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Le télétravail deviendra-t-il la norme ?

Idées | Débat | publié le : 01.09.2020 |

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Le télétravail deviendra-t-il la norme ?

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Les employeurs qui le pouvaient ont majoritairement mis leurs collaborateurs en télétravail lors de la pandé-mie de Covid-19. Certains ont même changé de regard sur ce mode de réalisation et proposent de le maintenir large-ment dans l’après-crise. Si leur confiance dans ses vertus du télétravail s’est confirmée, d’autres observateurs, en revanche, s’inquiètent de diverses répercussions. Dès lors, une question se pose…

Éric Goata Directeur général délégué, cabinet ELEAS.

La mise en place du télétravail en mode dégradé et dans l’improvisation la plus totale ne peut constituer une expérience probante sur le long terme. D’autant que si le solde des avantages et inconvénients semble positif, le télétravail n’est pas une source absolue de productivité. Dans la communication à distance, il existe un taux élevé de déperdition d’information et un risque majeur d’inefficacité lié à des confusions ou des incompréhensions. En outre, le risque de dérive est grand. Non seulement rien ne peut remplacer la proximité pour l’efficacité des organisations et le bon fonctionnement des équipes, mais en plus, le rythme de l’alternance entre temps privé et temps professionnel peut être remis en cause par une unicité du lieu de travail et du lieu de vie, et préjudiciable à l’équilibre psychologique. Auparavant, le télétravail était vécu comme une source de performance parce qu’il autorisait une prise de recul et était consacré à du travail de fond. Demain, le télétravail au quotidien implique d’importer de multiples interactions en temps réel par différents canaux de communication, exigeant une réelle disponibilité de tous les instants. Par ailleurs, le travail à la maison ne réunit pas les conditions optimales pour favoriser le bien-être physique. En fait, les risques pour la santé n’ont jamais été aussi élevés. C’est vrai pour les collaborateurs comme pour les managers. Ces derniers se sont évertués à animer des équipes virtuelles à distance sans être préalablement formés et sensibilisés. Le télétravail en période de confinement a en outre entraîné pour eux une hyperconnexion, si bien que les temps de maturation et de réflexion ont été considérablement réduits. Cette situation peut entraîner une intensification du rythme de travail qui, alliée à des comportements de surinvestissement professionnel, peut aboutir à un épuisement psychique. Autant dire que si le télétravail est intensifié demain, les pratiques devront nécessairement être encadrées pour éviter tout effet négatif : notamment, la gestion de la charge mentale et le développement de capacités cognitives adaptées à ces nouvelles pratiques doivent être des sujets mieux pris en compte par les organisations.

Jean-Luc Molins Secrétaire national de l’UGICT-CGT.

L’urgence sanitaire a démontré que le télétravail ne s’improvise pas. Il nécessite de penser l’organisation du travail et le management en conséquence à partir de ce que sont aujourd’hui les usages des nouvelles technologies.

L’ANI sur le télétravail date de 2005. Comme l’indiquaient les conclusions de la concertation télétravail en juin 2017, il est nécessaire de construire les nouvelles protections pour accompagner les évolutions liées aux nouvelles conditions d’exercice du télétravail où les unités de lieux et de temps sont éclatées. L’OIT pointait déjà en 2017 les risques d’intensification du travail et préconisait un « droit à la déconnexion », revendication portée par l’UGICT-CGT. La négociation d’un nouvel accord interprofessionnel sur le télétravail doit permettre la mise en place de dispositions normatives qui couvrent l’ensemble des télétravailleurs, des itinérants et des travailleurs mobiles. Cette négociation interprofessionnelle doit être complétée par des négociations de branches afin de couvrir, avec des droits spécifiques au secteur, toutes les entreprises qui n’ont pas de représentation en local. L’UGICT-CGT demande l’établissement d’une obligation d’accord collectif pour garantir un cadre clair sur l’exercice du télétravail, contrairement aux ordonnances travail de 2017.

L’heure n’est plus aux états des lieux mais à définir les nouveaux droits relatifs à cette forme d’organisation du travail afin de sortir du télétravail informel et d’encadrer les pratiques. Nous avons publié un guide1 des négociations sur le télétravail qui reprend nos propositions sur le sujet.

Danièle Linhart Sociologue du travail.

Pourquoi ne pas rendre possible le télétravail, quelques jours par semaine, pour ceux qui le souhaitent ? Mais il serait dangereux d’envisager une généralisation du télétravail en continu et d’imaginer faire l’économie de bureaux, c’est-à-dire d’un lieu de travail commun. On travaille pour satisfaire les besoins d’autrui en coopération avec autrui, ce qui permet de contribuer à la pérennité de la société et de s’y inscrire légitimement. L’immersion au sein de collectifs de travail, où les individus sont confrontés à des contraintes, des difficultés, des ressources communes, rappelle en permanence cette finalité du travail et son sens. Elle permet de socialiser les problèmes, c’est-à-dire trouver des conseils, des solutions, de partager des interrogations, des inquiétudes, de comparer les pratiques, de porter collectivement la contestation et de minimiser ainsi les aspects anxiogènes.

Isolé dans son univers privé, personnel, le salarié risque de voir se rompre le cordon ombilical qui le relie aux autres. Son travail risque de devenir abstrait, de se déréaliser pour n’être plus qu’une épreuve solitaire dont il doit s’acquitter quotidiennement. Certes, il aura des réunions, des rendez-vous sur le Net. Mais la période de confinement a montré combien ces modes d’échanges étaient de pâles répliques de ce qui se joue en réunion « présentielle ». Leur côté formel, routinisant, désincarné refrène toute prise d’initiatives, toute inventivité et prive de la stimulation que représentent les autres quand ils sont là « en vrai ».

Travailler permet de sortir de soi, disent les psychologues, de se confronter à un autre milieu, un autre monde, d’autres problématiques que celles de sa vie privée et personnelle. C’est faire la différence entre la personne que l’on est et le professionnel qui s’affirme et s’affiche auprès des autres, pourraient dire aussi les sociologues. Cela exige des espaces-temps collectifs dédiés à l’exercice de l’activité, même si on peut s’en extraire, à sa convenance, quelques jours par semaine.

Ce qu’il faut retenir

// Retard de la France. En 2009, le Centre d’analyse stratégique évaluait la proportion de télétravailleurs à 8,4 % en France, la même étude situant la moyenne européenne à 17,7 %1. Un retard que les ordonnances de 2017 visaient à combler, en assouplissant la mise en place du télétravail dans les entreprises. Dans la foulée, le télétravail contractuel a largement progressé, avec une hausse de 50 % par rapport à 2017, selon une étude de Malakoff-Médéric de 2018. « Le télétravail concerne désormais près de 30 % des salariés du secteur privé », précisait le document2. Enfin, selon les résultats de son étude annuelle Télétravail 20203 (publiée en mars), Malakoff Humanis relève que 28 % des entreprises qui ne proposaient pas le télétravail auparavant et dont le métier le permet, ont changé de position et déclarent l’avoir finalement accordé à leurs salariés pendant les mouvements sociaux de décembre 2019. Et 38 % des salariés dont le métier le permettait, mais qui ne le pratiquaient pas auparavant, l’ont ainsi adopté pendant cette même période.

(1) https://urlz.fr/dv37

(2) https://urlz.fr/dv3a

(3) https://cutt.ly/8aOcsnK

// À marche forcée. Depuis la mi-mars et le confinement, cinq millions de salariés ont basculé dans le télétravail, avec ou sans négociation pour l’encadrer, avec ou sans accompagnement managérial. Conséquence, les syndicats veulent aujourd’hui une négociation sur le sujet. Mais le Medef ne souhaite qu’un simple « diagnostic partagé ». Le 5 juin dernier, lors d’une première rencontre, syndicats et patronat n’ont pas réussi à se mettre d’accord, les syndicats souhaitant un accord national interprofessionnel, les employeurs refusant « une norme supplémentaire ». Plusieurs réunions devraient néanmoins suivre pour avancer sur ce sujet au-delà de la crise sanitaire – celui de passer d’un télétravail contraint à un télétravail choisi et bien encadré.

En chiffres

6,4 C’est, avant la crise, et selon la dernière enquête Malakoff Humanis, le nombre moyen de jours de télétravail pratiqués mensuellement en 2019 (contre 7 jours en 2018). « En pratique, le télétravail reste majoritairement occasionnel : 47 % des télétravailleurs le pratiquent moins d’un jour par semaine, 17 % un jour par semaine, 22 % plus d’un jour par semaine et 14 % télétravaillent en permanence », indique Malakoff Humanis.

Source : https://cutt.ly/IaOn32E

67 % C’est le pourcentage de répondants à l’enquête menée, entre le 29 mai et le 11 juin, auprès de 575 décideurs du secteur des technologies de l’information par S&P Global Market Intelligence, qui s’attendent à ce que les politiques universelles de travail à domicile (mises en œuvre par près de 80 % des organisations interrogées) restent en place de manière permanente ou à long terme. Des entreprises comme Twitter ont déjà annoncé que leurs salariés pouvaient travailler à la maison de façon permanente.

Source : https://cutt.ly/xaOmcoi