CFTC.

De nouvelles mesures de prévention

Pour sécuriser les salariés sans nuire à la reprise économique, l’exécutif a publié une nouvelle version du protocole sanitaire en entreprise. Principale mesure entrée en vigueur le 1er septembre, le port du masque obligatoire dans tous les espaces clos et partagés. En parallèle, le gouvernement recommande toujours le télétravail et le mètre de distance reste de mise. Au fil de l’évolution des connaissances sur le virus et des recommandations gouvernementales, les entreprises ont adapté à marche forcée leur organisation, leurs méthodes de travail et l’aménagement de leurs locaux. Désignation d’un référent Covid, prise de température, distribution de masques, sensibilisation des salariés aux gestes barrières, matérialisation des sens de circulation, traçabilité en cas de suspicion sont apparues au cours de la crise. « On a vu fleurir ce qui parfois fait défaut sur les chantiers comme des installations pour se laver les mains ou l’augmentation des fréquences de nettoyage des cantonnements qui ne sont parfois désinfectés qu’une fois par semaine. Les entreprises réfléchissent aussi à des techniques de construction sur ordinateur pour éviter les contacts rapprochés », constate Paul Duphil, secrétaire général de l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP).

Alors que les campagnes de vaccination contre la grippe saisonnière restent rares en milieu professionnel, les employeurs multiplient désormais les efforts pour faire obstacle au risque épidémique et empêcher un confinement bis. « Même s’il leur a fallu une période d’arrêt pour s’organiser, les entreprises ont fait preuve de réactivité. Rapidement, elles ont déployé des plans de prévention pour assurer, dans des conditions sanitaires maximales, les retours sur site. Les mesures ne sont pas complexes à mettre en œuvre, mais elles doivent être adaptées à chaque situation de travail et à l’évolution du contexte sanitaire. C’est essentiel de connaître le fonctionnement interne, d’assurer une veille réglementaire, de disposer d’outils de management des risques… », insiste Sébastien Beysson, directeur des opérations chez Red-on-line.

Un travail d’anticipation

Aux quatre coins du globe, le constat est imparable : « Les entreprises les plus résilientes sont celles qui étaient implantées en Chine et qui ont réagi dès début janvier. Celles qui avaient défini une organisation de crise, qui avaient des plans de prévention à jour, qui avaient identifié les risques professionnels, qui avaient mis en place des exercices de sensibilisation ont pu résister. Que la catastrophe soit environnementale, économique, sociale ou sanitaire, ce qui compte est de travailler sur la gestion de crise en amont », souligne Olivier Hassid, consultant en sécurité chez PwC. Entre l’arrêt des usines, les retards de livraison, la désorganisation des équipes, la recrudescence de l’absentéisme, les impacts sur la réputation et la menace de contentieux, l’actualité aura rappelé qu’un manque d’anticipation face à une crise peut porter atteinte à la survie d’une entreprise. Ainsi, 66 % des décideurs interrogés par l’Usine nouvelle et Dekra considèrent la prévention des risques professionnels comme un sujet majeur.

Repérer les fonctions vitales, planifier la réorganisation des services, prévoir des mesures de prévention… Soucieux de ne pas être désarmés si une autre pandémie se profilait à l’horizon, mais aussi capitaliser sur les procédures ayant vu le jour avec la Covid-19, nombre d’employeurs ont revisité leur plan de continuité d’activité (PCA), relégué dans un placard depuis la grippe A. « Les entreprises ont pris conscience qu’elles n’étaient pas invulnérables. En s’attelant à leur PCA, elles anticipent les pires risques qui pourraient leur tomber dessus et réfléchissent à une stratégie leur permettant de tenir tout en protégeant leurs collaborateurs, explique Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail. Alors que les problématiques de sécurité vont s’accentuer dans les prochaines années, les employeurs doivent rester en alerte s’ils ne veulent pas se retrouver dans la situation sanitaire actuelle. »

Des risques renforcés

Les responsables de la sécurité et de la santé au travail peuvent espérer à l’avenir occuper une place plus stratégique et voir leurs budgets gonflés. « Dès janvier, des directeurs de sécurité ont remonté les signaux précurseurs d’une crise sanitaire sans précédent, mais ces alertes n’ont pas été prises au sérieux par les dirigeants, focalisés sur le business et les problèmes du quotidien. Aujourd’hui, ils veulent tous une note de leur direction sécurité. Quand on leur dit qu’il faut acheter un million de masques ou qu’il faut fermer une usine, ils ne transigent plus. Leurs capacités décisionnaires et leurs marges de manœuvre sont beaucoup plus fortes », pointe Olivier Hassid.

