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Les Neet en voie de découragement

À la une | publié le : 01.09.2020 | Judith Chétrit

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Les Neet en voie de découragement

Crédit photo Judith Chétrit

Sans formation, études ou emploi : près d’un million de jeunes – les Neet – doivent se frayer un chemin vers le monde du travail.

D’un côté, des entreprises qui connaissent des difficultés structurelles de recrutement. De l’autre, des jeunes peu qualifiés qui manquent de perspectives et de repères pour trouver un emploi et se retrouvent plus fréquemment au chômage. L’équation est connue de tous, mais elle se complexifie en période de récession. Face à la précarité financière, sans accéder à la requête de certains qui appelaient à l’ouverture du RSA pour les moins de 25 ans, le Gouvernement a déjà opté pour une aide de 200 euros versée à quelque 800 000 jeunes non-étudiants qui bénéficiaient déjà d’aides au logement. Puis, les mesures massives contenues dans le plan jeunes se sont adressées en partie aux publics les plus en difficulté. « Une première forme d’originalité réside dans les coordinations des différents instruments avec une mobilisation de la formation initiale et une prévention du décrochage », assure Thomas Couppié, chercheur au Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq). Mais aussi une relative continuité dans les leviers actionnés : l’accès à l’emploi et l’amélioration de l’employabilité font déjà partie du cœur du réacteur des politiques jeunesse des dernières années. À la sortie du confinement, les craintes étaient déjà nombreuses sur le décrochage d’un certain nombre de jeunes qui ont pu perdre leur emploi ou vu leur formation interrompue. « Répondre à l’urgence sociale et sécuriser les parcours les plus fragiles », clame l’Union nationale des missions locales qui a coréalisé une enquête auprès de jeunes accompagnés à la sortie du confinement. Ceux-ci affichaient comme priorités de trouver un emploi, de clarifier un projet professionnel et de reprendre une formation alors qu’en septembre, entrera en vigueur la nouvelle obligation de formation pour les 16-18 ans.

« Un premier afflux »

La crise apporte déjà un nouvel éclairage et une justification supplémentaire à un foisonnement de dispositifs étatiques ou subventionnés accessibles aux près d’un million de jeunes se retrouvant sans formation, études ou emploi, communément désignés sous le terme anglo-saxon de « Neet ». Parmi eux, les écoles de la deuxième chance, les centres de l’Epide, les écoles de production, la garantie jeunes, le service civique, les formations de préqualification de l’Afpa ou encore l’accompagnement intensif des jeunes de Pôle emploi. Derrière, ce sont autant d’agents de missions locales, de salariés de CFA, d’associations ou de conseillers de Pôle emploi qui anticipent déjà une hausse de sollicitations, surtout après les volumes conséquents de places supplémentaires annoncées par le plan « Un jeune, une solution ». « Les jeunes que l’on côtoie dans des études sur l’insertion ont souvent des parcours hyperinstitutionnalisés, passant d’un dispositif à l’autre. Certains se satisfont d’un emploi aux conditions de travail difficile “tant qu’ils travaillent”, disent-ils », explique Julie Couronné, chargée d’études et de recherche à l’Institut national pour la jeunesse et l’éducation populaire (Injep).

Une observation partagée par Olivier Jeunot, directeur de l’association Insertion Emploi Béarn Adour, qui regroupe au sein d’une même structure une mission locale, un espace des métiers et un service logement pour près de 150 communes. « On voit bien l’effet de messages anxiogènes durant le confinement. Même les jeunes les plus nonchalants sont venus nous voir pour nous demander à travailler. Nous avons un premier afflux de nouveaux jeunes pour l’apprentissage », notamment dans la distribution et la logistique. Face à certains parcours plutôt lents, il croit beaucoup à l’extension de la garantie jeunes dont il se fixe comme objectif d’atteindre 80 bénéficiaires pour cet accompagnement sous forme d’ateliers collectifs et d’entretiens individuels « Il y a un critère de vulnérabilité mais ce sont des jeunes qui ont déjà travaillé un projet et qui ont souvent déjà eu des expériences professionnelles », poursuit-il. Avec une difficulté particulière en temps de rareté des embauches : le mode de financement des garanties jeunes dépend des sorties positives au bout d’un an, soit un accès à une alternance, à une formation qualifiante, à un CDD de plus de six mois minimum ou à un CDI. Cela représentait 72 % des quelque 90 000 personnes accompagnées en 2018.

