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Covid-19 : ce qui va changer dans l’entreprise

À la une | publié le : 01.10.2020 | Gilmar Sequeira Martins

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Covid-19 : ce qui va changer dans l’entreprise

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

La crise sanitaire a révélé une capacité d’adaptation inédite des salariés, mais aussi les fragilités des organisations actuelles. La hiérarchie des enjeux en a été modifiée, de même que la capacité des différents acteurs à faire valoir leurs aspirations.

Un nouveau monde était là, tapi derrière les apparences et les fausses certitudes rassurantes. Presque du jour au lendemain, il est devenu réalité. « Alors que certains chefs d’entreprise, quinze jours encore avant le confinement, continuaient d’affirmer que le télétravail de grande ampleur était impossible, alors que des négociations étaient en cours depuis des mois pour instituer une journée par semaine de télétravail tout au plus, la bascule s’est quasiment faite en quelques jours, rappelle Philippe Silberzahn, professeur à l’EM Lyon Business School, spécialiste de l’innovation et de la transformation des organisations. Un tel scénario aurait été inenvisageable il y a quinze ans. » Cette soudaineté a souligné la mutation silencieuse opérée depuis quinze ans avec la diffusion des connexions à haut débit à domicile, des outils (ordinateurs, tablettes), et surtout une pratique désormais bien ancrée de la collaboration en ligne. Cette crise a aussi forgé une nouvelle vision de la société, pointe François Cochet, directeur des activités santé au travail de Secafi (Groupe Alpha) : « Brutalement, le 17 mars, la population active a été divisée en trois : les chômeurs, les actifs en télétravail et ceux sur site. Chacun s’est interrogé sur ses relations avec ses collègues – me manquent-ils ou pas ? – et ses managers. Ces interrogations ont pris d’autant plus d’importance qu’elles se sont installées dans la durée. La question du sens du travail a aussi ressurgi. » Pour le consultant, cette nouvelle « segmentation » de la population en âge de travailler va soulever, à terme, un enjeu autour de ceux qui sont, de fait, exclus du télétravail. « Cette impossibilité du télétravail risque de devenir un facteur de pénibilité comme le travail de nuit, estime François Cochet. Comment sera compensée cette impossibilité qui crée une inégalité ? Passera-t-elle par une prime ? La question est sur la table. Les entreprises doivent se préparer à devoir régler cette difficulté. »

Cruciale coordination

Les travailleurs dépendant directement des plateformes numériques, très sollicitées du fait des enjeux sanitaires, ont eux aussi, été confrontés à une situation inédite et révélatrice. Cet ensemble parfois tenu pour homogène s’est alors scindé en deux catégories aux caractéristiques différentes. Les chauffeurs ou les livreurs ont ainsi pris conscience de leur vulnérabilité, explique Odile Chagny, économiste à l’Ires : « Ils se sont retrouvés à payer très cher leur désir d’autonomie car ils n’ont quasiment aucune couverture des risques santé ni des risques économiques. Le champ de la santé n’est pas le mieux couvert pour ces travailleurs et, jusqu’à la crise, les demandes portaient surtout sur les accidents du travail. La crise sanitaire va sans doute accélérer les demandes d’amélioration des protections pour les travailleurs des plateformes. » Longtemps épargnés par les aléas de la conjoncture économique, les travailleurs qualifiés d’indépendants ont subi, pour une partie d’entre eux, une baisse de revenus conséquente. Ils ont aussi découvert l’importance de tout ce qui dépassait la sphère de travail stricto sensu. « Ces travailleurs ont aussi un rapport au collectif à travers des moments présentiels lors de rencontres dans des lieux spécifiques comme il en existe désormais beaucoup dans les grandes villes, explique Odile Chagny. Ce sont des moments qui permettent de retrouver et de consolider leur rapport au collectif. La crise sanitaire les a privés de ces moments de construction. Elle a révélé leur rapport à un espace extérieur qui vient compléter le travail à domicile, l’importance et leurs attentes vis-à-vis de la dimension collective du travail. »

Cette période inédite a aussi mis en relief l’importance cruciale des activités de coordination, le plus souvent tenues pour subalternes et allant de soi. « La crise a révélé les défauts des mécanismes de coopération entre les organisations mais aussi à l’intérieur même des organisations, souligne Henri Bergeron, sociologue au sein du CSO de Sciences Po. Cette difficulté est aussi apparue au sommet de l’État, puisque toutes sortes de nouvelles institutions ont vu le jour comme le conseil scientifique. » Que beaucoup de salariés, aussi bien du secteur privé que public, se soient retrouvés éloignés de leur lieu de travail n’a fait qu’exacerber ces difficultés de concertation et rappeler une évidence oubliée : « Produire un service ou un objet est toujours une action qui mobilise plusieurs intervenants, or cette crise a mis à l’épreuve les fondements même de cette action à plusieurs. »

Odile Chagny, économiste à l’Ires, insiste quant à elle sur l’impact inédit de la situation sur les flux de personnes et de marchandises. « Elle a favorisé la montée en puissance d’intermédiaires en capacité de proposer des solutions logistiques et de livraison qui s’accommodent à moyen terme de la réticence à la relation physique de proximité. Cette crise sanitaire aura sans doute pour effet de reconfigurer en grande partie la chaîne logistique actuelle pour, notamment, le commerce de proximité. De nombreux habitants se sont tournés vers de gros acteurs (Amazon, etc.) mais aussi vers des émergents, qui sont autant d’alternatives à ces acteurs dominants. À Paris, la municipalité a, par exemple, référencé sur son site des plateformes dont des coopératives avec des engagements et une organisation relevant de l’économie sociale et solidaire. »

Climat et santé

Dans nombre d’organisations, les directions ont dû se résoudre à adopter une logique d’acceptation a posteriori des solutions mises en place sur le terrain. « À certains moments, les directions se sont retrouvées dépendantes des gens de terrain qui ont pris le pouvoir, indique Henri Bergeron. C’était très clair à l’hôpital où les équipes de réanimation, d’infectiologie et d’anesthésistes ont pris la main sur l’organisation des soins. » Cette prise de pouvoir par le terrain pourrait cependant relever de l’accident de parcours. Comment pourrait-elle en effet renverser une tendance à l’œuvre depuis longtemps, celle du « morcellement du travail » ? Selon Christophe Lhomme, senior manager du cabinet Althéa, « de nombreuses équipes témoignent du fait que les tâches sont plus spécialisées et que l’autonomie de décision et de fonctionnement se réduit car les décisions sont de plus en plus centralisées », phénomène qu’il rapproche d’une « taylorisation des tâches » : « Pour certaines équipes, il existe une réelle difficulté à simplement savoir ce qu’il se passe en amont et en aval. Elles ne savent tout simplement plus à quoi elles servent dans le processus. Le risque d’accélération du digital est la tendance à renfermer chacun dans sa bulle. Chacun est enfermé dans ce qu’il a à faire et n’a plus le temps de parler à ses collègues et de comprendre à quel processus il participe. » Cette période particulière a aussi révélé d’autres éléments passés plus inaperçus. À commencer par les relations entre climat et santé, un phénomène qui ne manquera pas de donner une importance croissante à la dimension RSE des entreprises, selon Henri Bergeron, qui participe depuis une dizaine d’années à un conseil scientifique centré sur les maladies émergentes : « Pour le monde de la recherche, les questions climatiques et de santé ont toujours été liées. Ce lien commence à se faire aussi dans l’opinion publique. Les enjeux du climat ont souvent été pensés en termes d’instabilité politique ou de migrations. Maintenant, le lien entre économie et santé se fait aussi à travers la question climatique. Cela va jouer sur l’image des entreprises et sur la dimension RSE, centrée sur la contribution au bien commun. »

Agir sur le terrain

La crise a aussi impacté un rouage placé au cœur des entreprises puisqu’elle a bousculé le fonctionnement des instances représentatives du personnel. « Dans nombre de cas, la mise en place des CSE s’est traduite par une concentration et une centralisation du dialogue social, indique François Cochet : « La crise a montré que c’était une impasse. Les difficultés du travail se règlent au plus près du terrain. Auparavant, les délégués du personnel alertaient leur direction des problèmes et ceux-ci trouvaient souvent une solution rapide et pragmatique. » Faute de représentants de proximité mis en place par un accord, le consultant redoute que les sujets s’enkystent et ne soient identifiés que très tard, à un stade où le dédommagement financier ou le contentieux vont prendre le pas sur la prévention. Véritable révélateur des capacités technologiques et des compétences nouvelles dont disposent les salariés ainsi que de leur souhait de voir s’étendre le télétravail, la crise sanitaire a aussi mis à jour l’importance cruciale de toutes les procédures de collaboration et de coopération ainsi que la diversité des situations dans lesquelles se trouvaient les salariés, suscitant de nouvelles grilles de lecture. Autant de défis auxquels les entreprises et les partenaires sociaux ne s’étaient guère préparés jusqu’à présent. Bon an, mal an, c’est dans ce monde un peu nouveau qu’elles devront désormais agir.

De l’importance de la cohésion dans la digitalisation

L’émergence du télétravail généralisé s’est accompagnée de l’adoption d’outils de travail collaboratifs à distance. La crise récente a accéléré ce phénomène de façon spectaculaire. Si cet approfondissement de la digitalisation peut amener une simplification et une automatisation des tâches répétitives, un meilleur accès à l’information ainsi qu’une meilleure diffusion, les effets ne sont pas toujours positifs, prévient Christophe Lhomme, senior manager du cabinet Althéa : « De nombreux témoignages montrent que là où la cohésion était déjà importante, un ajustement rapide à la nouvelle situation induite par la crise a été possible à travers une phase de « test & learn » et l’adoption de nouveaux outils de communication. Dans d’autres cas, la situation de crise sanitaire a provoqué une dégradation de l’efficacité du rapport au travail et à l’organisation car la situation préexistante ne favorisait pas la cohésion. » Certains secteurs, comme le domaine social ou celui de la santé, ont su dépasser le sentiment de dégradation grâce à l’importance que la société a accordé à leurs missions. En éprouvant un sentiment d’utilité, les salariés de ces secteurs se sont sentis investis d’une mission. « C’est une forme de reconnaissance qui dépasse les entreprises concernées, note Christophe Lhomme. Cela va créer des attentes au niveau salarial, mais aussi en matière de reconnaissance d’écoute avant la prise de décision ou de reconnaissance de leur capacité d’autonomie. »

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins