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Emploi : le péril jeune

À la une | publié le : 01.09.2020 | Judith Chétrit

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Emploi : le péril jeune

Crédit photo Judith Chétrit

Les jeunes sont les premières victimes de la crise économique liée au virus. Alors, génération sacrifiée ?

L’été a sans doute été moins propice à la gamberge et à la flânerie des esprits. Entre la reprise de stages décalés, la recherche d’une alternance, d’un premier emploi ou d’un plan B pour patienter face à de maigres perspectives d’embauche, des cohortes de jeunes dans l’attente de leur diplôme ou en recherche d’emploi depuis peu se retrouvent face à un marché du travail attentiste, voire dans le rouge dans certains secteurs. Ne les prenez pas pour des naïfs quant aux conditions d’entrée dans la vie active : « Nous savons que le CDI peut être un bonus au début et nous sommes déjà habitués à réfléchir à des plans B ou à élargir nos recherches pour rebondir », glisse un futur ingénieur en génie des matériaux à Nancy. L’intériorisation des incertitudes est une constante dans les études sociologiques sur les jeunes et leur rapport au travail. De nombreuses trajectoires montrent également un allongement des périodes d’insertion. Même dans des filières porteuses et bankables où certains employeurs ont vu leur activité relativement épargnée par les derniers mois de turbulences, les phases d’interrogations persistent. Et c’est cette frilosité à passer le cap de l’embauche qui mobilise particulièrement le Gouvernement et les partenaires sociaux, lesquels en ont fait une priorité face aux quelque 740 000 jeunes appelés à entrer sur le marché du travail à la rentrée. Avant le confinement, et même s’il connaissait une embellie, le taux de chômage des moins de 25 ans en France approchait les 20 % (plus de 550 000 jeunes) quand, spécificité européenne, le taux moyen pour l’ensemble de la population avoisinait les 8 %. D’après la Dares, celui-ci devrait dépasser les 26 % en fin d’année, soit pas loin de 800 000 personnes au total.

Riposte

Budgétée à 6,5 milliards d’euros entre 2020 et 2021, la riposte concoctée par l’exécutif courant juillet est un alliage de coups de pouce financiers pour baisser le coût du travail et une amplification d’investissements en formation initiale dans l’enseignement supérieur, en partie déjà existants. Des recrutements boostés de 1 000 euros par trimestre pour les moins de 26 ans rémunérés jusqu’à deux Smic, 200 000 places supplémentaires dans des formations à des métiers considérés comme d’avenir, à l’image de la santé ou de la transition écologique et la santé, et 100 000 de plus pour le service civique où des jeunes sans condition de diplôme effectuent des missions d’intérêt général de six à huit mois. Côté apprentissage, des aides annuelles entre 5 000 et 8 000 euros pour chaque apprenti mineur et majeur employé devraient, en cas d’embauche, rendre le reste à charge quasiment nul pour l’employeur. La situation encore plus problématique des jeunes non diplômés et/ou plus éloignés de l’emploi consacre le retour des contrats aidés, abandonnés au début du quinquennat, avec 60 000 créations de contrats initiative emploi (CIE) dans le secteur privé, ayant un meilleur effet sur l’insertion consécutive que le secteur non marchand. Ou encore 50 000 entrées supplémentaires pour la garantie jeunes, un dispositif d’accompagnement renforcé géré par les missions locales pour les jeunes sans emploi ni formation qui se voient parallèlement verser une allocation mensuelle de 500 euros.

Mais est-ce que le slogan « un jeune, une solution » martelé par le nouveau Premier ministre Jean Castex, et la nouvelle locataire du ministère du Travail, Élisabeth Borne, sera suffisant pour y ajouter « un employeur » ? Le chômage des primo-arrivants est particulièrement sensible à la conjoncture. Épisodiquement, l’expression « génération sacrifiée » revient depuis une quinzaine d’années. Avec les licenciements et la diminution du recours au travail intérimaire reposant en grande partie sur une main-d’œuvre jeune, le gel des embauches est une traditionnelle variable d’ajustement des entreprises. Selon le dernier rapport de l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss), qui relève une « baisse historique » des déclarations d’embauche au second trimestre, les recrutements en CDI ont davantage diminué (43 %) que les CDD (36 %). Mais ce ne sont pas uniquement les difficultés financières qui pèsent sur les décisions des entreprises : rien que le manque de visibilité sur l’activité future ou bien le manque de temps pour recevoir et former de futurs salariés ou apprentis sont à inclure dans la balance. « C’est le carnet de commandes qui prime », résume le sénateur LR Alain Joyandet qui avait remis il y a dix ans un rapport sur l’emploi des jeunes.

Inégalités

À cet égard, la précédente crise de 2009 illustre comment certaines mesures prises ont parfois uniquement conduit à maintenir des intentions de recrutement, pas à en créer de nouvelles, notamment parmi les emplois les moins qualifiés. Puis, les nombreux rapports sur le sujet ont décrit une accentuation des inégalités entre les plus diplômés et les moins diplômés, alors même qu’il y a une élévation générale du niveau de diplôme. « Même si la brutalité de cette crise sur l’emploi rend difficile l’usage de modèles de prévision passés, l’impact de la dernière crise a été différencié selon le niveau des diplômés, pointe Thomas Couppié, chef du département entrées et évolutions dans la vie active du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq). Alors que les moins diplômés en portaient le lourd fardeau, les plus diplômés ne subissaient quasiment aucun effet sur l’accès à l’emploi. » La jeunesse est une classe d’âge loin d’être homogène face à l’emploi en fonction du milieu social, du niveau d’éducation et du bassin économique de résidence. De même que sa vision sur le monde du travail se façonne aussi en fonction des jalons qu’elle arrive à franchir – ou non. Le baromètre Unédic de la perception du chômage publié en avril dernier – et se fondant donc sur des réponses d’avant le confinement – est, à ce titre, une mine d’informations. Alors que plus d’un jeune sur deux juge probable de connaître une période de chômage au cours des deux prochaines années, c’est une population qui attribue des causes différentes par rapport à la vision de l’ensemble des Français. Les jeunes y voient un phénomène plus diffus : la conséquence d’un manque de postes et du montant parfois peu incitatif à la reprise d’emploi des allocations-chômage. Même s’ils le relient aux entreprises et à l’évolution de la société, ils sont surtout deux fois plus nombreux à y voir la responsabilité des demandeurs d’emploi.

« On ne peut pas avoir une génération sacrifiée. On le regretterait car on l’a payé assez cher lors de la dernière crise en 2008. Les jeunes diplômés ont été malmenés. On s’est étonné à partir de 2012 de n’avoir personne à recruter et on a dû faire s’envoler les rémunérations », juge Marie Dupuis-Courtes, vice-présidente de la CPME en charge de l’éducation et de la formation. Du côté des acteurs de l’apprentissage, habituellement pro-cyclique, qui avaient pourtant dénombré 50 000 entrées supplémentaires en 2019, l’inquiétude est partagée : « Il y a un appétit des jeunes pour l’apprentissage qui se traduit dans les vœux d’orientation, observe le juriste consultant Jean-Pierre Willems. L’enjeu est de savoir si les entreprises proposeront une offre qui permettra au marché de croître. Le plan de relance de l’apprentissage est presque exclusivement centré sur les employeurs, pas sur les CFA qui seront en difficulté avec une baisse des effectifs. » Avec la possible hausse des ruptures de contrats en cours, le ministère du Travail anticipe déjà un tarissement des offres allant de 15 à 35 % dans des secteurs comme l’industrie, la construction, les arts et spectacles ou encore l’agriculture. Jean-Pierre Willems regrette parallèlement qu’il n’y ait pas encore de continuité dans les filières d’apprentissage avec une nette distinction entre le tiers d’apprentis dans l’enseignement supérieur et les deux tiers au niveau bac et infra-bac. « Le pouvoir d’insertion serait plus important », ajoute-t-il.

Si le plan jeunes a été salué pour son engagement par les organisations syndicales, le soulagement n’a guère effacé les craintes d’effets d’aubaine, comme celles pouvant peser, selon Yves Veyrier, secrétaire général de Force ouvrière, sur les autres catégories de salariés qui pourraient, elles, se retrouver dans des mêmes entreprises aidées concernées par des non-suppressions d’emploi. D’autres modalités comme la temporalité et les conditions des aides versées aux entreprises ont aussi été longuement débattues : pas d’exonération de charges qui auraient pu amputer les ressources du système de protection sociale, mais des cotisations salariales avancées par les employeurs puis remboursées par l’Agence de services et de paiements de l’État. Celles-ci ne sont pas uniquement associées à la signature de CDI, mais aussi à des CDD de trois mois minimum. « Tout sauf l’inactivité », répond le Gouvernement aux syndicats sourcillant devant ce critère qui devrait garantir jusqu’à 250 000 embauches selon le scénario de Bercy.

Auteur

  • Judith Chétrit