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Tout en rondeur et en détermination

Décodages | Institutions | publié le : 01.10.2020 | Irène Lopez

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Tout en rondeur et en détermination

Crédit photo Irène Lopez

Maintenu au Gouvernement de Jean Castex pour couver la réforme des retraites et la santé des travailleurs, Laurent Pietraszewski est comme un poisson dans l’eau. La gestion des départs en retraite, c’est son dada. Son expertise en RH ainsi que son relationnel apprécié ont fait de lui le candidat choisi par le Premier ministre pour dialoguer avec les représentants syndicaux. Quel négociateur est-il ?

Comment s’adresse-t-on à Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites et de la santé au travail ? « Monsieur le ministre ? Monsieur le secrétaire d’État ? Monsieur Pietraszewski ? » Quand sa collaboratrice invite à donner du « Monsieur le ministre », lui, affirme « ne pas être nourri à l’aune de ces titres ». Monsieur Retraites, alors ? « Cela renvoie à un engagement et à un sujet qui me passionne. J’ai été formateur référent pour le programme « Bien préparer sa retraite » au sein de l’hypermarché Auchan. J’aidais les salariés à gérer leur départ et je veillais à ce que leurs compétences ne partent pas avec eux. Le terme de ’Monsieur Retraites“ me convient et ne me dérange pas », répond Laurent Pietraszewski.

Né à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) en novembre 1966, il a grandi à Épinay-sur-Seine avant de passer son adolescence à Lambersart, une commune de la banlieue de Lille. Anecdote non dévoilée par Internet mais dont le secrétaire d’État s’amuse : il ne porte pas le même nom que son grand-père. « Mon père est né en 1941. Mon grand-père, résistant et polonais, n’a pas pu se rendre à la mairie pour déclarer le nouveau-né sous peine de se faire arrêter. C’est un camarade, polonais lui aussi, qui s’est rendu à sa place et qui a déclaré mon père en son nom. Depuis, nous nous appelons Pietraszewski et je porte ce nom avec beaucoup de fierté. »

Chez les Pietraszewski, on a l’habitude de travailler dur. Ses parents sont commerçants artisans : « Ils faisaient leur comptabilité le dimanche et, en semaine, ils n’avaient pas d’horaires. » À l’université, il avoue s’ennuyer. En parallèle de ses cours, il travaille dans une enseigne française de restauration rapide. « On y fabriquait le pain et on y servait des steaks hachés frais. J’étais content de faire quelque chose de mes mains. J’y suis resté un an et demi avant de devenir surveillant d’externat. » Il obtiendra un DEA en économie appliquée à l’université de Lille en 1990. Son mémoire de troisième cycle a pour sujet l’exclusion des travailleurs âgés du système productif. Il choisit ensuite de travailler dans le management opérationnel à Auchan pendant dix ans. En 2001, il est nommé responsable RH, toujours au sein de l’enseigne nordiste. Attention : il est « responsable RH » et non « DRH ». Il tient mordicus à cette différence : « Je n’étais pas le DRH d’Auchan, j’étais un responsable RH moyen. J’ai eu à mettre en place et à piloter un département au sein de la DRH sur les entretiens de seconde partie de carrière à 45 ans. Je débriefais les managers et les plus de 45 ans. J’ai d’abord été du côté opérationnel, c’est ma réalité. Si je fais partie du Gouvernement, c’est parce qu’il faut des opérationnels comme moi. » À partir de 2010, il se spécialise dans la gestion de carrière ainsi que dans le recrutement et s’engage dans l’association « Force Femmes », qui est chargée d’aider les femmes de plus de 45 ans à trouver du travail. « La gestion de carrière, c’est l’histoire de ma vie », reconnaît-il. Il a aussi été membre du conseil d’administration de l’Institut du marketing et du management de la distribution (IMMD) de Roubaix.

L’affaire du pain au chocolat.

