À l’heure où la question de l’investissement dans les compétences est plus que jamais à l’ordre du jour pour accompagner la relance de l’économie et sa transformation, l’ensemble des acteurs se mobilisent. Tour d’horizon des réflexions, initiatives et dispositifs mobilisables.Par Mireille Broussous et Laurence Estival
En présentant, le 18 juin, « Investir dans les compétences pour reconstruire l’économie », sa dernière étude réalisée par Nicolas Bouzou, la Fédération de la formation professionnelle (FFP) a annoncé la couleur en martelant quelques messages clés : « Former, c’est éviter les déclassements et préparer le monde de demain. » Une vision partagée par l’ensemble des acteurs économiques. « La question du maintien de l’employabilité est au cœur de la réflexion des directions des ressources humaines et elles savent que pour préparer la reprise, la formation est un levier essentiel », observe Dai Shen, directeur adjoint de Demos. Ce n’est pas Veolia qui dira le contraire. Le groupe, qui a formé l’année dernière autour de 900 000 salariés, n’entend pas revenir sur son ambition de montée en puissance de ses collaborateurs, adoptée pour la période 2020-2023. « Même si la trajectoire peut changer du fait de la crise », précise Olivier Carlat, directeur de la formation et du développement social.
À l’image du géant de l’environnement, les grandes entreprises affinent leur stratégie. « Certaines sont en train de transformer leurs parcours de formation internes et digitalisent à toute vitesse leurs formations métiers, poursuit Dai Shen. C’est le cas de la SNCF, d’EDF, ou de certaines grandes entreprises de distribution. D’autres cherchent, à travers la formation, à se renforcer sur leurs nouveaux métiers – déjà identifiés bien avant la crise –, comme Carrefour sur les cartes de crédit ou Orange sur la banque et sur les produits financiers. »
Autre chantier prioritaire : miser sur les compétences clés. « Nos besoins sont importants en matière de cybersécurité. La crise nous a aussi confortés dans les options que nous avons choisies concernant le cloud. Nous allons faire monter en compétences les techniciens, explique Élisabeth Fonteix, responsable du learning et development d’Orange. Par ailleurs, de nombreux métiers au sein du groupe sont impactés par le développement de l’intelligence artificielle. Tous les collaborateurs concernés devront posséder les compétences de base dans ce domaine. » Même discours pour l’industrie pharmaceutique : « Nous allons devoir former pour accélérer la robotisation et développer les compétences en intelligence artifi-cielle », renchérit Pascal Le Guyader, directeur des relations sociales, emploi et industrie du Leem (Les Entreprises du médicament).
Les entreprises visent également à gagner en agilité. Chez CapGemini, certains projets étant à l’arrêt comme dans l’automobile ou dans l’aviation, les équipes doivent aussitôt être armées pour travailler sur d’autres activités ou sur de nouvelles offres. « Nous réorientons le contenu de nos formations très rapidement. Une multitude d’ajustements sont nécessaires car notre offre évolue vite. L’ère des plans de formation annuels est finie », explique son DRH, Franck Baillet. Même constat chez Enedis : « Le plan de formation doit être plus stratégique et il faut être en mesure de répondre plus rapidement aux besoins de formation », confirme Olivier de La Chapelle, directeur de la formation et de la professionnalisation du groupe.
Déjà, les organismes de formation sentent les premiers frémissements. « Si les entreprises ont encore du mal à se projeter sur le moyen terme, nos clients souhaitent soit repositionner leurs salariés en interne, soit encourager l’acquisition de nouvelles compétences », confirme Guillaume Huot, membre du directoire de Cegos. Au palmarès des formations les plus demandées : le management à distance et le leadership pour accompagner le développement du télétravail, déjà en forte croissance pendant le confinement. Les programmes visant les commerciaux, obligés d’accélérer leur montée en puissance sur les outils digitaux, ou le management de projets, commencent eux aussi à tirer leur épingle du jeu. L’objectif est de se recentrer sur ce qui peut rapidement alimenter la reprise. Chez IGS, les formations en ressources humaines ont, elles aussi, le vent en poupe. « Pendant la crise, mais aussi avec la relance, le dialogue social est devenu un élément clé et les directions des ressources humaines ont besoin d’être accompagnées », insiste Gilles Pouligny. Le directeur général adjoint en charge de la formation continue observe également le boom des sessions destinées à recréer du collectif pour remobiliser et ressouder des équipes dispersées depuis le confinement.
D’autres thématiques devraient prochainement s’ajouter à cette liste car le virage digital incite les entreprises à revoir leurs business models. « Avec le travail à distance, elles se sont rendu compte que toute leur chaîne de valeurs était impactée et qu’il ne s’agit pas d’un effet de mode, affirme Thomas Jeanjean, directeur général adjoint en charge des programmes post-expérience à l’Essec. Du coup, la nature des demandes a changé. Avant, il s’agissait de comprendre le virage digital, désormais, les employeurs veulent saisir la complexité de cette évolution et l’impact qu’elle peut avoir sur l’ensemble de leur activité. » Les organismes cogitent également sur le renforcement de leur offre afin d’accompagner la réindustrialisation ou la transition écologique, les deux axes privilégiés du plan de relance annoncé le 15 juillet par le Premier ministre, Jean Castex.
