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Les outils pour se projeter dans le monde d’après

Dossier | publié le : 01.09.2020 | Laurence Estival

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Les outils pour se projeter dans le monde d’après

Crédit photo Laurence Estival

Les grandes manœuvres ont déjà commencé pour adapter les dispositifs accompagnant la montée en compétences des individus et le repositionnement professionnel.

Difficile pour les entreprises, qui ont le nez dans le guidon et qui manquent de visibilité, de se projeter dans le monde d’après. « Ce dont nous sommes sûrs, c’est que la crise va accentuer les tendances observées ces dernières années, que ce soit en matière de digitalisation de l’économie ou de développement du travail à distance qui nécessite une évolution de compétences », avance, prudent, Christophe Parmentier, fondateur de Clava, cabinet de conseil en formation. Si ce viatique ne peut à lui seul tenir lieu de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, il en constitue une première étape. C’est en tous les cas le pari de Willis Towers Watson avec son outil Reinventer Job, centré sur le développement de l’utilisation des outils digitaux. « En s’appuyant sur les données publiques enrichies avec celles de nos clients, nous avons étudié 5 500 postes et envisagé pour chacun d’entre eux toutes les évolutions possibles en fonction des besoins des entreprises », décrit la consultante Queenie Chan. En clair, à l’issue de l’analyse de ses compétences actuelles et de celles qu’il doit acquérir pour répondre aux nouveaux enjeux de l’entreprise concernant sa digitalisation, tout collaborateur obtient une feuille de route sur le chemin à parcourir. Restera ensuite à trouver les prestataires et les outils pour financer son repositionnement, voire sa réorientation. Bonne nouvelle : la palette est étendue et en pleine transformation.

Le FNE-Formation, une cagnotte sous-utilisée

À court terme, le FNE-Formation, renforcé de manière temporaire afin de pousser les entreprises ayant obtenu une autorisation d’activité partielle à développer les compétences de leurs salariés par la prise en charge à 100 % des activités pédagogiques, constitue une première réponse pour les employeurs concernés. Les actions de formation éligibles en présentiel ou à distance sont nombreuses : renforcement de l’employabilité du salarié, renouvellement d’une habilitation, réalisation d’un bilan de compétences, d’une VAE… Mais fin juin, seuls 10 % de l’enveloppe de 500 millions d’euros avaient été consommés, les entreprises mettant en avant la lourdeur de la procédure pour y accéder. Sauf à être épaulé par son OPCO, comme BeLink Solutions (voir page 39).

Faire du CPF un levier

Les plans de développement des compétences risquant d’être revus à la baisse, les réflexions vont bon train pour combiner cet outil phare à la main des entreprises avec le compte personnel de formation (CPF), à la main des individus… Depuis juin, il est possible pour les employeurs, moyennant quelques contorsions en attendant la publication de décrets, d’abonder les sommes dont disposent les salariés. « Reste que cela représente une dépense supplémentaire pour l’entreprise à un moment où elle a besoin de toutes ses capacités financières », rappelle David Derré, directeur emploi et formation de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM). Solution ? S’engager dans un accord gagnant-gagnant. « L’enveloppe financière du CPF gérée par la Caisse des dépôts pourrait être réorientée vers une démarche collective et une logique de coconstruction, suggère Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation de Centre Inffo. Il faut recueillir le consentement de chaque salarié et le formaliser. » Ces ajustements seront-ils suffisants pour faire de ce dispositif un levier attendu ? Pas si sûr, selon Muriel Besnard, consultante juridique pour la veille légale RH-droit social chez ADP : « Les entreprises comme les individus manquent aujourd’hui de recul sur l’évolution des compétences, en dehors du numérique, pour qu’il soit réellement mobilisé. » Guillaume Huot, membre du directoire de Cegos, y croit : « Le CPF pourrait devenir une plateforme sur laquelle viendraient se greffer d’autres financements comme ceux émanant de Pôle emploi ou des Régions. »