Laurent Pietraszewski est entré tardivement en politique, en 2017, sous les couleurs d’En Marche ! Élu avec 67,17 % des voix face à Nathalie Acs (FN), il devient en quelques mois député de la onzième circonscription du Nord. À l’Assemblée, il rejoint logiquement la Commission des affaires sociales et est nommé rapporteur des lois Travail. En septembre 2019, il est également l’un des porte-parole du groupe des députés La République en marche. Sa promotion tombe un 18 décembre, en 2019. À 53 ans, Laurent Pietraszewski est nommé secrétaire d’État en charge de la réforme des retraites auprès d’Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé et des Solidarités. « Son expertise en RH et son expérience de rapporteur de la loi Travail ont joué en sa faveur », explique l’entourage du président. Il reprend les dossiers du haut-commissaire Jean-Paul Delevoye, contraint de démissionner, et a la lourde tâche de rouvrir les négociations avec les syndicats. Mais à peine nommé, deux polémiques éclatent. La première est relative à une transaction financière de 72 000 euros (déclarée à la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique) reçue du groupe Auchan. Elle correspondait en fait à une indemnité de licenciement perçue après la suppression du poste qu’il occupait avant son élection. La seconde concerne l’affaire dite « du pain au chocolat ». En 2002, à Béthune (Pasde–Calais), le responsable RH sanctionne une caissière, déléguée syndicale CFDT, qui offre un pain au chocolat trop cuit à une cliente. La scène est filmée par les caméras de l’hypermarché. La caissière est immédiatement mise à pied et placée en garde à vue pour vol.

Guy Laplatine, à l’époque jeune délégué régional de la CFDT, intervient pour que sa collègue soit réintégrée et blanchie. Aujourd’hui, le syndicaliste ne souhaite plus s’exprimer sur cette affaire. Il y a 18 ans, il décrivait l’événement comme « violent » et avouait avoir eu un face-à-face assez viril avec Laurent Pietraszewski. Guy Laplatine n’hésitait pas alors à parler de « discrimination syndicale » et de « chasse aux sorcières ».

En 2002, à Béthune, Stéphane Vanhersel est chef de caisses au sein de ce même magasin et travaille sous les ordres de Laurent Pietraszewski. Aujourd’hui DRH marketing et e-commerce de l’enseigne, il se souvient de l’affaire du pain au chocolat : « Ce n’était pas un pain au chocolat mais plusieurs qui étaient offerts tous les jours. Laurent Pietraszewski avait sanctionné la collaboratrice. Pour prendre ce genre de décision, il faut du courage. Il avait gardé le cap. Laurent possède un relationnel fort. Il est très sociable, capable d’être à l’aise avec n’importe qui. Il a côtoyé des hôtesses de caisse. Aujourd’hui, c’est le Premier ministre qu’il côtoie. À l’inverse, quand il a une conviction, il la défend. S’il estime que le nouveau système de retraites qu’il prône est le meilleur, alors personne ne pourra le faire changer d’avis. »

Une culture nordiste.

Dans le contexte de la crise sanitaire, l’examen du projet de loi sur le système universel de retraites est suspendu. Il est alors mis malgré lui au « chômage technique » sur son portefeuille ministériel. Il donne alors un « coup de main » (selon sa propre expression) à la ministre du Travail de l’époque, Muriel Pénicaud, sur les guides métiers de reprise du travail. « On s’est tout de suite bien entendus, confie Muriel Pénicaud. Il est à la fois en rondeur dans la relation et très déterminé. C’est un bosseur, il va au fond des sujets. Et puis, c’est un « ch’ti », un bon vivant, ce qui n’est pas désagréable. En outre, il a le sens de l’équipe, héritage de la culture nordiste. » Un conseil à lui donner pour arriver à négocier avec les syndicats ? « Laurent n’aura pas d’autre solution que la transparence et la sincérité. Sincère, il l’est. Il y arrivera », répond Muriel Pénicaud.