Pour faciliter les repositionnements ou les montées en compétences, la plupart des dispositifs sont en cours de renégociation (voir page 36). Les OPCO, mobilisés pour permettre aux employeurs d’accéder dès le confinement au FNE-Formation, sont toujours sur le pont. Les branches professionnelles aussi. La Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC) et l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) phosphorent ensemble au sein d’une même commission formation. « Des stratégies ont déjà été définies. Les formations réglementaires qui ont été reportées constituent une priorité. Mais celles axées sur le développement des compétences vont se déployer dans la foulée », estime David Derré, directeur emploi-formation de l’UIMM. Prism’emploi, la branche du travail temporaire, n’est pas en reste. La formation des intérimaires est l’un des axes forts – avec les évolutions réglementaires pour faciliter le recours à leurs services – du plan de relance présenté fin juin : assouplissement des règles de mise en œuvre de la préparation opérationnelle à l’emploi collective (Poec) jusqu’au 31 décembre pour des remises à niveau et approfondissement des compétences métiers sont au programme. « Sans oublier les formations plus généralistes telles que le travail en équipe, les formations linguistiques, la lutte contre l’illettrisme », pointe la déléguée générale, Isabelle Eynaud-Chevalier. À l’automne, la branche, avec Akto, son OPCO, et en lien avec la DGEFP et Pôle emploi, devrait émettre des recommandations sur les types d’emplois et de compétences sur lesquels devraient se focaliser les formations.
« L’enjeu majeur pour les secteurs très impactés, c’est la reconversion professionnelle », insiste Marc Dennery, fondateur de C-Campus. Un appel du pied entendu par le groupe d’ingénierie Assystem, prêt à donner un coup de main aux candidats qui n’ont pas tout à fait les compétences recherchées. « Nous avons de forts besoins pour répondre à la demande dans le secteur du nucléaire, indique Lionel Chaussade, responsable de la formation. Nous sommes prêts à embaucher des profils ingénieurs et à les former en alternance sur le terrain et dans notre institut de formation dédié. » La formation est en effet l’un des leviers pour aider les demandeurs d’emploi à remettre le pied à l’étrier. « Nous travaillons déjà avec des cabinets de conseil en restructuration pour intégrer la formation dans les programmes ou dans la réponse à des appels d’offres d’entreprises qui envisagent de se séparer de collaborateurs », explique Gilles Pouligny.
Dans sa contribution à la relance, la CFDT a, elle aussi, mis l’accent sur la formation des chômeurs. Elle demande la sécurisation et l’accompagnement des transitions professionnelles avec le renforcement des moyens de Pôle emploi et la création de « contrats de transition écologique, numérique et technologique » au niveau des territoires pour coordonner localement l’ensemble des dispositifs existants. Le syndicat propose parallèlement de muscler les parcours emplois compétences en ciblant majoritairement les jeunes. D’une durée de 24 mois, contre neuf à douze aujourd’hui, ils visent à favoriser les formations qualifiantes en alternance, y compris dans le cadre du préapprentissage. Un dispositif sur lequel travaille déjà Veolia et qui pourrait voir le jour à l’automne.
« Il n’y a pas de solutions toutes faites et nous devons apprendre à être flexibles pour permettre aux entreprises, aux salariés ou aux demandeurs d’emploi de profiter des opportunités pour rebondir », résume Édouard Dubruel, responsable de l’activité sur-mesure de CSP Formation. « La formation n’est pas un coût mais un investissement », martèle Olivier Carlat. Et si cette injonction s’adresse aux acteurs économiques comme aux pouvoirs publics, elle est aussi destinée aux individus car, « sans formation, il n’y aura pas de relance et la France, qui avait déjà un déficit de compétences, notamment dans le numérique, risque de le payer cher », a mis en garde Nicolas Bouzou, lors de la présentation de l’étude de la FFP…
Dans les états-majors, l’heure est à la mobilisation dans un contexte où les ressources financières devraient être elles aussi affectées par la crise. « Nous allons établir des priorités autour des métiers en tension et de l’apprentissage et renforcer la création de valeur et l’impact de l’ensemble de nos activités », lance Olivier Carlat, le directeur formation de Veolia. La situation est notamment tendue dans les entreprises de 50 à 250 salariés, grandes oubliées de la récente réforme. C’est pourquoi dans sa dernière étude, la FFP a fait plusieurs propositions les concernant avec deux axes forts : la possibilité pour elles d’abonder le compte personnel de formation (CPF) et d’utiliser les aides débloquées pour l’alternance. Dans cette conjoncture tendue, l’accent est aussi mis sur l’efficacité. « Les entreprises nous demandent de plus en plus de mettre en place des outils pour mesurer le retour sur investissement », ajoute Guillaume Huot, de Cegos, qui a notamment créé des dispositifs pour mesurer en conditions de travail la manière dont les salariés déploient à leur poste les compétences acquises.