Le plan d’investissement dans les compétences

Un des premiers outils – en dehors des cofinancements des entreprises – susceptibles d’alimenter cette cagnotte, le plan d’investissement dans les compétences (PIC), lancé officiellement en octobre 2018, et qui court sur les années 2018 à 2022, fait lui aussi l’objet de concertations. Objectif : élargir le nombre des bénéficiaires – un million de jeunes NEET’s et demandeurs d’emploi peu qualifiés – aux chômeurs de niveau bac, voire de niveau bac + 2, la crise risquant de toucher l’ensemble des demandeurs d’emploi peu diplômés, avance la Fédération de la formation professionnelle (FFP). Le principe de réfléchir aux formations nécessaires non pas en matière de diplômes mais de compétences étant, selon les experts, adapté à la transformation des emplois. « Nous devons tout faire pour éviter aux demandeurs d’emploi de tomber dans la case chômage sans aucune activité », plaide Guillaume Huot.

Pro A, Poec et CPF de transition pour accélérer les repositionnements

« Il faut mettre le turbo sur des dispositifs de reconversion affaiblis ces dernières années et qui retrouvent tout leur sens dans cette période de retournement de conjoncture », renchérit Yvan Ricordeau, secrétaire national de la CFDT en charge de la formation professionnelle. La Pro A (promotion par l’alternance), encore peu développée, pourrait ainsi monter en puissance. La complexité de la mise en œuvre de ce dispositif d’alternance qui s’adresse aux salariés, et qui permet leur reconversion au sein de leur entreprise, explique le retard à l’allumage : « Il faut un accord de branche et cet accord doit être étendu par la Direccte à toutes les entreprises de la branche. Des branches ont joué le jeu mais elles n’ont pas eu de réponse des Direccte », rappelle Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation de Centre Inffo.

Face à la lourdeur de cette procédure, Guillaume Huot suggère de faire de la préparation opérationnelle à l’emploi collective (Poec) l’outil phare des projets de reconversion en élargissant le public concerné au-delà des collaborateurs déjà en poste dans des secteurs où les perspectives d’embauches sont réelles, comme l’informatique ou les datas. Cet élargissement est déjà effectif pour les intérimaires qui se sont retrouvés au chômage du fait de la crise, ont acté les partenaires sociaux de la branche du travail temporaire lors de la commission paritaire nationale de l’emploi (CPNE) du 10 juin. A également été levée, jusqu’à la fin de l’année, la règle liée à l’engagement de les garder en emploi pendant six mois à l’issue de la Poec.

L’apprentissage pour préparer le futur

Autre outil qui fait aujourd’hui l’objet de toutes les attentions : l’apprentissage. Face aux remontées de terrain faisant part d’une chute du nombre de contrats, le Gouvernement a rapidement souhaité ne pas remettre en cause la dynamique à l’œuvre. Des mesures de soutien ont été annoncées début juin avec la mise en place d’aides pour toutes les entreprises recrutant des apprentis entre le 1er juillet 2020 et le 28 février 2021 pour préparer des diplômes jusqu’à la licence. Afin de laisser davantage de temps aux jeunes pour la recherche d’un employeur, ces derniers peuvent désormais rester pendant six mois en CFA avant de signer leur contrat. Certains groupes, à l’image de Veolia, qui avec ses deux CFA d’entreprise considère ces derniers comme un moyen de préparer l’avenir, n’envisagent pas de changer de cap. « C’est un moyen de répondre aux besoins de compétences sur nos métiers en tension dès 2021 », met en avant Olivier Carlat, directeur de la formation et du développement social. La formule de CFA d’entreprise continue d’ailleurs à faire recette : Assystem et d’autres membres du Gifen, le syndicat professionnel de l’industrie du nucléaire, envisagent de s’associer pour créer leur propre CFA interentreprises.

Les dispositifs évoluent progressivement et des annonces devaient être faites par le ministère du Travail pour acter tous ces changements d’ici à la rentrée. Restera alors à convaincre les individus et les entreprises de se lancer. « La difficulté majeure, c’est qu’aujourd’hui ce sont essentiellement les entreprises qui ont déjà une forte culture de la formation qui se saisissent de toutes ces opportunités », regrette Muriel Besnard. La formation profite encore et toujours à ceux qui en ont le moins besoin.

Auteur

  • Laurence Estival