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Le coronavirus pousse les préventeurs à se renouveler

Dossier | publié le : 01.10.2020 | Adeline Farge

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Le coronavirus pousse les préventeurs à se renouveler

Crédit photo Adeline Farge

Le coronavirus n’a pas manqué de susciter un branle-bas de combat sur le marché de la prévention. Entre l’inquiétude des employeurs, l’émergence de nouveaux risques professionnels, l’impossibilité de se déplacer chez les clients, les acteurs de la santé et de la sécurité au travail ont dû adapter leurs prestations et leurs modes d’intervention pour satisfaire la demande et sortir leur épingle du jeu.

Évaluation des situations de travail à risques, prise en compte du coronavirus dans la rédaction du document unique, définition de mesures pour éviter toute contamination, mise en place de protocoles en cas de suspicion de foyer épidémique… Démunis face à la complexité des démarches à déployer en urgence pour continuer leurs activités sans mettre en danger la vie des salariés, les employeurs se sont rués vers les intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP) pour être conseillés et accompagnés. Ces derniers ont multiplié les kits de mise à jour du document unique, les applications de traçabilité des actions de prévention, les aides pour repérer les collaborateurs en contact avec une personne porteuse du virus… Si certaines missions ont été reportées ou annulées avec le confinement, ces experts ont vu bondir les sollicitations relatives à sécurité au travail.

« Jusqu’à présent, c’est nous qui prenions les devants, mais, depuis le confinement, nous sommes débordés par les appels des employeurs inquiets face au coronavirus. En les accompagnant durant la crise sanitaire, ils ont pris conscience que nous pouvions répondre à leurs préoccupations et leur apporter de nombreux services en matière de santé au travail. Ils nous voient comme des acteurs clés de leur pérennité. À l’avenir, les relations seront plus régulières et nous allons nous orienter davantage vers la prévention primaire », espère Gérald Magallon, médecin du travail dans le Groupement des entreprises pour la santé au travail des Hautes-Alpes (Gest 05).

Mais, garder un lien étroit avec les sociétés tout en respectant les gestes barrières a contraint les professionnels à réinventer leurs méthodes de travail. « Lorsqu’un consultant évalue les risques professionnels sur un site, il observe les postes de travail, échange avec les collaborateurs, organise des réunions de restitution. Pendant tous ces moments, il y a une exposition potentielle au virus. En amont de chaque intervention, nous devons analyser les risques liés à la Covid-19, reprendre les protocoles sanitaires et définir les mesures de protection à mettre en place pour nous protéger. C’est une contrainte qui alourdit notre charge de travail », constate Elian Blanchon, directeur du développement des activités de conseil d’Apave, groupe spécialisé dans l’accompagnement des entreprises et des collectivités dans leur gestion des risques techniques, humains et environnementaux. Si les consultants peuvent à nouveau intervenir sur site, les restrictions d’accès aux prestataires imposées à l’entrée de certaines entreprises les forcent à réduire les heures en présentiel à la portion congrue. Désormais, le terrain est réservé à la visite des locaux et aux collectes des données nécessaires à l’évaluation des risques tandis que les démarches commerciales et la rédaction des comptes rendus se font à distance. « Si les informations récoltées sont incomplètes, nous perdons du temps lors de la restitution. Récemment, pour l’évaluation des risques de produits chimiques, il manquait une référence. J’ai dû recontacter le client qui n’était plus disponible ni compétent pour me renseigner, puis repasser dans l’entreprise. Si j’avais été sur place, j’aurais eu la bouteille sous les yeux », explique Matthieu Petit, fondateur du cabinet de conseil Eose.

Cet expert pointe également la difficulté à organiser des entretiens individuels et collectifs avec les interlocuteurs de l’entreprise (collaborateurs, RH, médecins du travail, représentants du personnel…) depuis le début de la crise sanitaire. « Nous faisons ces rencontres par visioconférence. Mais, à distance, nous n’avons pas la même qualité d’échanges et de compréhension d’une situation que lors d’un rendez-vous physique. Nous ne pouvons pas observer les personnes dans leur environnement de travail ni analyser leur gestuelle. Les réponses sont très factuelles et nous perdons cette dimension relationnelle de notre travail qui est essentielle notamment pour diagnostiquer des risques psychosociaux », regrette Matthieu Petit.

