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La RSE, l’alpha et l’oméga

À la une | publié le : 01.10.2020 | Gilmar Sequeira Martins

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La RSE, l’alpha et l’oméga

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Les mois écoulés ont fait voler en éclats de nombreuses certitudes. Les organisations ont été confrontées à des exigences, mais aussi à des opportunités inédites. Quelles voies vont-elles choisir ? Premières pistes.

Le futur est-il déjà écrit ? La route semble déjà bien balisée sur les enjeux RSE. L’engagement sera de rigueur, estime Henri Bergeron, sociologue au sein du Centre de sociologie des organisations (CSO) de Sciences Po : « Les entreprises qui vont intégrer dans leur RSE une contribution plus forte à la santé publique augmentent leurs chances d’améliorer leur réputation et leur image. Les questions sanitaires vont devenir stratégiques. Cette dimension va dépasser les questions liées à la QVT, à la santé/sécurité, etc. » Le spécialiste estime que les entreprises seront désormais sollicitées sur la question de la santé globale, qui est la condition première du bien-être, et devront apporter une contribution à une forme de bien-être plus large que les enjeux relevant de la santé/sécurité de leurs salariés. Les entreprises ayant déjà adopté une raison d’être ou s’étant attribué une mission en lien avec la RSE ont a priori une longueur d’avance, voire un avantage concurrentiel majeur. « Contribuer à la santé publique peut devenir un axe de positionnement pour construire l’identité d’une marque », estime même Henri Bergeron. Plus proche du quotidien de l’entreprise, Lise Ferret, DRH de Cadremploi, abonde dans le même sens : « Avec la crise sanitaire, tout ce qui est en lien avec la RSE et l’ensemble des engagements de l’entreprise sur les aspects qu’englobe la RSE va devenir essentiel. » Elle postule même que les thèmes RSE ne manqueront pas d’irriguer la réflexion stratégique, étape préalable à un engagement toujours plus prononcé dans des domaines tels que le développement durable, le bien-être des salariés ou encore la gestion des risques. Mais comment cette stratégie va-t-elle se traduire en actes ? « La poursuite de ces objectifs passera par un travail sur l’organisation, sur le management et sur la formation, estime Lise Ferret. Grâce à toutes ces actions, les entreprises les plus engagées pourront démontrer qu’elles peuvent apporter une contribution positive aux changements dont la société a besoin ou qui ont été mis en avant dans le cadre de la crise sanitaire. »

RSE pour toutes les entreprises ?

Plus décisif encore peut-être, cette dimension RSE vient d’entrer dans une phase globale et ne sera plus la chasse gardée des grands groupes. « Le plus important, c’est que toutes les entreprises puissent s’emparer de la dimension RSE et prendre des mesures dans ce domaine, estime Lise Ferret. L’une des actions les plus évidentes concerne le télétravail. C’est une mesure qui permet de réduire le temps de travail mais aussi les impacts environnementaux en limitant l’usage des transports. » Et d’améliorer aussi la qualité de vie au travail des salariés tout en optimisant l’équilibre vie professionnelle/vie privée. « Avec le télétravail, les entreprises peuvent capitaliser sur plusieurs niveaux », résume Lise Ferret. Attention toutefois à l’approche à adopter. Voir dans l’adoption, ou même la massification du télétravail, un simple levier de réduction des coûts relèverait de l’erreur grave, prévient Philippe Silberzahn, professeur à l’EM Lyon Business School, spécialiste de l’innovation et de la transformation des organisations : « Cela ne fonctionnera pas car cette approche occulte les coûts cachés. La réduction des surfaces de bureau aura un impact sur la créativité, sur la productivité et sur l’attachement à l’organisation. Tous ces paramètres, même s’ils sont difficiles à mesurer, auront un impact réel sur la performance de l’entreprise. » En spécialiste de l’innovation, Philippe Silberzahn préconise d’adopter « un raisonnement global », rappelant que « dans les processus d’innovation, de nombreux paramètres ne sont pas mesurables ». Et il précise : « Les principaux gains sont souvent dans les dimensions non quantitatives, comme l’engagement des collaborateurs. Les salariés vont réaliser de petites choses supplémentaires pour l’organisation alors qu’ils ne sont pas censés le faire, mais c’est là que se fait une partie de la création de valeur, que se déclenche l’innovation et que résident les avantages concurrentiels. » À ses yeux, traiter le télétravail « sous le double angle de l’aménagement des conditions du télétravail et des économies qu’il peut générer » n’aura aucune répercussion notable. « En revanche, note-t-il, si cela engage une réinvention de la façon dont on crée de la valeur, dont l’organisation est gérée, il y aura un potentiel important de création de valeur économique pour l’entreprise et de nouvelles options pour les collaborateurs. Si la façon de penser le télétravail n’évolue pas, alors le potentiel de transformation de cette crise aura été gâché. »