Malgré toutes ces avancées, les lacunes en matière de prévention seront difficilement rattrapables à court terme. Démarches jugées fastidieuses et coûteuses, réglementation volatile, absence de personnels qualifiés et d’outils efficients… Près de 75 % des PME et ETI déclaraient en janvier ne maîtriser que partiellement leurs risques, selon un baromètre QBE. Premier point d’achoppement, le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) inexistant dans la moitié des sociétés de moins de neuf salariés, en dépit de son caractère obligatoire. « Les entreprises doivent mettre à jour leur DUERP pour intégrer le risque épidémique et les changements organisationnels engendrés par la Covid-19. Les mesures pour lutter contre le virus ont impacté les conditions de travail et généré des contraintes supplémentaires. Il s’agit d’analyser les situations de travail, en impliquant les salariés, de repérer les risques auxquels elles exposent et de définir pour chacune des actions de prévention », explique Séverine Brunet, directrice des applications à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS).

Manipulation de charges lourdes par une seule personne au lieu de deux, port du masque durant un effort physique prolongé, utilisation intensive de désinfectants corrosifs… Les mesures censées protéger les salariés peuvent paradoxalement nuire à leur santé et à leur bien-être. Sans compter que l’anxiété d’être contaminé sur le lieu de travail, les cadences sur les chantiers pour compenser le temps perdu, l’agressivité des clients exaspérés par les nouvelles règles sont propices à l’émergence de risques psychosociaux et de troubles musculosquelettiques. « Entre le personnel manquant, les difficultés à obtenir le matériel adéquat et les pressions pour rattraper les retards, la Direccte des Hauts-de-France a constaté une recrudescence des accidents du travail dans le BTP depuis la reprise. Par ailleurs, l’attention soutenue sur la Covid-19 entraîne une perte de vigilance sur les risques traditionnels et un relâchement des bonnes pratiques », regrette Paul Duphil.

Un dossier sera, lui, au centre des préoccupations : le télétravail. Son recours a explosé ces derniers mois. Porosité entre vies professionnelle et privée, intensification du temps de travail, sentiment d’isolement, manque de reconnaissance… « Ce mode de travail a généré des risques psychosociaux que nous n’avions pas identifiés, mais que nous devons aujourd’hui prévenir. Et l’une des clés est d’être attentifs aux difficultés vécues par les équipes. Le groupe a formé les managers pour qu’ils puissent à distance maintenir le lien avec les collaborateurs qui ne sont pas revenus dans les bureaux, mis en place une hotline psychologique et propose des formations sur la gestion du stress », détaille Laure Girodet, directrice santé sécurité du groupe Suez.

Mise en lumière d’un enjeu majeur

Dans une tribune dans le Journal du dimanche, 158 parlementaires ont appelé en mai à « une grande réforme » de la santé au travail, arguant que le système actuel avait révélé ses failles dans la gestion de la crise sanitaire. « Comme lors des affaires de l’amiante ou de France Télécom, la crise sanitaire a remis en lumière l’enjeu majeur de la santé au travail. Or, actuellement, l’organisation manque de clarté et les accompagnements sont insuffisants. Les acteurs de la santé au travail doivent aider les employeurs dans leurs démarches grâce à des solutions concrètes et incitatives, insiste la députée LREM Charlotte Parmentier-Lecocq, auteure d’un rapport sur le sujet. Il ne faut pas laisser retomber la dynamique enclenchée par la Covid-19, mais en profiter pour insuffler une véritable culture de la prévention dans les entreprises ». Initiées en 2018, les négociations entamées en juin devraient aboutir à une proposition de loi d’ici la fin de l’année. On saura très vite si les intentions sont suivies d’effets.

Auteur

  • Adeline Farge