Essor de la téléconsultation médicale

Alors que la téléconsultation restait exceptionnelle, cette pratique a explosé dans les services de santé au travail. « Comme nous n’avons pas les personnes sous la main, nous ne pouvons pas procéder aux examens cliniques qui seraient pourtant nécessaires. En contrepartie, nous passons plus de temps à l’étude documentaire et à l’interrogatoire médical. C’est une procédure inhabituelle pour les médecins du travail », observe Gérald Magallon.

Faute de pouvoir accompagner en présentiel les salariés en grande souffrance, les acteurs de la santé au travail se sont attachés à leur offrir un soutien psychologique à distance, avec des entretiens moins approfondis, mais plus récurrents. « Au cours de cette période, de nombreuses personnes ont perdu un proche, ont été abandonnées par leur manager, se sont placées en position sacrificielle pour ne pas être mises en cause à leur retour au bureau. Le rôle des préventeurs a consisté à les rassurer et à les mettre dans une logique de prévention pour éviter des situations d’isolement et de surengagement professionnel », souligne Jean-Claude Delgenes, président de Technologia, cabinet d’évaluation et de prévention des risques professionnels.

Des modalités pédagogiques repensées

Autre domaine impacté par la distanciation physique : la formation. Face à l’impossibilité de réunir plus de dix personnes dans une même salle, les préventeurs ont dû faire preuve d’imagination et de réactivité pour digitaliser leurs catalogues et repenser leurs modalités pédagogiques s’ils ne voulaient pas baisser le rideau ni être dépassés par la concurrence, au moment même où les employeurs étaient enfin réceptifs aux messages de prévention. « Avant la crise sanitaire, nous ne faisions pas de formation en distanciel. Nous avons donc créé 17 programmes à partir de ceux déployés in situ et formé nos consultants à animer des ateliers en ligne, précise Marjorie Dumont-Crisolago, présidente de Preventech Consulting, cabinet spécialisé dans l’amélioration des conditions de travail. C’est différent d’être en classe avec des stagiaires focalisés sur la formation et d’être seul face à un ordinateur avec des stagiaires dans leur bureau. Il est plus difficile de maintenir leur attention. En distanciel, les séquences pédagogiques doivent être plus courtes et intégrées des supports numériques pour leur donner envie de rester connectés. »

Avec la foule de problématiques qu’elle a amenées sur le devant de la scène, mais aussi la possibilité de toucher un large public à distance, la crise sanitaire a été l’occasion de lancer des offres de webinaires et de formations sur de nouvelles thématiques. L’accent a été porté sur les mesures barrières et le contact tracing, l’évaluation des risques biologiques, le management des équipes en télétravail, la prévention des risques psychosociaux… « Le marché de la prévention a été bousculé par l’accélération du télétravail qui génère de nouveaux risques. Nous avons formé les managers à instaurer des rituels avec leurs collaborateurs pour garder le lien à distance, des techniciens ont visité des logements de salariés pour vérifier la sécurité de leur environnement de travail. Nous sommes en train de développer des prestations sur la gestion du temps de travail, le management d’une équipe à distance, l’aménagement du poste de télétravail… Ce sont des sujets vers lesquels nous nous orienterons dans les mois à venir », détaille Elian Blanchon.

De son côté, RSST, spécialiste en prévention des risques professionnels, a cousu main une formation pour les référents Covid-19. Objectif : livrer des clés pour qu’ils soient en capacité de s’assurer que les mesures de prévention sont appliquées dans leur entreprise. « En adaptant notre discours à l’entreprise, nous faisons un point sur la réglementation, les modes de transmission du virus, les gestes barrières et les signes du Covid-19. Nous développons les connaissances des référents pour qu’ils puissent gérer les situations problématiques et prendre en charge les personnes symptomatiques. En parallèle, nous avons conçu un module complémentaire Covid-19 destiné aux sauveteurs-secouristes du travail pour qu’en période de pandémie ces salariés puissent porter assistance à des victimes tout en évitant des contaminations », raconte Françoise Ter Jung, directrice associée de RSST.

Si le coronavirus a ouvert de nouvelles opportunités pour les acteurs du marché de la prévention, en revanche, les carnets de commandes se sont dégarnis sur d’autres sujets. Focalisés sur la lutte contre la Covid-19 et manquant de visibilité sur l’avenir, les employeurs boudent les prestations sur l’ergonomie, la qualité de vie au travail ou encore les conditions de travail. Si les cabinets les plus innovants pourront rebondir en s’adaptant à leurs nouvelles attentes, les conséquences seront lourdes pour ceux qui n’auront pas réussi prendre le train en marche.

Auteur

  • Adeline Farge