En mai 2020, il écope d’un nouveau portefeuille qui entérine le « coup de main » donné au ministère de la Santé : celui de secrétaire d’État « chargé de la Protection de la santé des salariés contre l’épidémie de Covid-19 ». Il a, à ce moment, deux ministres de tutelle : Olivier Véran, à la Santé, et Muriel Pénicaud, au Travail. En juillet 2020, il est maintenu au sein du Gouvernement Jean Castex en tant que secrétaire d’État chargé des Retraites et de la Santé au travail. « Je ne connaissais pas Jean Castex, je prends donc cette nomination comme une marque de confiance », estime Laurent Pietraszewski. Il travaille auprès de la ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, Elisabeth Borne, qu’il connaît. Ils ont déjà travaillé ensemble sur la plateforme Choisir son avenir professionnel : « Nous avions fait une bonne séquence de travail », se souvient-il. Son équipe est réduite : son cabinet est composé de huit personnes (trois fonctions d’appui, trois personnes spécialisées dans les retraites, une autre dans la santé au travail et un dernier poste mutualisé avec Elisabeth Borne).

Un manager attentif.

Est-il resté manager dans l’âme, sous les ors de la république ? « Il avait une attitude de coach. Il posait des questions pour permettre à l’autre de trouver les solutions. Cela nous changeait des précédents managers. Il était parfois même un peu “lourd” : il ne lâchait pas le morceau tant qu’on n’avait pas trouvé la solution. À Béthune, les partenaires sociaux l’appréciaient. Quand je suis arrivé à mon poste, j’étais moins apprécié que lui », rappelle Stéphane Vanhersel, DRH du magasin Auchan. Laurent Pietraszewski se qualifie lui-même d’attentif à ses équipes : « J’attends de ceux qui travaillent avec moi qu’ils soient engagés. Mais je veille à l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Si on est bien dans sa famille, on est bien dans son travail. J’assume être égoïste en la matière. » Jacques Delbey était médecin du travail à Roncq (Nord) dans un hypermarché Auchan. Il a travaillé sept ans avec Laurent Pietraszewski : « J’ai eu des relations positives avec lui, même si nous n’étions pas toujours du même avis. Il défendait les intérêts de ses employeurs et moi ceux des employés. » Ensemble, ils ont mis en œuvre des actions de prévention sur les risques professionnels et personnels à destination des salariés. Ils ont ainsi créé un forum santé où étaient proposés des examens complémentaires (biologiques ou non) aux employés. Ces derniers, sur la base du volontariat, disposaient d’1 h 30, sur leur temps de travail, pour les réaliser. Si les résultats pathologiques le nécessitaient, le salarié retournait voir le médecin pour une prise en charge. Ce concept a ensuite été mis en place dans d’autres établissements du groupe. « J’appréciais le fait d’avoir des entretiens réguliers avec lui. Une fois par mois, nous discutions de tous les cas qui se posaient sur les aptitudes, sur les améliorations de poste. Il était toujours à l’écoute et étudiait toutes mes propositions. Ensuite, il voyait si cela était réalisable dans le cadre de l’entreprise. L’impératif économique finissait toujours par primer », conclut le médecin du travail.

Un nouvel angle.

Les mauvaises langues disent que la réforme des retraites n’aura jamais lieu. « Il faut les détromper, martèle le secrétaire d’État. Je suis là pour faire cette réforme car c’est le mandat que m’ont donné le Premier ministre et la ministre du Travail. Nous avons été mal compris. Il faut être plus simple et aborder la réforme sous un autre angle que celui que nous avons pris précédemment. »

Il n’a encore aucune idée de la date à laquelle reprendront les négociations : « Comme les partenaires sociaux l’ont demandé, le Gouvernement va se concentrer sur le marché de l’emploi. Le taux de chômage risque de dépasser les 10 %. Nous reprendrons le dialogue au regard de la situation économique et sociale quand nous serons prêts. Mais il ne faut pas que cela renvoie la négociation aux calendes grecques. » D’ici là, la santé au travail sera son lot quotidien. Et, en période de crise sanitaire, Laurent Pietraszewski est assuré de ne pas manquer de travail…

En trois dates

Juin 1985 : signe son premier contrat de travail au sein de Picpain alors qu’il est étudiant.

Juin 2001 : nommé responsable RH du magasin Auchan.

Juillet 2020 : maintenu au sein du Gouvernement Jean Castex en tant que secrétaire d’État chargé des Retraites et de la Santé au travail.

Auteur

  • Irène Lopez