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L’apprentissage sous surveillance

À la une | publié le : 01.09.2020 | Dominique Perez

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L’apprentissage sous surveillance

Crédit photo Dominique Perez

Si la volonté du Gouvernement est de sauver l’apprentissage, les prochains mois s’annoncent critiques pour un mode d’insertion fortement dépendant des carnets de commandes et de la bonne santé des CFA.

La bataille semblait d’ores et déjà gagnée. Avec 485 000 apprentis, soit 16 % de plus en 2019 par rapport à 2018, tous les voyants étaient au vert, y compris pour une année 2020 qui avait fort bien commencé. Nombre d’entreprises annonçaient des créations de CFA internes, grâce à des démarches facilitées par la réforme de l’apprentissage entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Ce mode de formation était promu pour répondre aux besoins pressants d’un marché de l’emploi pénurique dans certaines spécialités industrielles, comme le soudage, la maintenance, le bâtiment, l’hôtellerie-restauration ou le numérique/informatique. La crise sanitaire, hasard du calendrier, est probablement arrivée au pire moment. Organiser le travail, avec des apprentis au même régime que les autres salariés, au chômage partiel quand c’était nécessaire et possible, a été la première préoccupation. Est venue la seconde, cruciale et complexe : comment gérer les recrutements de la rentrée ? La campagne de communication des CFA bat habituellement son plein au mois de mars, suivie de celle du recrutement pour les entreprises. Un véritable casse-tête pour des organisations déstabilisées.

Stop ou encore ?

Chez Axa, la définition d’une politique de recrutement de jeunes diplômés et d’apprentis a dû conduire à des choix « pas simples, selon Amélie Vincent, responsable du recrutement et de la mobilité. La baisse du recrutement nous concerne sur toutes les typologies de postes, y compris pénuriques, comme les actuaires. Mais nous avons choisi de maintenir notre niveau d’embauche d’alternants, en recrutant le même nombre qu’en 2019, c’est-à-dire 950, sur nos quinze sociétés. Et nous anticipons pour le moment une politique de recrutement du même niveau pour 2021. » Axa, comme 24 autres grandes entreprises, a signé au mois de juillet dernier une tribune dans « Les Échos » pour réaffirmer l’engagement continu du groupe dans ce mode d’intégration. « Nous avons décidé de maintenir nos objectifs de recrutement en alternance […], affirme le texte. Maintenir ces objectifs, c’est inscrire pleinement notre engagement continu pour l’emploi des jeunes au sein de chacune de nos organisations. Ce sont, ainsi, plus de 38 000 jeunes que nous recrutons en alternance dans nos organisations en 2020. »

La plupart des grandes entreprises qui doivent toujours justifier de 5 % d’apprentis dans leurs effectifs, n’envisagent pas de renoncer massivement à une intégration, ne serait-ce que par pragmatisme. Pour Saint-Gobain, qui a recruté 1 586 alternants en 2019, il est impensable de se priver de cet apport. « La crise du Covid-19 a en quelque sorte changé notre politique dans ce domaine, mais plutôt pour aller plus loin, et plus fort, souligne Régis Blugeon, directeur des affaires sociales du groupe. Si nous regardons l’évolution de notre pyramide des âges, nous constatons un besoin de renouvellement de 4 000 salariés dans les années à venir. Nous avons donc l’intention de poursuivre notre politique de recrutement de jeunes, environ 4 000 par an, dont environ 2 000 à travers l’apprentissage. Nous en avons besoin “mécaniquement”, et humainement également. Dans cette période, nous devons montrer des preuves de confiance en l’avenir, il faut continuer d’investir dans les jeunes en les formant et en les gardant. » Ce mois de septembre, l’entreprise ouvre d’ailleurs son CFA interne, avec deux programmes, en maintenance industrielle (niveau bac + 2) et commerce et marketing (niveau bac + 3).

Les PME au milieu du gué

Côté PME-TPE, qui ont vu, dans certains secteurs, leurs carnets de commandes fondre, l’avenir dépend bien évidemment du contexte économique. « Avant la crise, j’avais au moins six mois de visibilité sur mon activité, témoigne Marie Dupuis-Courtes, vice-présidente de la CPME, en charge de l’éducation et de la formation, mais également dirigeante d’une entreprise familiale de bâtiment et qui emploie elle-même des apprentis. Depuis le début de la crise, nous n’avons pas rentré de commandes. Nous avons demandé au Gouvernement des mesures fortes pour soutenir l’apprentissage, pour que toute une génération ne soit pas sacrifiée. » Des demandes qui ont apparemment été entendues avec l’annonce en plusieurs étapes d’un plan de relance de l’apprentissage en juin.

Pour le premier volet du plan, qui prévoit le versement d’une prime à l’embauche de 8 000 euros pour un apprenti majeur et de 5 000 euros pour un majeur pour toutes les entreprises formant jusqu’au master, le résultat devrait être significatif. « Les aides gouvernementales vont vraiment dans le bon sens, souligne Marie Dupuis-Courtes. Même s’il ne faut pas dire que l’investissement des entreprises sera toujours égal à zéro. Certaines branches professionnelles ont fait le choix depuis longtemps de rémunérer les jeunes au-delà du minimum légal, c’est le cas du bâtiment, de la propreté et de certains services… Il me restera, même avec 5 000 euros d’aide, environ 650 euros par mois à verser. Et nous avons aussi l’investissement en temps, en formation des maîtres d’apprentissage… »

L’industrie en danger ?

Avec le bâtiment (+ 13 % en 2019), le secteur de l’industrie a connu les plus fortes progressions du nombre d’apprentis en 2019 (+ 11 %). Pour l’UIMM (32 000 alternants), l’enjeu est énorme, et les inquiétudes palpables. « Avant l’annonce gouvernementale du plan de relance de l’apprentissage, le 4 juin dernier, nous avons observé une baisse de 30 à 40 % des signatures de contrat d’apprentissage par les entreprises par rapport à l’année dernière, constate David Derre, directeur emploi-formation de l’UIMM. On estime qu’après les annonces, ce taux est descendu à environ – 15 à – 25 %. » C’est mieux, mais révélateur de l’attentisme des entreprises, qui, tandis que la crise sanitaire et surtout ses effets ont loin d’avoir montré toute leur ampleur, vont vraisemblablement rester prudentes dans les mois à venir.

La deuxième mesure forte du plan de relance laisse cependant espérer un regain d’intérêt. Offrant la possibilité aux CFA d’accueillir pendant six mois les apprentis en attente de contrat, cette action, dont le financement est annoncé mais n’était pas encore connu dans les détails à l’heure où nous écrivions ces lignes, permettra certainement un « sas » bienvenu, pour des CFA qui, depuis la réforme, sont financés au coût contrat et qui nourrissaient ainsi les plus vives inquiétudes (lire aussi l’encadré). « Cette durée de six mois correspond à ce que l’on avait demandé, constate Roselyne Hubert, présidente de la Fédération nationale des associations régionales de directeurs de CFA (Fnadir). Cela peut laisser le temps économiquement à des employeurs de repartir. Mais qu’arrivera-t-il si le jeune n’a pas trouvé ?

Maintenir le niveau d’apprentis de 2020 est certes un des objectifs du Gouvernement, mais les CFA restent préoccupés. « C’est une volonté très positive, mais nous demandons à ce que soit étudié un système d’amortisseur financier pour les CFA en grande difficulté (par exemple pour l’hôtellerie-restauration) et qu’il y ait une simplification administrative, poursuit Roselyne Hubert. La réforme a impacté nos établissements, avec des charges supplémentaires ; nous demandons des procédures plus uniformisées. » Les aides n’y suffiront peut-être pas : sans reprise économique, l’avenir de l’apprentissage reste incertain. Les six mois à venir seront, sans nul doute, déterminants.

Les CFA dans la tourmente

Une étude menée par la Fédération nationale des associations régionales de directeurs de CFA (Fnadir) et Orcom a analysé l’impact du Covid-19 sur la situation financière des CFA. Un tableau guère optimiste avec une baisse prévisible d’environ 15 % des effectifs en cette rentrée de septembre.

• Baisse des pré-inscriptions évaluée entre 10 % et 30 %, partiellement amortie par la hausse des effectifs de 2019. Au global, des perspectives d’effectifs d’apprentis fin 2020 en retrait de 12 % par rapport à ce que mentionnait le budget prévisionnel.

• Une perte de ressources escomptée de 10 % environ, amplifiée par une augmentation des coûts de 2 %, selon les premières estimations.

• Une dynamique remise en question pour 50 à 60 % des CFA (risque de fermeture de sections, aban-dons d’ouverture de formations, restructurations de CFA, reports de projets d’investissement).

• Une trésorerie à date préservée sous l’effet du paiement des contrats en stock par les OPCO mais une dégradation attendue de –32 % à fin 2020 versus 2019.

Auteur

  • Dominique Perez