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“La représentativité telle qu’elle est calculée est une anomalie”

Actu | Entretien | publié le : 01.09.2020 | Benjamin d’Alguerre

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“La représentativité telle qu’elle est calculée est une anomalie”

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

L’Unsa persiste à vouloir sa place à la table des négociations. Le syndicat autonome, qui réaffirme sa place dans le camp réformiste, appelle à nouveau à une refonte de la représentativité en additionnant les voix du privé et du public aux élections professionnelles, qui lui permettrait de peser davantage.

La rentrée s’annonce-t-elle favorable au dialogue social ?

Laurent Escure : C’est toujours une bonne chose d’entendre l’exécutif valoriser le dialogue social mais pour l’instant, je ne note pas de changement de cap sensible par rapport à la première moitié du quinquennat. À l’époque d’Édouard Philippe, l’exécutif organisait fréquemment des rencontres avec les partenaires sociaux. Rien que sur la seule période de la crise du Covid-19, on a compté pas moins de six réunions avec les organisations syndicales et patronales. Deux à l’Élysée, deux à Matignon et deux en visioconférence, en présence d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe. Vu sous cet angle, les con-férences du dialogue social organisées par Jean Castex s’inscrivent nettement dans la continuité de la méthode de son prédécesseur. La vraie question est de savoir ce qui sortira de ces rencontres et ça, l’avenir nous le dira. Le dialogue pour le dialogue n’est pas un objectif en soi : ce qui importe, c’est sa capacité à déboucher sur des compromis et des solutions au bénéfice des travailleurs. Que va faire le Gouvernement maintenant qu’il a réuni et écouté les partenaires sociaux ? Poursuivre les réformes de l’assurance-chômage et des retraites engagées dans la première moitié du quinquennat ou revoir ses priorités et mettre le paquet sur la sau-vegarde de l’emploi – notamment celui des jeunes – et sur la relance du pouvoir d’achat, comme le demandent les syndicats ? Nous avons été réunis et écoutés, c’est très bien, mais reste à savoir si nous avons été entendus.

On pourrait le penser puisque le Gouvernement a d’ores et déjà annoncé un report des réformes de l’assurance-chômage et des retraites…

L.E. : C’est une très bonne nouvelle, mais à ce stade, ce n’est justement qu’un report. En matière d’assurance-chômage, les problématiques liées à la réforme des modalités d’accès à l’indemnisation et au nouveau calcul des indemnités qui sont de nature à pénaliser les demandeurs d’emploi restent sur la table.

Concernant le dossier des retraites, on a pu noter, lors des mouvements sociaux de la fin d’année 2019, une différence de ton entre l’échelon national de l’Unsa, assez proche des positions de la CFDT, et ses syndicats de cheminots et d’agents RATP plus proches de la ligne portée par la CGT et Sud. Existe-t-il un clivage entre « réformistes » et « radicaux » au sein de l’Unsa ?

L.E. : Non. En dépit des apparences, il n’y a jamais eu de différence de ligne entre l’Unsa et ses syndicats de la RATP et de la SNCF. En tant qu’organisation syndicale, l’Unsa défend le principe de la négociation jusqu’au bout, mais cette négociation peut parfaitement s’accompagner de la construction d’un rapport de force avec la partie patronale ou gouvernementale. Dans le cas de cette réforme des retraites, les syndicats Unsa de la RATP et de la SNCF ont estimé qu’il y avait lieu de créer ce rapport de force, notamment sur la question du retrait de l’âge-pivot, et j’ai sou-tenu leur mobilisation. Sauf que notre position n’a jamais été le « tout ou rien » porté par d’autres organisations syndicales comme la CGT ou Sud. Je le répète, cette réforme des retraites, nous ne l’avions pas demandée et quel qu’en soit le résultat final, il y a peu de chances que nous l’applaudissions à la fin. Je le maintiens. Mais puisque l’on nous demandait de négocier, pourquoi ne pas le faire pour améliorer le régime ? Aujourd’hui, cependant, cette réforme n’est plus une priorité et nous sommes convaincus que le meilleur moyen de sécuriser l’équilibre financier du régime des retraites, c’est la relance d’une dynamique économique permettant de générer des cotisations sociales. Même le président du Medef estime qu’il faut faire une pause !

Le 26 juin dernier, vous adressiez un courrier au président de la République afin de lui demander d’instaurer un meilleur calcul de la représentativité syndicale. Souhaitez-vous une réforme des lois de 2008 et 2010 ?

