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Passe ton diplôme d’abord

À la une | publié le : 01.09.2020 | Judith Chétrit

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Passe ton diplôme d’abord

Crédit photo Judith Chétrit

Le Covid-19 devrait rebattre les cartes en matière d’insertion dans la vie professionnelle des jeunes diplômés.

Il fallait bien y mettre un « mais ». Fin mai, l’Apec publiait son baromètre annuel jeunes diplômés et insistait sur le « début de carrière réalisé dans de bonnes conditions » pour la promotion 2018 qui, à 85 %, occupait un emploi dans les douze mois suivant un diplôme allant du bac + 3 au bac + 5 ou plus. Une insertion sur laquelle pèse toutefois « l’incertitude liée à la conjoncture ». Sans compter les signaux faibles déjà observés sur les cohortes de jeunes diplômés depuis plus d’une décennie : même avec une légère augmentation de la rémunération, des conditions précaires comme le temps partiel non choisi, le statut non-cadre (43 %) ou bien les CDD (pour 31 % d’entre eux) peuvent rendre leurs débuts dans la vie active plus difficiles et fragmentés. « Avant le Covid, on avait quand même un marché très dynamique pour les jeunes diplômés avec des records alors anticipés pour 2020 de 50 000 recrutements », souligne Valérie Fenaux, directrice du réseau. Ce « renversement de situation » s’est traduit par une chute de 41 % des offres au premier semestre 2020. L’Apec se prépare à une montée en puissance de son offre de services auprès de cette population comme la reprise d’événements avec des recruteurs ou un forum virtuel avec Pôle emploi, fin septembre.

Dès avril, le ralentissement sur le recrutement de jeunes profils a été observé dans plusieurs secteurs : quand certains les adaptent au télétravail ou prennent plus de temps avant de faire des propositions fermes, d’autres les annulent. Interrogeant plus de 200 entreprises européennes, la plateforme JobTeaser estime même que cette dernière situation recoupait un quart des employeurs. « Les situations seront variables en fonction des tailles des agences et de leurs portefeuilles clients mais on sait que les recrutements seront rares », ré-pond Julien Casiro, en charge du bureau des juniors à l’Association des agences-conseils en communication, qui table sur une diminution de l’activité entre 20 % et 30 %. Autre exemple, Engie maintient son cap de recrutements et d’alternants pour 2020 – 10 000 jeunes de moins de 35 ans en CDI et 9 % d’alternants dans les effectifs – mais en a décalé certains qui n’étaient pas critiques en période de confinement, pour « assurer de meilleures conditions d’intégration », indique Olivier Hérout, le DRH adjoint du groupe, qui observe déjà une augmentation continue des candidatures spontanées, notamment dans les métiers liés à la transition écologique.

File d’attente

À l’exception des jeunes issus des « disciplines à fort contenu technologique » selon l’Apec, qui répondent à des besoins structurels associés à la digitalisation des entreprises, des bouchons et des contrariétés sont à prévoir dans la file d’attente vers l’emploi durable. Car, en face, les employeurs n’annoncent pas toujours d’emblée le gel des recrutements, mais un canal et un timing plus incertains d’embauches. Y compris dans des secteurs clés de l’insertion professionnelle comme les activités et services informatiques, l’ingénierie ou bien le conseil et gestion des entreprises, plutôt connus pour leur profusion d’offres. « La prudence sera peut-être plutôt pour 2021. Nous avons déjà 215 juniors qui arrivent en audit en septembre pour la saison », annonce Géraldine Vial, directrice du recrutement chez KPMG France qui intègre chaque année un contingent de 900 juniors. Elle note déjà une baisse générale d’embauches de 8 % dans l’activité de conseil, plus dépendante de la santé financière de ses clients. « Nous avons avancé le processus d’évaluation de nos stagiaires et alternants pour savoir plus rapidement si une offre pourrait leur être faite et leur donner plus de visibilité », poursuit celle qui a également remarqué moins de démissions du côté de ses jeunes recrues en poste.

Chez L’Oréal, la DRH France, Blandine Thibault-Biacabe, parle d’une « sanctuarisation » du budget appelé pépinière pour les 200 jeunes recrutés annuellement, en CDI majoritairement. Avec un grand volume de recrutement traditionnellement issu de stagiaires et alternants (une conversion sur cinq sur un gros millier de jeunes ayant un bac + 3/5), son enjeu a plutôt été de ne pas interrompre cette « chaîne vertueuse » en honorant les promesses de stage faites avant le confinement et l’intégration des nouveaux à distance parallèlement à la diminution du rythme de certaines activités.

« En période de crise, le diplôme est un élément distinctif »

À Toulouse, le directeur des études de l’école d’ingénieurs Icam relève « non pas une panique, mais une certaine appréhension ». Si Christian Courties n’a pas encore le recul suffisant pour jauger la transformation en emploi des stages et apprentissages de ces dernières années, il a déjà pris un peu de retard dans les 84 apprentissages à contractualiser d’ici la mi-septembre, surtout dans un bassin aéronautique durablement marqué. « Dès mai, je passais beaucoup de temps avec des RH pour encourager des PME à se lancer dans l’apprentissage. Ce que je ne fais habituellement qu’à la dernière minute en septembre », avance celui qui a également davantage plaidé auprès de ses étudiants pour élargir leurs horizons au BTP ou à l’énergie. Aux Mines de Nancy, des alumni de l’école et des employés administratifs ont appelé à la chaîne des entreprises pour accueillir des étudiants en recherche de stage de fin d’année. Les services carrières se sont employés à trouver des solutions pour maintenir le lien avec les employeurs sans les brusquer et ne pas louper les opportunités. Directrice carrières de l’Edhec, Manuelle Malot ne remarque pas encore de « frémissement et de différences de placement » pour les prochains diplômés. À côté d’une nouvelle plateforme d’entraide entre élèves et alumni qui a totalisé plus de 200 mises en liaison en 48 heures, ces derniers ont également été sollicités dès mai pour un appel à offres de stages et de premiers emplois. « C’est un bon outil de remontées du terrain ! Les boîtes ne nous disent pas tout de leur politique de stop-and-go, les anciens oui. » Le groupe Essca a ainsi travaillé avec deux cabinets de recrutement dont les consultants ont accompagné bénévolement les étudiants les plus en difficulté de cette école de commerce post-bac. Des entreprises partenaires ont participé à des webinars sur la mise en avant des soft skills ou les questions les plus périlleuses en entretien. Une partie des étudiants s’interroge également sur d’éventuelles poursuites d’études, avec un second master plus spécialisé par exemple. En 2010, l’augmentation du temps de recherche d’emploi avait conduit 16 % des diplômés de grandes écoles à faire ce choix, contre 12 % habituellement, ce qui a conduit certaines écoles de commerce à prolonger les dates d’inscription et de rentrée. « En période de crise, le diplôme est un élément distinctif des individus. La valorisation de celui-ci se fait dans le tri des candidatures et dans le regard favorable qu’aura l’entreprise. Cela aide à rebondir, même en cas de repli », relève Thomas Couppié, du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq).

Mais cette stratégie est coûteuse : alors que certains alertent déjà sur la problématique du remboursement des prêts étudiants sans emploi à la clé, ajouter une ligne à son CV pèse encore plus sur les budgets et l’alternance n’est pas toujours trouvable. Sans compter « l’effet de surqualification des candidats », note l’économiste Coralie Perez, qui alimente également le sentiment de déclassement. Cette probabilité « prédit une année compliquée pour intégrer tous ces effectifs », note Guillaume Gellé, président de l’université de Reims. Membre de la Conférence des présidents d’université, il ne sait pas estimer le nombre d’étudiants ou d’actifs que cette option pourrait concerner. Surtout lorsque l’enseignement supérieur doit parallèlement faire face à un afflux jamais vu de 100 000 bacheliers supplémentaires entrants, du fait du pourcentage exceptionnellement élevé de réussite au bac « sauce Covid ».

Le spectre de 2008-2009, une première génération de déclassés

La crise d’il y a une décennie a rapidement été évoquée pour rappeler avec le recul son poids défavorable dans l’insertion professionnelle des jeunes, sans que cela ne soit pour autant une mise à mal durable mais plutôt un retard. Il y a notamment, en premier lieu, un décrochage particulièrement marqué pour les moins diplômés d’entre eux, y compris les niveaux CAP et BEP. Selon des observations en 2017 du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq), quasiment la moitié de ces actifs ont dû attendre sept années avant d’accéder à un CDI à temps plein contre 65 % une dizaine d’années plus tôt, lorsque la situation économique était bien meilleure. Ils sont plus nombreux à être restés plus d’un an au chômage. Par ailleurs, ils occupent souvent des emplois précaires qui ne sont pas toujours des tremplins pour une meilleure position sociale et peuvent même constituer des trappes à précarité et à chômage récurrent. Pour les jeunes sortis de master en 2010, la crise a été mieux digérée grâce au diplôme qui joue un rôle protecteur. En revanche, leur début de carrière a été, lui, plus haché et moins évolutif que celui de leurs prédécesseurs. Après sept années d’expérience, leur salaire médian était de 12 % inférieur à celui de la génération 1998 après le même temps d’activité. Dès 2010, l’Apec relevait que 44 % des jeunes diplômés de 2009 avaient signé un CDD contre 31 % pour la promotion 2007. Plus d’un tiers des jeunes estimaient alors que leur emploi était inférieur à leur qualification.

Auteur

  • Judith Chétrit