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Décodages

Pôle emploi en surchauffe

Décodages | Conjoncture | publié le : 01.09.2020 | Judith Chétrit

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Pôle emploi en surchauffe

Crédit photo Judith Chétrit

Le chaos économique provoqué par la crise sanitaire affecte également l’organisme public, qui devrait être confronté à un afflux de demandeurs d’emploi cet automne. Quelles réponses apporter ? Quelles dispositions mettre en œuvre ?

C’était il y a huit mois, lors des vœux traditionnels de début d’année du directeur de Pôle emploi à la presse. Un discours ramassé autour de quelques ambitions : mieux identifier les « freins sociaux » et l’illectronisme des personnes les plus éloignées de l’emploi, rendre collectif l’accompagnement des nouveaux inscrits avec le pack démarrage ou encore faire baisser le délai de recrutement pour les offres déposées par les employeurs. Jean Bassères promettait de « faire plus pour ceux qui en ont le plus besoin », tout en soulignant un niveau positif et accru de retours à l’emploi. Le directeur général de Pôle emploi était loin d’imaginer le scénario catastrophe qui s’est produit au printemps avec une augmentation historique du nombre de demandeurs d’emploi.

En interne, la direction de l’opérateur public – qui décline toute demande d’entretien au niveau local comme national – confirme travailler sur plusieurs scénarios d’afflux. Ces fourchettes d’estimation de hausse du chômage sont appelées à s’ajuster au fil de l’automne en fonction de la fin progressive de l’activité partielle, du volume d’offres d’emploi pourvues, puis de l’ampleur à la fois des nouveaux inscrits issus de licenciements économiques et des demandeurs d’emploi qui devraient basculer des catégories B et C (CDD, intérim) vers la catégorie A, selon leur niveau mensuel d’activité. Fin juin, près de 4,15 millions de personnes étaient inscrites sans aucune activité, la barre des 4 millions n’ayant jamais été franchie en France avant la crise du Covid-19 et depuis le début du décompte en 1996. Si on y ajoute les effectifs de travailleurs en activité réduite, le nombre d’inscrits équivaut à 5,8 millions d’individus. Dans une note publiée fin mai, l’Unédic, qui anticipe la destruction de 900 000 emplois fin 2020, soulignait sans trop s’exposer que « l’augmentation massive du chômage et les difficultés sectorielles qui pourraient intervenir dans les prochains mois inviteront à repenser les objectifs stratégiques de Pôle emploi et les moyens engagés au regard des conséquences de crise ». Au « Figaro » début mai, et pour l’une de ses rares prises de parole dans les médias ces derniers mois, Jean Bassères avançait que l’organisme, avec ses quelque 53 000 agents, était « mieux armé aujourd’hui qu’en 2008 pour faire face à la crise ». Et pour cause, la crise en question s’était produite parallèlement à la fusion mouvementée de l’ANPE et des Assédic. Douze ans plus tard, le télétravail et le développement de services numériques ont permis de continuer de traiter les demandes d’allocations et de poursuivre les accompagnements à distance durant le confinement.

Sécurisation.

Ce retournement de situation vient surtout interrompre une baisse lente mais durable du chômage. « Nous attendons une vague mais nous n’en connaissons pas encore la hauteur », résume un directeur d’agence. Fin juillet, après plusieurs alertes des syndicats dans l’attente d’une stratégie nationale et la poursuite de négociations budgétaires avec Bercy et le ministère de la Fonction publique, Élisabeth Borne, alors récemment nommée ministre du Travail plaidait pour un « renforcement des effectifs de Pôle emploi ». Concrètement, ces renforts pourraient monter, dans le cadre du plan de relance, jusqu’à 5 000 agents supplémentaires avec trois vagues de recrutement étalées jusqu’en février 2021 selon l’évolution des chiffres du chômage pour les catégories A et B. 1 000 conseillers sont déjà attendus pour la rentrée avec des CDD allant de 12 à 18 mois, un avenant spécifique de la convention collective nationale ayant été signé. Au-delà de la titularisation éventuelle en CDI de 500 à 700 agents, ces effectifs supplémentaires augmenteront surtout la possibilité d’embauche en CDD chez Pôle emploi, jusqu’alors plafonnée à 4 % des effectifs contre 15 % désormais. Alors que les conseillers de Pôle emploi sont désormais spécialisés, depuis 2013, la répartition par agence et par région reste encore à affiner. « Le fléchage de ces postes sera essentiellement dédié à l’accompagnement des demandeurs d’emploi et les directions régionales auront la main pour en flécher d’autres vers l’indemnisation (gestion des droits, dans le jargon de Pôle emploi) », avance Guillaume Bourdic, secrétaire régional de la CGT Pôle emploi Bretagne. Une telle augmentation conjoncturelle d’effectifs est du jamais-vu depuis la création de Pôle emploi. « Il faut aussi laisser le temps au terrain d’intégrer et de former les nouveaux agents », souligne Sylvie Amblot, présidente de la CFTC Emploi. Il y a un an, face à la pénurie rencontrée par certains des 470 000 employeurs et secteurs qui déposaient des offres d’emploi, l’organisme avait recruté un millier de conseillers supplémentaires en CDD de 3 ans pour que des titulaires volontaires puissent renforcer les effectifs dédiés aux relations avec les entreprises.

« Avant de parler d’accompagnement, les individus ont surtout besoin d’avoir une sécurisation de leurs revenus », souligne Carole Tuchszirer, socio-économiste affiliée au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET). Certes, aujourd’hui, un peu moins d’un inscrit sur deux à Pôle emploi touche des allocations, mais en quelques années, le nombre d’agents dédiés a diminué d’environ 30 % avec la dématérialisation des procédures et suite à un accord GPEC signé fin 2016. « Il y a déjà des mouvements de personnels notamment en Hauts-de-France et en Île-de-France où la direction réoriente vers l’indemnisation des agents qui étaient à l’accompagnement après avoir quitté la gestion des droits il y a trois ans. La direction a déjà construit une formation pour actualiser les connaissances », avance Fabien Milon, délégué central FO. Il faut dire que le raccourcissement du délai de traitement des demandes d’indemnisation fait partie des réussites régulièrement pointées. À cette tâche, dont l’automatisation est facilitée par un algorithme interne, s’ajoute la vérification des attestations employeurs et bulletins de paie envoyés par les inscrits qui continuent de travailler, en partie externalisée auprès de prestataires privés. « Les travailleurs aux emplois discontinus ont été les plus rapidement touchés par la crise. Déjà dans le radar de Pôle emploi, ils consomment leurs droits depuis plusieurs mois. On peut faire l’hypothèse que ceux qui arriveront en septembre sont des profils avec des carrières salariales plus linéaires et plus faciles à indemniser », avance Claire Vivès, sociologue également affiliée au CEET.

Côté accompagnement, il y a une source de tensions entre les syndicats et la direction qui échauffe déjà les esprits : la taille du portefeuille, soit le nombre de demandeurs d’emploi suivis par chaque conseiller et divisés en plusieurs catégories en fonction de leur degré d’autonomie dans la recherche et de leur situation sur le marché du travail. « Rien ne garantit qu’une personne sachant utiliser Internet et avec un réseau ne perde pas le moral au bout de plusieurs mois de recherche et ait besoin d’être écoutée ou de discuter d’une éventuelle formation », plaide Marie Lacoste, secrétaire nationale du Mouvement national des chômeurs et des précaires.

Hétérogénéité.