Certes, ces programmes de formation ou d’acquisition minimale de savoir-être ne sont pas toujours intégralement pourvus ou correctement dimensionnés en fonction des territoires. « Plusieurs Régions réfléchissent dans le cadre des plans de relance à proposer à ces publics des solutions transitoires, notamment ceux qui sortent de CAP ou de bac pro et qui n’ont pas forcément des pistes consécutives de formation », avance David Duval, conseiller formation professionnelle, éducation et emploi à l’association Régions de France. Des parcours cabossés et les freins périphériques à l’emploi, comme le logement ou le manque de mobilité, ralentissent l’effectivité des orientations.

Les vertus de l’exemple

Le bouche-à-oreille joue aussi souvent beaucoup : il est au cœur du raccrochage professionnel promu par le programme « Impact Jeunes » porté depuis trois ans par les Apprentis d’Auteuil dans trois cités de Marseille et de Tarascon. « Les jeunes nous disent souvent que même s’ils jouent le jeu des études, ils ne trouveront pas d’emploi. Ils veulent d’abord voir comment les autres réussissent et on valorise ces exemples de proximité pour les remotiver pas à pas », confie Nathalie Gatellier-Vignalou, responsable du dispositif dont le public est composé à 70 % de Neet, soit plus de 1 600 jeunes de 13 à 30 ans. Celle-ci se repose notamment sur trois jeunes actifs appelés « boosters » qui ont une « fine connaissance des jeunes et des autres acteurs de l’insertion » et sur un tissu d’une centaine d’entreprises partenaires qui sont installées à côté des cités. D’autres ajustements sont aussi à prévoir : « La crise engendrera sans doute un problème de réallocation de main-d’œuvre. L’enjeu sera aussi de ne pas avoir une couche supplémentaire structurelle de chômage », estime Bertrand Martinot, économiste associé à l’Institut Montaigne.

À l’échelle du groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ) Industrie Gard Vallée et Delta du Rhône, impulsé par Orano et la branche professionnelle de la métallurgie, la directrice Pauline Ruy cible en partie une quinzaine de jeunes sans qualification chaque année. Mais c’est un travail de longue haleine : « Leur mobilisation est plus difficile avant le début de l’alternance. Ensuite, on continue de les suivre même jusqu’à six mois après la fin de leur alternance pour les préparer à de futurs entretiens d’embauche ou à une mise en relation avec des entreprises qui recrutent. » Elle ne désespère pas d’en placer certains prochainement dans une récente requête d’une vingtaine de travailleurs pour ArcelorMittal Méditerranée sur la maintenance.

Le lourd tribut de l’intérim

Premières victimes de la crise, derniers à sortir la tête de l’eau ? Fin juillet, la seule nouvelle d’un recrutement de 500 intérimaires sur le site rennais de PSA faisait l’objet d’une dépêche de presse. Le constructeur automobile compte remonter une équipe de nuit dédiée au succès commercial de la C5 Aircross, un SUV hybride. Un fait qui ne passe pas inaperçu tant le travail intérimaire a le plus souffert de la mise à l’arrêt du pays en mars. Même en juin, le niveau d’activité était inférieur de 40 % à celui de l’an dernier, selon Prism’emploi, la fédération des entreprises du secteur. Les temps pleins perdus pendant le confinement, estimés à plus de 100 000 emplois, n’ont guère été encore retrouvés, et la situation affecte plus particulièrement les moins de 25 ans qui représentent 35 % des intérimaires. Hormis le BTP, l’agroalimentaire, la logistique et les transports qui réduisent l’écart, les deux autres locomotives des agences intérimaires que sont l’automobile et l’aéronautique peinent à redémarrer toutes leurs lignes de production. Certains qui bénéficient des contrats les plus longs ont pu être englobés dans les dispositifs d’activité partielle sollicités par les employeurs, mais c’est encore loin d’être la généralité. D’autres n’ont pas hésité à employer le cas de force majeure pour interrompre les missions, confie une directrice d’agence dans le Nord. Une situation qui met encore plus la lumière sur la grande précarité de ces travailleurs et leur moindre protection sociale. À cet égard, Prism’emploi veut même faire du CDI intérimaire – soit 90 000 contrats de ce type déjà conclus depuis 2018 – un outil du plan de relance.

Auteur

  • Judith Chétrit