L.E. : Non. Nous ne demandons pas un changement des règles de la représentativité, mais nous vou-lons que l’on ajoute un étage à l’édifice syndical en additionnant les voix du privé et du public partout où les intérêts des deux secteurs sont concernés, comme c’est le cas, par exemple, dans les caisses d’Assurance-maladie ou dans celles d’allocations familiales. Est-il normal que seuls les résultats du privé déterminent la composition des conseils d’administration de ces instances ? La représentativité calculée sur le seul périmètre du privé est une anomalie de l’histoire syndicale qu’il faut corriger. Si on additionne les voix du secteur public et du secteur privé aux élections professionnelles, l’Unsa fait 7,19 %. À quelques encablures à peine de la CFTC – pourtant représentative au niveau inter-professionnel – qui pèse 7,41 % ! Quasiment ex aequo. En additionnant les voix du public et du privé et en fixant un seuil de représentativité à 6 ou 7 %, l’Unsa pourrait faire entendre sa voix et celle des salariés qui l’ont choisie dans de nombreuses instances paritaires où elle n’est pas présente (Assurance-maladie, assurance-chômage, assurance-vieillesse, etc.). Elle pourrait même siéger dans des groupes de travail thématiques. Prenons l’exemple du télétravail qui a concerné aussi bien les salariés du privé que ceux du public durant la crise du Covid-19. Voilà typiquement un sujet intersectoriel sur lequel nous avons de nombreuses propositions à formuler.

Lors du débat sur les retraites, le seuil nécessaire pour siéger dans le futur Conseil national de la retraite univer-selle (CNRU) avait été fixé à 5 % dans le privé et dans le public. Certaines organisations syndicales avaient reproché à ce plancher de permettre à l’Unsa d’y siéger et de renforcer le camp réformiste mais d’en écarter Solidaires ou la FSU, plus hostiles à la réforme. Qu’en pensez-vous ?

L.E. : Nous avons entendu ces critiques, mais ce n’est pas nous qui avons demandé la fixation de ce seuil de 5 % puisque nous militons plutôt pour un plancher de 6 ou 7 %. Selon moi, il s’agit moins d’un « cadeau » à l’Unsa que d’une perspective offerte à terme à Solidaires.

L’Unsa conserve encore une image de « syndicat de fonctionnaires ». Quelle est votre audience dans le privé ?

L.E. : Dans le secteur privé, nous avons fait 5,35 % aux dernières élections professionnelles. Nous payons notre faible implantation dans les entreprises, c’est un fait. Nous sommes présents auprès d’un salarié sur cinq. Mais lorsque l’Unsa s’implante dans une entreprise, elle fait en moyenne 25 % des voix ! Nous venons d’ailleurs de réussir quelques belles percées dans de nombreuses entreprises comme Altice, Dassault, Technicolor, Lidl ou même ArcelorMittal, sur le site de Florange ! Nous sommes la seule organisation syndicale à avoir progressé partout aux élections professionnelles.

On se demande parfois ce qui distingue aujourd’hui l’Unsa de la CFDT ?

L.E. : C’est vrai que si l’on se situe dans la perspective où existent, d’un côté, un syndicalisme contestataire et politisé et, de l’autre, un syndicalisme réformiste et plus constructif, l’Unsa se place clairement dans le second camp, aux côtés d’organisations comme la CFDT ou la CFTC. Nous partageons effectivement un certain nombre de positions philosophiques. Cela s’est vu récem-ment avec le « pacte du pouvoir de vivre » dont nos trois organisations sont signataires. Pour autant, nous conservons tous nos marqueurs identitaires propres et, dans certains cas, une compétition dans cer-taines entreprises existe encore entre nous. À la SNCF, par exemple. Mais sur le plan national, nous sommes souvent d’accord.

Les accords d’activité partielle longue durée (APLD) et de performance collective (APC) peuvent-ils li-miter le nombre de PSE attendus à la rentrée ?

L.E. : Nous sommes plutôt dubitatifs quant à l’effet des APC sur l’emploi. D’ailleurs, chez Derichebourg où une telle disposition a été engagée, la section Unsa s’y est opposée. En revanche, le déploiement de l’activité partielle depuis le début de la crise s’est révélé une excel-lente chose qui a permis de sauvegarder l’emploi et de limiter les plans sociaux. Nous verrons si l’activité partielle longue durée permettra de limiter les plans sociaux. Cela démontre en tout cas aux tenants du tout-libéral que la puissance publique peut parfois avoir son utilité puisque 40 à 50 % des salaires ont été concrètement pris en charge par l’État au cœur de la crise, et cela va se poursuivre. Les entreprises de-vront s’en rappeler.

Laurent Escure, secrétaire général de l’Unsa

Dans la grande tradition des secrétaires généraux de l’Unsa, Laurent Escure est un produit du syndicalisme enseignant (adhérent de l’Unsa éducation depuis 2002, il en est devenu le dirigeant en 2011). Pourtant, ce professeur des écoles corrézien de 49 ans, élu à la tête de l’union en avril 2019, a placé son mandat sous le signe de l’ouverture au secteur prive dont sont désormais issus 50 % des membres du bureau national. Très présente dans la fonction publique (11,2 %), L’Unsa cherche consolider ses positions dans le prive et se donne comme objectif de devenir la sixième organisation représentative.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre