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« La transformation est moins réelle qu’il n’y paraît »

À la une | publié le : 01.10.2020 | Gilmar Sequeira Martins

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« La transformation est moins réelle qu’il n’y paraît »

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Arnaud Rayrole, directeur général de Lecko, cabinet d’appui à la transformation des organisations, dresse un bilan de la période de télétravail généralisé et de son impact sur la vitesse d’évolution des entreprises.

L’année 2020 marque-t-elle une accélération de la transformation des entreprises ?

Arnaud Rayrole : De nombreuses personnes pensent que la période du confinement a accéléré la transformation digitale, mais j’ai une appréciation plus mitigée. La transformation est moins réelle qu’il n’y paraît. Dès la fin du confinement, il y a eu un retour massif au bureau, et donc des vieilles habitudes. C’est une transformation « élastique », c’est-à-dire que si les contraintes ne s’exercent plus, elle recule. Ce qu’il faut, c’est une transformation « plastique », similaire au mouvement imprimé à la pâte à modeler, qui persiste dans la durée. Après le confinement, j’ai constaté que les directives étaient assez floues et que les managers ont réagi en fonction de leur propre perception du télétravail. Une idée est revenue en force – l’absence de confiance dans les collaborateurs – mais ce n’était pas le seul facteur. Les salariés ont aussi eu envie de se revoir. Et tous les collaborateurs n’ont pas vécu le télétravail à domicile de la même façon. Pour de nombreux dirigeants et managers, le retour au bureau a souvent été considéré comme un retour au « travail », alors même que la continuation de l’activité des entreprises n’a été possible que grâce au télétravail et l’implication des collaborateurs à une échelle inédite. Visiblement, les résultats observés durant le confinement ne suffisent pas pour engager la transformation. Je suis étonné de cette volonté qu’ont les dirigeants à ne pas croire qu’il y a des formes d’organisation nouvelles à explorer grâce au télétravail, et que des gains existent, comme le temps économisé dans les transports, la réduction de l’impact environnemental ou l’augmentation de l’autonomie des équipes, une qualité que recherchent les entreprises. Il y a eu, malgré tout, une accélération sur certains aspects. Aboutir par consensus à une situation avec autant de gens en télétravail n’était pas pensable. Cependant, certaines choses n’ont pas du tout bougé : l’état d’esprit et les modes de management. C’est tout le problème. Pour un grand nombre de managers, le télétravail est accordé aux collaborateurs qui ont besoin d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Il y a tout un enjeu de confiance et de savoir-faire qui rend la distance complexe à gérer pour eux. Même certains de nos clients, pourtant déjà bien engagés dans la transformation digitale, ne sont pas toujours à l’aise avec la collaboration à distance.

Quelle est la marche à suivre ?

A. R. : S’il y a une vraie volonté de faire évoluer les pratiques managériales, alors la méfiance envers les collaborateurs est déplacée. Ce qu’il faut, c’est objectiver la situation sur ce qui est possible. Les entreprises ont de la donnée. Il est possible de déterminer combien de temps les gens passent en réunion et combien de mails ils envoient ou reçoivent. À un moment, s’ils ont trop de mails à gérer, ils ne les lisent plus. Ne pas questionner les modes de travail, c’est courir le risque de voir diminuer l’efficacité des organisations. Une grande quantité de data est disponible depuis que l’usage du cloud s’est répandu, et il y a aussi des cas d’usage. La data peut être mobilisée pour objectiver la situation, pour accélérer la prise de conscience, pour obtenir un consensus et pour valoriser les progrès enregistrés. C’est le moment, pour les entreprises, de mettre la priorité sur la transformation des organisations et de construire des dispositifs durables de transformation qui aillent au-delà de la communication et de la formation aux outils. Il faudra aussi faire évoluer les pratiques managériales avec l’acquisition des soft skills nécessaires au management à distance. Il est également nécessaire d’accompagner les managers, de leur faire passer le message – leurs équipes travaillent réellement ! – et de limiter les excès, en particulier les sollicitations en dehors des heures de travail. Nous constatons que nos clients qui ont engagé leur transformation depuis plus longtemps ont mis sur pied une organisation plus efficace, alors que ceux qui sont partis plus tard rencontrent davantage de difficultés, sans ces situations soient liées plus particulièrement à un secteur d’activité.

Quels sont les obstacles à surmonter ?

A. R. : Les données disponibles restent méconnues et la capacité à les traiter est récente, mais ce qui manque le plus est la culture de l’usage de ce type de données, très faible encore en France. Peut-être faut-il aussi rassurer les collaborateurs sur leur anonymisation et sur les finalités des algorithmes utilisés. Les entreprises ont clairement acheté ou déployé des outils technologiques (cloud, VPN, outils de réunion en ligne), mais cela n’a abouti qu’à une forme de travail collaboratif très primaire. L’usage archi-dominant a été la réunion en ligne. En réalité, la période de télétravail massif a enregistré une augmentation du nombre d’e-mails et de réunions en ligne, alors que des outils existent pour les réduire. Il s’agit d’une forme d’effet rebond comparable à la réduction de l’empreinte environnementale des voitures. Convaincus qu’ils polluent moins, de nombreux automobilistes utilisent davantage leur véhicule de sorte que, globalement, la pollution ne diminue pas mais augmente ! Depuis plusieurs années, la facilité d’usage des outils de visioconférence a fait augmenter le nombre de réunions, alors qu’elles sont loin d’être toutes utiles. Augmenter la facilité d’usage sans faire évoluer les pratiques finit par créer un problème. La transformation digitale ne doit pas concerner uniquement l’utilisation de nouveaux outils, il faut aussi modifier les façons de travailler. Globalement, depuis le passage en télétravail massif, de nouveaux outils ont été adoptés, mais les pratiques n’ont quasiment pas bougé.

À quoi attribuez-vous ces résistances et comment les surmonter ?

A. R. : Il persiste un manque de vision dans les entreprises. Or, pour faire évoluer les organisations, il faut une vision et du leadership. C’est indispensable pour questionner l’existant et pour encourager ceux qui explorent, même s’ils échouent. Il faut cesser de cautionner le statu quo, qui a un côté rassurant mais qui est dangereux en réalité car il retarde la transformation, la rendra plus difficile et va donc pénaliser l’entreprise. Elles ont un discours sur le changement mais ne le mettent pas en pratique. Ni les directions ni les managers ne doivent faire preuve de complaisance. Aujourd’hui, les gens qui sont revenus dans les locaux des entreprises sont obligés de porter un masque. C’est une situation particulièrement inconfortable. Si les entreprises ne font rien à court terme, elles vont subir un contrecoup. Ces dernières ont besoin de sponsors « tranchants », capables de questionner le fonctionnement de l’organisation et de faire confiance aux collaborateurs. C’est avec ce levier qu’il devient possible de faire comprendre aux managers que travailler autrement sera une réalité reconnue par l’entreprise. Pour réduire l’emprise de ce statu quo, il faut valoriser ceux qui explorent de nouveaux modes de travail. Au sein des organisations, peu de salariés prennent des initiatives. L’enjeu est de les rendre visibles pour diffuser l’idée qu’il est possible de faire les choses autrement. À terme, les microbénéfices enregistrés peuvent mettre en mouvement l’organisation. Cette mise en visibilité passe par la communication interne mais aussi par l’équipe en charge de la transformation digitale. Elle peut construire cette narration et en montrer les bénéfices aux autres membres de l’organisation. L’enjeu, c’est la perception des salariés. Ce n’est pas essentiellement une question de maîtrise des outils, mais de changements dans les pratiques, de petits gestes qui ont un impact majeur s’ils se diffusent à l’ensemble de l’organisation. Pour modifier les perceptions, il faut créer la nécessité de changer, promouvoir les alternatives et accompagner les équipes pour résoudre les difficultés et faire émerger un management plus visuel, plus agile, qui augmente la confiance dans les équipes. Je suis malgré tout optimiste, car certains changements sont durables. L’acquisition technologique est réelle, et les entreprises vont de plus en plus vers le cloud.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins