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Le vélo à l’assaut des entreprises

Décodages | Mobilités | publié le : 01.09.2020 | Valérie Auribault

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Le vélo à l’assaut des entreprises

Crédit photo Valérie Auribault

Les grèves de la fin 2019 et la crise sanitaire ont incité les salariés à se tourner vers la bicyclette comme mode de transport entre le domicile et le travail. Pourtant, peu d’infrastructures répondent aux attentes des « vélotafeurs ». Désormais, les entreprises n’ont d’autre choix que de se mettre en selle.

« Je prends du plaisir à aller travailler. Au printemps, on sent les odeurs des acacias dans le bois de Boulogne. Le soir, c’est un bonheur de profiter du coucher de soleil. On est ainsi davantage connecté à la na-ture. » De Boulogne-Billancourt à Levallois-Perret en passant par la porte Maillot, Adrian a opté pour le vélo pour se rendre à son travail. Il parcourt quatorze kilomètres matin et soir depuis deux ans « pour éviter les grèves récurrentes dans les transports », indique-t-il. Arrivé à bon port, ce collaborateur d’une entreprise leader dans le domaine de l’informatique profite d’un parking sécurisé. « Il faut un badge pour y accéder. On peut y garer jusqu’à 30 vélos. Mais il y en a déjà une vingtaine chaque jour. Il va falloir songer à l’agrandir car nous sommes 1 500 salariés sur le site », souligne ce « vélotafeur » qui a choisi un vélo tout-terrain. « J’ai juste changé les pneus d’origine pour des pneus de route et j’ai installé un porte-bagages pour la sacoche de mon ordinateur afin d’éviter le port d’un sac à dos », poursuit-il.

Halte aux idées reçues.

À ceux qui lui parlent d’insécurité routière, d’intempéries et de transpiration, des inconvénients qui en freinent plus d’un, il répond : « Je fais attention car les voitures et les motos arrivent de tous les côtés. Mais il y a pas mal de pistes cyclables et je traverse beaucoup de parcs et d’espaces boisés. Pour les jours de pluie, il y a le télétravail. Quant à la transpiration, des douches sont disponibles au bureau. Mais je transpire moins en pédalant que serré dans les transports bondés », sourit-il. Déjà utilisateur du vélo pour ses loisirs, Adrian n’a eu aucun mal à sauter le pas. Pour d’autres, l’initiative peut s’avérer plus délicate. Les points les plus litigieux restent la sécurité sur les routes, l’absence de parking sécurisé et la douche pour bien entamer la journée. « Celle-ci n’est pas utile, ce n’est pas du sport », rétorque Timothée Quellard, cofondateur du cabinet Ekodev, qui conseille les entreprises et les collectivités en développement durable. Pour les autres points, les organisations travaillent autour d’un label employeur pro-vélo avec Ekodev et la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB) lors d’ateliers pour maîtriser le deux-roues. Car depuis la crise sanitaire liée au Covid-19, mais aussi les grèves de l’hiver 2019, de plus en plus de salariés souhaitent éviter les transports en commun. Si bon nombre d’entre eux ont finalement opté pour la voiture, d’autres jettent un œil intéressé vers la petite reine.

De vraies attentes.

« Comment se déplacer ? C’est le sujet du moment, reconnaît Régis Masera, directeur consulting chez Arval France. Le retour de la mobilité individuelle s’opère actuellement davantage par la voiture. Mais parmi les salariés qui prennent leur véhicule personnel ou les transports en commun, certains sont attirés par le vélo. » Selon une enquête1 du cabinet Ekodev, 17 % des salariés indiquent que le vélo sera leur mode de transport privilégié à l’avenir. Le deux-roues figure parmi les solutions envisagées pour 39 % des sondés, soit une augmentation de 26 à 87 % des cyclistes actuels selon l’enquête. Mais des freins demeurent pour franchir le cap. Seuls 30 % déclarent avoir connaissance de la mise en place d’un plan de mobilité par leur employeur. Ils sont 22 % à avoir identifié un référent mobilité en interne. 37 % ne savent tout simplement pas à qui s’adresser concernant ce sujet. La sécurisation du vélo est parmi les priorités des utilisateurs. Mais ils sont nombreux (80 %) à ne pas avoir d’abri sécurisé, quand d’autres (18 %) n’ontpas de stationnement du tout. Beaucoup de salariés réclament des douches et un vestiaire (82 %) ainsi qu’une incitation financière (79 %), mais trop peu d’employeurs (31 %) ont mis en place une politique en faveur du deux-roues.

« Le vélo n’est pas uniquement un loisir. Il faut le prendre au sérieux », insiste Louis Duthoit, chargé de mission Label employeurs pro-vélo au sein de la FUB. « Le vélo est le parent pauvre des déplacements. Il est un peu mis à l’écart notamment à cause d’une montagne de freins : le vol, les accidents, les intempéries… Mais le regard des DRH est en train de changer, estime Timothée Quellard. C’est un choix pour la marque employeur. Le vélo est bon pour l’image car bon pour la planète et pour la santé des utilisateurs. » L’usage de la bicyclette diviserait par deux les risques d’accidents cardio-vasculaires et il apporterait deux années d’espérance de vie supplémentaires (risques d’accidents inclus) ainsi que 6 à 9 % de productivité en plus, selon une étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Les « vélotafeurs » seraient aussi plus ponctuels et moins stressés, selon certains DRH. D’autant que les études montrent que l’on va plus vite à vélo qu’en voiture dans les centres urbains. De quoi séduire.

Lever les freins.

« Les entreprises sont souvent démunies pour impulser une politique pro-vélo. Nous travaillons actuellement sur un guide pratique concernant l’achat, la location, la réparation et les subventions existantes », précise Louis Duthoit. La société allemande Henkel a impulsé un plan de mobilité sur tous ses sites fin 2018. « En matière de vélo, nous partions de zéro puisqu’aucun de nos collaborateurs n’utilisait ce mode de déplacement », avoue Catherine Vogelzang-Repolt, customer service manager de la société. En avril 2019, un parking vélo a été installé sur le site de Boulogne-Billancourt. Six places dédiées aux deux-roues non motorisés prises sur celles initialement réservées aux voitures. « Ce parking était le point d’approche, poursuit Catherine Vogelzang-Repolt. Au début, les six places étaient rarement utilisées à 100 %. Puis, il y a eu les diverses crises sociales et environnementales. Depuis, l’utilisation du vélo évolue. » Henkel a effectué des sondages auprès de ses collaborateurs pour recueillir leur avis. Puis, de petits ateliers de réparation, sur la sécurité routière ou encore pour tester les vélos à assistance électrique (VAE), ont vu le jour. « Cette démarche a reçu un accueil très favorable de la part des collaborateurs et du comité de direction », se souvient Catherine Vogelzang-Repolt. Afin de sensibiliser davantage, un forum animé par le cabinet Ekodev a « permis d’informer sur le Coup de pouce vélo réparation de 50 euros proposé par l’État, mais aussi de faire tomber les idées reçues sur la dangerosité de ce mode de déplacement et d’autres freins psychologiques », poursuit-elle. Depuis, la Ville de Boulogne-Billancourt a créé plus de pistes cyclables, ce qui a fait croître le nombre de cyclistes au sein de l’entreprise.

Chez L’Oréal, outre les trois parkings à vélo, les douches et les vestiaires, des pistes cyclables ont été créées sur les différents sites et sur le campus. La multinationale propose deux à trois fois par an des animations de remise en selle pour maîtriser le deux-roues avec un permis vélo à la clé, ainsi que des ateliers pour apprendre à réparer sa monture. Pour 2020, l’entreprise de cosmétiques table sur un accès aux vélos à tarif réduit et sur des formations en e-learning sur la sécurité pour « rassurer les plus frileux ». « Nous travaillons avec l’agglomération Plaine commune afin de sécuriser le parcours aux abords des entreprises, mais aussi avec la RATP et avec la SNCF », explique Sylvie Villeroy, directrice RSE chez L’Oréal. Un tournant s’est naturellement opéré le 11 mai dernier, notamment pour les person-nels des laboratoires ne pouvant télétravailler. « Nous avons beaucoup de demandes concernant les achats de VAE. Nous constatons aussi une réelle entraide entre nos collaborateurs cyclistes, chacun partageant son expérience pour éviter que les novices ne commettent des erreurs sur la route. » D’autres apportent des conseils plus pratiques. « Une collaboratrice a vu le vélo pliable d’un collègue qui prenait le métro. Leurs échanges lui ont permis de sauter le pas », poursuit Sylvie Villeroy.

Anticiper.

Certains employeurs souhaitent que la multimodalité soit prise en compte, et pas uniquement le pass Navigo. « Aujourd’hui, c’est tout ou rien », regrette Catherine Vogelzang-Repolt. Alors que le décret d’application concernant le forfait mobilité durable a été publié le 10 mai dernier, certaines entreprises avaient déjà mis en place un plan d’actions en ce sens. « En tant qu’assureur des nouvelles mobilités, nous avons souhaité laisser le choix à nos collaborateurs qui peuvent utiliser les transports en commun l’hiver et venir plus volontiers à vélo ou même en trottinette l’été », précise Martine Baruch, responsable RSE au sein d’Allianz. L’initiative avait été instaurée dès janvier 2020 après concertation avec les partenaires sociaux. Ce forfait est une prise en charge facultative par l’employeur des frais de transport doux ou alternatifs pouvant aller jusqu’à 400 euros. Côté parking, Allianz se heurte au site de La Défense. « La dalle fait partie de l’espace public et son accès n’est pas toujours aisé », souligne Martine Baruch. Pourtant, durant les grèves de 2019, « beaucoup sont venus spontanément à vélo. Des salles de réunion avaient été réquisitionnées pour les stationner. Cela avait permis de lever des freins en interne et de se rendre compte que tout compte fait, c’est possible », constate la responsable RSE.

De son côté, la société de location longue durée Arval France anticipe. « La zone d’activité des Quais de Seine ne cesse de se densifier ces dernières années. Ceci aura forcément un impact sur la saturation des transports en commun, des routes et des stationnements. Le vélo représente une vraie solution », estime Régis Masera. D’autant que 30 % des collaborateurs du siège de Rueil-Malmaison vivent à moins de 30 minutes à vélo de leur lieu de travail. Dès 2017, Arval France a profité de la Semaine de la mobilité pour proposer des alternatives : autopartage, covoiturage, vélo et essais de VAE. Ainsi qu’un système de vélos partagés pour se déplacer entre deux sites. 800 réservations ont été enregistrées. « Il est nécessaire d’accompagner les salariés dans la durée. Sinon, la démarche relève de l’effet d’annonce et ne fonctionne pas », confie Régis Masera. Aujourd’hui, 5 % des collaborateurs d’Arval France utilisent leur vélo quotidiennement. Une offre e-bike de location de VAE attribués individuellement aux collaborateurs devrait bientôt voir le jour. L’entreprise impulse également ce type de dispositif auprès de ses clients. La bicyclette a de beaux jours devant elle. Des études récurrentes montrent que 14 % des trajets entre 0 et 5 km sont effectués en voiture. « Le potentiel est énorme », estime Timothée Quellard, qui incite les chefs d’entreprise à montrer l’exemple car « les salariés ont besoin de modèles ». Pourquoi pas le PDG à vélo, puisque la maire de Paris s’affiche en permanence avec un deux-roues…

(1) Baromètre Vélo & employeurs, réalisé du 27 avril au 11 mai 2020 auprès de 2 540 salariés âgés de 26 à 55 ans.

Auteur

  • Valérie Auribault