Un rapport soumis début 2019 par le député LR Stéphane Viry pointait, pour un quart d’entre eux, une attente minimale de cinq mois pour obtenir un rendez-vous avec un conseiller en charge de l’accompagnement « renforcé » à destination des plus éloignés de l’emploi, qui n’ont pas travaillé dans les douze derniers mois. D’une agence à l’autre, la situation est très hétérogène même si la tendance globale est à l’augmentation dudit portefeuille. « Avec les annonces de plans sociaux, on anticipe déjà une hausse des contrats de sécurisation professionnelle pour les collaborateurs licenciés dans les entreprises de moins de 1 000 salariés. Il y avait déjà de la sous-traitance pour ces dispositifs. Elle risque également d’être renforcée », selon la déléguée centrale CFDT. Une donne en matière de charge de travail qui a de l’importance au vu de la démographie de demandeurs d’emploi attendue dès cet automne : « On constate avec cette crise une modification de la structure des demandeurs d’emploi, avec une population plus âgée, avec une plus grande ancienneté dans l’entreprise et donc une plus grande difficulté de reclassement », notait début juin, devant le Sénat, Michaël Ohier, directeur général adjoint de Pôle emploi.

Cette vigilance dans le suivi est à rapprocher des critiques adressées cette année par la Cour des comptes, à la fois sur la gestion des ressources humaines internes et sur la complexité des procédures dématérialisées en ligne pour les publics les plus en difficulté. Ce à quoi l’opérateur répond par des volontaires en service civique en agence et par l’assistance téléphonique. Reste ensuite les chantiers de transformation entamés, dont certains redoutent le sacrifice sur l’autel de la crise sociale qui s’annonce. Plusieurs expérimentations repartent timidement, comme le pack démarrage, soit des entretiens collectifs étalés sur deux demi-journées au lieu d’un rendez-vous individuel de 45 minutes, jugé insuffisant pour cerner les attentes des nouveaux inscrits. Avec une généralisation initialement prévue fin 2020, il est plutôt question de le reporter à 2021. Mais en fonction de l’évolution de la crise sanitaire, ces modules pourraient être un moyen tout trouvé de répondre à une envolée d’inscriptions et rejoindraient une tendance déjà en cours de « personnalisation de masse » de l’offre de services de Pôle emploi.

Un déficit estimé à plus de 27 milliards d’euros fin 2020

Sans grande surprise, chaque dégradation de la conjoncture économique entraîne mécaniquement une aggravation du déficit de l’Unédic, jouant son rôle d’amortisseur social. Fin 2019, en raison des économies liées à la refonte plus sévère des règles de calcul des indemnisations, l’organisme tablait sur un retour à l’équilibre financier en 2021 après un déficit repassé sous la barre du milliard d’euros en 2020. Dix mois plus tard, une telle prévision a été violemment renvoyée aux oubliettes : le financement à un tiers du chômage partiel massif, l’indemnisation des nouveaux chômeurs ainsi que le report des cotisations chômage dues par les employeurs sont passés par là. Pire encore, au vu des inconnues qui demeurent sur la situation à l’automne, « les questions sont si nombreuses et les équilibres économiques tant modifiés qu’ils empêchent à court terme l’utilisation des modèles de prévision classiques », poursuit l’organisme paritaire qui gère le régime. En quelques mois, le nombre de chômeurs indemnisés pourrait se voir accru de 630 000 personnes et le taux de chômage atteindre les 11 %. Avec un niveau d’emprunt croissant sur les marchés financiers au travers de l’émission de bons et d’obligations à intérêt, le financement de l’Unédic donne donc déjà des sueurs froides aux organisations syndicales salariales et patronales qui réclament une actualisation de la convention tripartite signée il y a un an. Celle-ci, longtemps négociée, avait ainsi relevé de 10 à 11 % la part des recettes de l’Unédic consacrées au financement de Pôle emploi (soit quasiment deux tiers du budget de fonctionnement de l’opérateur public !), dépassant ainsi la contribution de l’État et ce, sans relever le taux de cotisations patronales et salariales, donc ses recet-tes. Dans l’attente du projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificatif…

Auteur

  • Judith Chétrit