Revoir l’organisation collective du travail

C’est donc bien une transformation qu’il faut mener. Antoine Rémond, directeur adjoint du Centre études et prospective (CEP) du Groupe Alpha, en convient aussi : « Pour prendre en compte la demande de télétravail des salariés, les entreprises vont devoir se pencher sur l’organisation collective du travail. Adopter le télétravail ou augmenter sa fréquence implique de revoir le mode de collaboration entre les personnes en télétravail et celles restant sur site. » D’autant qu’il serait « risqué » d’instituer, ou d’accroître, le télétravail pour les salariés dont le poste de travail le permet et de ne rien proposer aux autres qui constituent encore, nolens volens, 70 % des salariés. « Le télétravail peut être perçu par une partie des salariés comme un avantage accordé à certains travailleurs, essentiellement des cadres, précise Antoine Rémond. Accorder de nouveaux droits en la matière pose donc la question d’une éventuelle compensation pour les salariés dont les fonctions ou les métiers ne peuvent être exercés en télétravail. » Toute approche de ce type risque, selon lui, de réactiver l’écart séparant les salariés modestes et précaires restés sur site des cadres qui ont pu exercer leurs missions en télétravail. « Il ne faudrait pas réactiver ce clivage entre les différentes catégories de salariés pour l’équilibre social au sein des entreprises », prévient Antoine Rémond. Il préconise de négocier dans les entreprises des compensations qui pourraient prendre la forme d’une réduction du temps de travail ou d’une plus grande autonomie dans l’organisation du temps de travail, pour tenir compte du fait que les salariés sur site continuent à subir les temps de trajet domicile-travail, contrairement aux télétravailleurs.

Les conditions sont donc réunies pour donner une nouvelle dimension aux relations entre salariés et entreprises à travers une nouvelle approche et une nouvelle gestion du télétravail.

Qu’en est-il dans la réalité ? Le CEP du Groupe Alpha a mené une étude sur 125 accords de télétravail, conclus avant l’épidémie de coronavirus, dans dix secteurs et au sein d’entreprises de tailles différentes. Elle permet d’anticiper plusieurs évolutions, estime Antoine Rémond : « Il est probable que de nombreuses entreprises qui n’étaient pas concernées par le télétravail avant la crise sanitaire l’adoptent, et que celles qui étaient couvertes par un accord revoient leurs règles, car la période de confinement a pu révéler les lacunes de ce type d’accord.

Nouvelles options

De manière générale, les circonstances exceptionnelles sont peu définies dans les accords de télétravail. Les entreprises pourraient ainsi être amenées à préciser son fonctionnement dans de telles circonstances. » Cette étude laisse penser que les critères d’éligibilité vont être réévalués, puisque 35 % des accords analysés fixent des critères en lien avec le contenu du travail, comme l’autonomie et la compatibilité des postes avec le télétravail. Ces critères sont cependant « rarement définis » et sont donc « laissés à la libre appréciation du manager », précise Antoine Rémond. La hausse probable de la fréquence du télétravail sera aussi alimentée par une volonté accrue de changer de vie, phénomène apparu durant le confinement. L’étude du CEP du Groupe Alpha relève une fréquence moyenne du télétravail de 1,5 jour par semaine lorsque les jours de télétravail sont fixes, régime privilégié par 56 % des accords, et de 3,5 jours par mois lorsque les jours sont flottants. Concernant les frais engendrés par le télétravail, 42 % des accords prévoient qu’ils restent à la charge du travailleur. Dans le cas contraire, une grande diversité de situations prévaut. Les accords analysés ne prévoient de formation des managers au travail à distance que dans 34 % des cas. Antoine Rémond note par ailleurs que « trop d’accords prévoient encore les mêmes horaires qu’au bureau, lesquels sont généralement rigides » et relève que le contrôle du temps de travail n’est prévu que par 45 % des accords et le plus souvent de manière déclarative. « Il y a donc un risque d’allongement du temps de travail », déplore Antoine Rémond. Un dernier point mériterait une meilleure analyse de la part des partenaires sociaux. Les accords analysés traitent en effet uniformément les télétravailleurs du point de vue de l’autonomie et du contrôle alors que « plusieurs formules pourraient être envisagées en intégrant la prise en compte des tâches réalisées ». Autant de pistes qui devraient nourrir les réflexions autour de la transformation des organisations.

Le « lean management » va-t-il changer de route ?

Après la démonstration de la capacité des salariés à s’auto-organiser dans des conditions difficiles, les entreprises doivent-elles revoir le credo du « process » ? Christophe Lhomme, senior manager du cabinet Althéa, en est convaincu : « Je crois qu’il y a un besoin de simplifier les choses. Peut-être est-on allé trop loin en matière de procédures et de normes. » Le « lean management » lui semble emblématique d’une méprise plus générale. Théoriquement, cette méthode devait justement alléger les process, mais la volonté de simplifier à l’extrême a fait oublier la dimension humaine qui incluait l’implication des équipes, la faisabilité des projets et une part de souplesse pour ajuster les mesures aux besoins. « En France, il y a un risque très net de voir le “lean management” se transformer en pur outil de gain de productivité et de performance accrue. C’est effectivement l’objectif du ’lean management’, mais pas au détriment de la qualité de vie au travail des salariés. Il y aura peut-être un ajustement dans les mois qui viennent, un retour à un dispositif plus simple, plus efficace et qui reprend en compte la qualité de vie des salariés. »

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins